The Running Man (7 page)

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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

— Je sais, dit Richards. C’est du bon spectacle.

Killian eut un sourire ravi.

— Absolument ! Toutefois, essayez de ne pas descendre des spectateurs innocents. Ce n’est pas au programme.

Richards s’abstint de tout commentaire.

— L’autre aspect de notre émission...

— Les mouchards et les opérateurs indépendants. Je sais.

— Ce ne sont pas des mouchards, monsieur Richards, mais d’honnêtes citoyens américains. (Il était difficile de juger s’il y avait ou non de l’ironie dans le ton de Killian.) Quoi qu’il en soit, il y a des primes à gagner pour les spectateurs. Cent dollars pour une indication précise de l’endroit où vous vous trouvez. Mille s’il en résulte une exécution. Les cameramen indépendants touchent jusqu’à dix dollars la seconde, selon la qualité de l’image...

— Prenez votre retraite à la Jamaïque grâce au prix du sang ! s’écria Richards en écartant largement les bras. Votre photo dans cent hebdos 3— D ! Devenez l’idole des foules en filmant des détails juteux !

— Cela suffit, dit Killian avec calme.

Bobby Thompson se nettoyait les ongles. Victor était sorti ; on l’entendait hurler quelque chose aux opérateurs.

Killian appuya sur un bouton.

— Miss Jones ? Nous sommes prêts pour vous, mes chéries. (Il se leva.) C’est l’heure du maquillage, monsieur Richards. Ensuite, il y aura les essais d’éclairage. Je ne vous reverrai donc qu’à votre sortie.

— Parfait, dit Richards, ignorant sa main tendue.

Miss Jones, une petite brune en combinaison jaune vif, vint le chercher. Il était 14 h 30.

Compte à rebours...
081

Richards attendait en coulisses ; derrière lui, se tenaient deux flics. Il entendit le public assemblé dans la salle du studio applaudir Bobby Thompson. Il s’aperçut qu’il avait le trac, et se dit que c’était ridicule. Mais cela ne suffit pas à le chasser. Il était 18 h 01.

— Ce soir, notre premier concurrent est un homme fort rusé et malin, un habitant du quartier Sud de votre propre ville, disait Thompson.

Sur l’écran, apparut un gros plan de Richards, dans ses vieux vêtements gris et usés, pris quelques jours auparavant par une caméra cachée ; sans doute dans la salle d’attente du quatrième étage, à en juger par l’arrière-plan. La photo avait été retouchée. Les yeux étaient un peu plus cernés, le front un peu plus bas, la bouche un peu plus moqueuse. Juste ce qu’il fallait pour lui donner un aspect terrifiant : l’ange de la mort urbaine, brutal, pas réellement intelligent mais rusé comme certains animaux. Le croque-mitaine standard des petits-bourgeois.

— Cet homme est Benjamin Richards, vingt-huit ans. Regardez-le bien ! Dans une demi-heure, il va être lâché dans la ville ! Si vous le voyez – mais il faut le prouver – vous avez gagné cent dollars ! Si vous donnez un renseignement permettant de l’abattre, il y aura mille dollars
pour vous
 !

L’esprit de Richards vagabondait ; il fut brutalement tiré de sa rêverie :

— ... et voici la femme qui touchera la cagnotte si Richards est abattu !

L’image de Thompson, sur son estrade bleue frappée de l’emblème des Jeux, fit place à une photo de Sheila. Cette fois, les retoucheurs avaient eu la main lourde. Le visage doux et un peu triste, pas vraiment joli, avait été transformé en celui d’une souillon à la sensualité vulgaire. De grosses lèvres très rouges, des yeux qui semblaient briller d’avarice, un soupçon de double menton, une poitrine impudemment dévoilée...

— 
Salaud !
rugit Richards en se précipitant vers la scène.

Des bras musclés le retinrent.

— Calme-toi, mon gars, c’est qu’une photo.

Un moment plus tard, il fut à moitié poussé, à moitié traîné vers la scène.

La réaction du public fut instantanée : « Ordure, assassin ! » « A mort, à mort ! » « Tire ta sale gueule de là ! » « Dehors ! »

Bobby Thompson leva les mains en un geste d’apaisement.

— Allons, mesdames et messieurs, allons. Ecoutons d’abord ce qu’il a à nous dire.

Peu à peu, le calme revint.

Richards faisait face à la salle, la tête basse, les épaules rentrées, comme un taureau prêt à foncer. Il savait qu’il projetait exactement l’image de peur viscérale et de méfiance que les organisateurs désiraient, mais c’était plus fort que lui.

Il fixa Thompson d’un regard haineux.

— Cette photo de ma femme, quelqu’un va la payer cher, dit-il dans un murmure rauque. Je lui ferai bouffer ses couilles...

— Parlez plus fort, monsieur Richards ! dit Thompson avec juste ce qu’il fallait de mépris dans la voix. Personne ne vous fera de mal... Pas encore, du moins.

De nouveau, des cris hystériques fusèrent.

Richards releva brusquement la tête. Les spectateurs se turent, comme s’ils avaient reçu une gifle en plein visage. Des femmes le regardaient avec une expression de terreur presque sexuelle. Des hommes le fixaient avec un rictus meurtrier.

— Pourritures ! cria-t-il. Si vous tenez tant à voir le sang couler, qu’est-ce que vous attendez pour vous entre-tuer ?

Des rugissements couvrirent ses derniers mots. Quelques spectateurs (peut-être payés pour cela) essayèrent de monter sur la scène. Des policiers les retinrent. Richards leur faisait face, conscient d’avoir une expression à peine humaine.

— Merci pour ces paroles de sagesse, dit Thompson, qui ne déguisait plus son mépris. Pourriez-vous dire à notre public, et à tous les téléspectateurs, combien de temps vous pensez tenir ?

— Je tiens à dire à tous ceux qui suivent cette émission que la photo de ma femme qui vous a été présentée était une grossière falsification. Elle...

Des hurlements haineux l’empêchèrent de poursuivre. La foule devenait incontrôlable. Thompson dut attendre plus d’une minute avant de pouvoir répéter sa question :

— Combien de temps pensez-vous tenir,
monsieur
Richards ?

— Je compte aller jusqu’au bout des trente jours, dit Richards avec un calme glacial. Je ne crois pas que vous ayez quelqu’un d’assez fort pour m’avoir.

Nouveaux hurlements. Poings brandis. Quelqu’un lança une tomate.

Les bras levés, Bobby Thompson cria pour couvrir le tumulte :

— Sur ces paroles de défi purement gratuites, M. Richards va nous quitter. Demain à midi précis, la chasse commence.
N’oubliez pas son visage !
Il sera peut-être à côté de vous dans un pneumo... dans un jet... dans une salle de 3— D... ou vous le croiserez dans la rue. Ce soir, il est à Harding. Demain, New York ? Boise ? Albuquerque ? Colombus ? Caché derrière
votre
maison ?
Le dénoncerez-vous ?

Un cri assourdissant surgit de mille gosiers :

— 
OUIII !

Richards leva soudain la main, le majeur et l’index écartés pour former un V, signe de la victoire. Cette fois, ils se précipitèrent en masse sur la scène. Protégé par un cordon de policiers, Richards fut entraîné vers les coulisses avant qu’ils ne puissent le lyncher en direct, ce qui aurait privé le Réseau de plusieurs jours d’émissions haletantes.

Compte à rebours...
080

Killian l’attendait en coulisses, plié en deux de rire.

— Bravo, monsieur Richards, bravo ! C’était superbe. Le coup du « V », génial ! Dommage que je ne puisse pas vous donner une prime, ça le méritait. Le geste de la fin... superbe !

— Il faut toujours contenter son employeur, dit Richards tandis qu’une pub apparaissait sur les écrans. Donnez-moi cette foutue caméra et allez vous branler ailleurs.

— Ce n’est pas dans mes goûts, répondit Killian sans cesser de sourire. Mais voici la caméra. (Il la prit des mains d’un technico qui attendait à proximité.) Chargée et prête à fonctionner. Et les cassettes.

Il lui tendit une petite boîte oblongue, étonnamment lourde pour sa taille.

Richards glissa la caméra dans une des poches de sa combinaison et les cassettes, dans l’autre.

— Bien. Où est l’ascenseur ?

— Pas si vite... Vous avez bien une minute ? Treize, en fait. Votre avance de douze heures ne commence officiellement qu’à 6 h 30.

Les hurlements de rage avaient repris. En regardant par-dessus son épaule, Richards vit que Laughlin était en scène. Il aurait voulu pouvoir lui souhaiter bonne chance.

— Vous me plaisez, Richards, et je pense que vous vous débrouillerez bien, reprit Killian. Vous avez un style nature qui me plaît immensément. Je suis un collectionneur, vous savez. Ma spécialité est l’art égyptien et préhistorique. Vous êtes plus proche de l’art des cavernes que des idoles égyptiennes, mais peu importe. J’aimerais vous mettre dans ma collection, à côté des peintures rupestres asiatiques.

— Accrochez mon électro-encéphalo au mur, espèce de salaud ! Ils ont dû le garder, en bas.

— J’aimerais par conséquent vous donner un conseil, poursuivit Killian, ignorant l’insulte. En fait, vous n’avez pas une chance de vous en tirer : personne ne peut survivre à une chasse à l’homme qui mobilise la nation entière, sans oublier l’entraînement et le matériel incroyablement sophistiqué des Chasseurs. Mais si vous adoptez un profil bas, vous durerez plus longtemps. Servez-vous davantage de vos jambes que des armes que vous pourrez trouver. Et... (il leva l’index pour donner plus de poids à ces mots)... restez près des pauvres, des gens comme vous. Evitez ces braves bourgeois : ils vous
haïssent
. Vous symbolisez toutes les peurs de cette époque instable et ténébreuse. Ce n’était pas que du théâtre, dans la salle. Ils vous haïssent de toutes leurs tripes, Richards. Vous l’avez senti ?

— Je l’ai senti. Moi aussi, je les hais.

Killian sourit.

— C’est bien pour ça qu’ils vont vous tuer. (Il prit Richards par le bras. Sa poigne était d’acier.) Par ici, venez.

Derrière eux, Bobby Thompson harcelait Laughlin à la grande joie de l’audience.

Un couloir blanc dont les parois renvoyaient l’écho de leurs pas. Au bout, un ascenseur.

— C’est ici que nous prenons congé, dit Killian. Express jusqu’à la rue. Neuf secondes.

Pour la quatrième fois, il lui tendit la main. Pour la quatrième fois, Richards la refusa. Pourtant, il s’attarda un moment.

— Et si je pouvais monter ? demanda-t-il, indiquant de la tête les quatre-vingts étages qui se trouvaient au-dessus d’eux. Qui pourrais-je tuer, là-haut ? Qui pourrais-je tuer si j’arrivais au sommet ?

Killian eut un rire qui n’était peut-être pas dénué de sympathie.

— Voilà ce qui me plaît chez vous. Vous pensez grand.

Il appuya sur un bouton. Les portes s’ouvrirent. Richards monta dans l’ascenseur. Les portes commencèrent à se refermer.

— Profil bas, répéta Killian, et Richards se retrouva seul.

Tandis que l’ascenseur tombait comme une pierre vers la rue, il sentit son estomac se décrocher.

Compte à rebours…
079

L’ascenseur s’ouvrait directement sur la rue. Un flic était posté juste à côté, à l’entrée du
Nixon Memorial Park
. Il ne se retourna même pas lorsque Richards sortit. Le nez levé vers la bruine qui tombait sans discontinuer, il tapotait songeusement son aiguillon électrique.

Comme le ciel était couvert, il faisait déjà presque nuit.

Les lampadaires étaient entourés de halos colorés. Les passants n’étaient guère plus que des ombres ; Richards n’était lui-même qu’une silhouette anonyme. Il emplit ses poumons d’air épais et chargé d’humidité. C’était bon, en dépit de l’odeur sulfureuse. Il avait l’impression de sortir de prison. Rien ne valait le grand air.

Restez près des gens comme vous
, lui avait dit Killian. Il avait raison, bien sûr. Richards n’avait pas besoin de lui pour le savoir. Il savait aussi que demain à midi, lorsque la trêve serait finie, ce serait l’enfer à Co-Op City. Mais d’ici là, il serait loin.

Il marcha pendant un bon quart d’heure, puis fit signe à un taxi. Il espérait que le Libertel du taxi serait cassé ; c’était souvent le cas. Pas de chance : celui-ci fonctionnait parfaitement. Sur l’écran, il aperçut le générique de
La Grande Traque
. Merde !

— Vous allez où ?

— Robard Street.

C’était à distance prudente de sa destination. Ensuite, il connaissait des itinéraires détournés pour se rendre chez Molie.

Le vieux taxi à essence accéléra dans un grand fracas de pistons et de soupapes. Richards se renfonça dans le siège revêtu de vinyle, espérant que l’ombre cacherait son visage.

— Dites donc ! s’exclama soudain le chauffeur. Vous êtes pas le gars que je viens de voir au Libertel ? Pritchard ?

— C’est ça, dit Ben avec résignation. Pritchard.

La silhouette massive du Building des Jeux s’éloignait derrière eux. En dépit de sa malchance avec le chauffeur, il se sentait déjà plus léger.

— Ben mon vieux, on peut dire que vous avez pas froid aux yeux. Ils vont vous zigouiller, vous savez. Et comment ! Faut vraiment que vous ayez des couilles !

— Absolument, approuva Ben. Deux. Juste comme vous.

— Elle est bien bonne, celle-là ! Super ! Faudra que je la raconte à ma femme. C’est une vraie fan des Jeux. Faudra que je signale que j’vous ai vu, mais pour les cent dollars, c’est râpé. Les chauffeurs de taxi y ont droit que s’ils ont un témoin. Et personne vous a vu monter. C’est bien ma chance...

— Pas de pot. Désolé de ne pouvoir vous aider à me tuer. Vous voulez que je vous donne un mot certifiant que vous m’avez pris ?

— Vous feriez ça ? Bon Dieu, ça serait vraiment...

Ils venaient de franchir le Canal.

— Arrêtez-moi ici, dit Ben brusquement.

Il sortit un nouveau dollar de l’enveloppe que Thompson lui avait donnée et le laissa tomber sur le siège avant.

— Je vous ai pas vexé, au moins ? C’est pas à cause de…

— Non.

— Vous me le donnez, ce mot ?

— Va te faire voir, pauvre mec.

Il sortit et prit la direction de Drummond Street. Devant lui, se dressaient les sinistres immeubles de Co-Op City, à peine éclairés. Il entendit le chauffeur lui crier :
J’espère qu’ils te descendront bientôt, petit con !

Compte à rebours...
078

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