The Running Man (18 page)

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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

Richards le regarda dévaler la colline, avec sa grosse chemise à carreaux jaunes et rouges, suivi par son chien qui jappait joyeusement.
Dire que Sheila et Cathy n’ont jamais connu ça !

Sans même qu’il en eût conscience, son visage se crispa en une terrifiante grimace de haine et de rage. Il aurait maudit Dieu et la création entière si son esprit ne lui avait présenté une cible plus réaliste : la Fédération des Jeux. Et derrière elle, l’ombre d’un dieu encore plus ténébreux : le Réseau.

Dès qu’il eut vu le gosse, au loin, mettre les cassettes dans la boîte, il se leva avec raideur, s’aidant de sa béquille improvisée. Se maintenant à distance prudente du hameau, il gagna lentement une intersection qu’il avait aperçue.

Le jetport, pourquoi pas. Et avant que tout ça ne soit fini, il réglerait peut-être ses comptes.
Quelqu’un devait payer.

Compte à rebours...
045

Arrivé au croisement, Richards s’assit sur l’accotement, comme un auto-stoppeur découragé qui se repose un moment au doux soleil automnal. Il laissa passer les deux premières voitures. Dans chacune, il y avait deux hommes. Trop risqué. Un sentiment familier, proche du désespoir, l’envahit de nouveau. Toute la région devait être en alerte, même si Parrakis avait réussi à aller loin. Si une voiture de police arrivait, il était cuit.

Lorsqu’une troisième voiture approcha du stop, il se leva. Une femme seule. Il lui fit signe du pouce. Elle ne le regarda même pas : un auto-stoppeur, cela s’ignore. Il ouvrit la portière et se précipita à l’intérieur au moment même où elle redémarrait. Il eut tout juste le temps de rentrer son pied droit et de claquer la portière, lorsqu’elle freina sec. S’il ne s’était pas retenu à la poignée, cela lui aurait fait une bosse de plus.

— Mais qu’est-ce qui vous permet... Vous ne pouvez pas...

Richards pointa le pistolet sur la femme. Il devait avoir un aspect redoutable, avec son visage en sang. Excellent : plus il lui ferait peur, mieux ça marcherait. Elle était vêtue de façon assez élégante et portait de grosses lunettes ovales à verres mauves. Pas vilaine, pour autant qu’il pût en juger.

— Roulez, lui ordonna Richards.

Elle se tourna alors vers lui, et eut la réaction prévisible : elle poussa un cri aigu et, les deux pieds sur le frein, s’exclama :

— Vous êtes ce... vous êtes... Rrrr...

— Ben Richards. (Il leva un peu plus le pistolet.) Otez vos mains du volant et posez-les sur vos genoux.

Elle obéit, prise d’un tremblement incontrôlable, puis se détourna, incapable de le regarder plus longtemps.

— Comment vous appelez-vous, m’dame ?

— A... Amélia Williams. Ne tirez pas. Ne me tuez pas... Je... Prenez mon argent, prenez la voiture, mais pour l’amour du ciel,
ne me tuez paaaaas !

— Chut ! chut... Surtout, ne criez pas.

Dès qu’elle se fut un peu calmée, il ajouta :

— Je n’essaierai pas de vous faire changer d’avis à mon sujet, madame Williams. C’est bien madame ?

— Oui, répondit-elle automatiquement.

— Je n’ai pas l’intention de vous faire de mal. Vous comprenez ?

— Oui, dit-elle, reprenant espoir. Vous voulez la voiture. Ils ont pris votre ami et il vous faut une voiture. Prenez-la. Je ne le dirai à personne. Je le jure. Je dirai qu’on me l’a volée dans un parking. Je...

— Nous en reparlerons. Démarrez, madame Williams. Prenez la Une et on verra la suite. Il y a des barrages ?

— N... Oui. Des centaines. Vous ne passerez jamais.

— Ne mentez pas, madame Williams. D’accord ?

Elle commença à conduire, d’abord très mal, puis de plus en plus normalement. Richards lui demanda de nouveau s’il y avait des barrages aux environs.

— Il y en a un. Juste avant Lewiston. C’est là qu’ils ont pris l’autre cra... l’autre type.

— C’est loin d’ici ?

— Dans les cinquante kilomètres.

Parrakis était allé bien plus loin qu’il ne l’aurait cru.

— Vous allez me violer ?

La question était si soudaine que Richards faillit éclater de rire.

— Non, dit-il posément. Je suis marié.

— Je l’ai vue au Libertel.

Son ton était si dédaigneux qu’il eut envie de la gifler.
Bouffe de la merde. Tue un rat caché dans le placard, tue-le à coups de balai. Et on verra sur quel ton tu parles de ma femme !

— Je pourrai bientôt descendre ? demanda-t-elle d’une voix tellement suppliante qu’il eut presque pitié d’elle.

— Non. Vous êtes ma protection, madame Williams. Il faut que j’aille au jetport de Voigt Field, c’est près de Derry. Je compte sur vous pour y arriver sans encombre.

— Mais c’est à près de deux cent cinquante kilomètres !

— Quelqu’un d’autre m’avait dit cent cinquante.

— On vous a mal renseigné. Vous n’y arriverez jamais.

— J’ai une chance, dit Richards en la regardant. Et vous aussi, si vous ne faites pas de bêtises.

Elle se remit à trembler un peu, mais ne dit rien. Elle avait l’attitude d’une femme qui attend de se réveiller d’un cauchemar.

Compte à rebours...
044

Ils roulaient vers le nord, traversant des forêts incandescentes.

Ici, les arbres n’étaient pas assassinés par les fumées vénéneuses de Portland, Manchester et Boston. L’automne resplendissait de tous les tons de jaune, d’orange et de rouge. Cette splendeur éveilla en Richards une profonde mélancolie – sentiment dont il ne se serait jamais cru capable une semaine auparavant. Et dans un mois, toute cette beauté serait ensevelie sous la neige.

Ainsi finit toute chose.

Sentant peut-être son humeur, elle conduisait en silence. Le chuintement de l’air sur la carrosserie était apaisant. A Yarmouth, ils franchirent un pont. Ensuite, de nouveau la forêt, avec des caravanes et de misérables bicoques en bois. Mais partout, en regardant bien, l’on pouvait voir le raccord des câbles du Libertel, fixé à côté d’une fenêtre branlante ou d’une porte à la peinture écaillée. Peu après, ils arrivèrent à Freeport.

Trois voitures de police étaient arrêtées à l’entrée de la petite ville. Les flics étaient descendus et semblaient tenir une conférence au bord de la route. La femme se raidit et devint d’une pâleur mortelle. Richards resta parfaitement calme.

Les policiers ne levèrent même pas la tête à leur passage. La femme s’affaissa imperceptiblement dans son siège.

— S’ils avaient surveillé la circulation, ils nous auraient sauté dessus, fit observer Richards avec détachement. Vous ne voyez pas la tête que vous faites. Vous pourriez aussi bien peindre en rouge BEN RICHARDS EST DANS CETTE VOITURE sur votre front.

Il eut un rire sarcastique.

— Vous vous moquez de moi ? dit-elle, piquée au vif. Vous osez rire de moi ? Vous avez du culot, espèce de vulgaire assassin ! Vous me faites mourir de peur, et vous avez sûrement l’intention de me tuer comme vous avez massacré ces pauvres gars à Boston...

— Ces pauvres gars étaient au moins une vingtaine. Prêts à me tuer. Parce que c’est leur boulot.

— Vous êtes prêt à tout pour de l’argent ! Tuer ! Mettre le pays à feu et à sang ! Pourquoi ne faites-vous pas un travail honnête ? Je vais vous le dire : parce que vous êtes trop paresseux ! Vous haïssez tous les gens honnêtes et décents !

— Etes-vous une femme honnête ? demanda Richards.

— Oui ! s’écria-t-elle. C’est pour cela que vous m’avez choisie ? Parce que j’étais sans défense et... honnête ? Pour me rabaisser à votre niveau, pour me ridiculiser ?

— Si vous êtes tellement honnête, comment se fait-il que vous vous soyez payé une voiture de six mille nouveaux dollars pendant que ma petite fille meurt de la grippe ?

— Quoi ? (Elle parut un moment prise au dépourvu, puis redressa le menton.) Vous êtes un ennemi du Réseau. On l’a dit au Libertel. J’ai également vu les choses répugnantes que vous avez faites.

Richards prit une cigarette dans le paquet posé sur le tableau de bord et l’alluma.

— Je vais vous dire ce qui est répugnant. Ce qui est répugnant, c’est d’être mis à l’index parce que vous ne voulez plus faire pour
General Atomics
un travail qui rend stérile. C’est répugnant d’être au chômage et de voir votre femme gagner de quoi manger en se prostituant. C’est répugnant de savoir que le Réseau tue chaque année des millions de personnes à cause de la pollution, alors que le prix de revient d’un filtre efficace est de dix dollars.

— Vous mentez.

Elle serra farouchement les mâchoires.

— Quand ça sera terminé, vous pourrez regagner votre luxueux duplex et allumer une Dokes en regardant scintiller l’argenterie sur le buffet. Aucun de vos voisins ne poursuit les rats dans les escaliers en brandissant un balai ; aucun ne va chier devant la porte parce que les toilettes sont bouchées. Il y a quelques jours, j’ai rencontré une petite fille de cinq ans qui mourait d’un cancer des poumons. C’est assez répugnant pour vous, ça ? Qu’est-ce que...

— Taisez-vous ! cria-t-elle.
Vous êtes obscène !

— Obscène, c’est le mot, dit-il en regardant défiler le paysage, tandis qu’un désespoir glacé l’envahissait.

Toute communication était impossible avec ces élus. Ils vivaient dans des sphères raréfiées où rien ne les atteignait. Il eut une soudaine envie de lui arracher ses belles lunettes, de la jeter dehors et de la traîner dans la poussière, de la forcer à manger du gravier, de lui casser plusieurs dents puis de la violer, de lui sauter dessus à pieds joints ― et de lui demander si elle commençait à voir l’ensemble du tableau, le spectacle qui se joue vingt-quatre heures sur vingt-quatre et n’arrête jamais.

— Obscène, répéta-t-il entre ses dents. C’est exactement cela.

Compte à rebours...
043

Ils arrivèrent jusqu’à une jolie ville nommée Camden, au bord de la mer, à plus de cent cinquante kilomètres de l’endroit où il était monté dans la voiture d’Amélia Williams. Il était presque miraculeux qu’ils aient pu aller aussi loin sans avoir le moindre ennui.

Auparavant, il avait fallu traverser Augusta, la capitale de l’Etat.

— Ecoutez, lui avait-il dit. Il y a de fortes chances pour qu’on soit repérés ici. Je n’ai aucun intérêt à vous tuer. Vous pigez ?

— Oui. (Son ton se fit venimeux :) Il vous faut un otage.

— Tout juste. Si un flic vous fait signe, vous vous arrêtez. Immédiatement. Vous ouvrez la portière et vous vous penchez dehors. J’ai dit
penchez
 : votre derrière ne doit pas quitter le siège. C’est clair ?

— Oui.

— Et vous braillez : Benjamin Richards m’a prise en otage. Si vous ne le laissez pas passer, il va me tuer.

— Vous vous imaginez que
ça
va marcher ?

— Il y a intérêt, dit-il avec une raillerie féroce. Si vous tenez à votre peau...

Elle se mordit les lèvres et ne dit rien.

— Je crois que ça marchera. En un rien de temps, ça va grouiller de cameramen indépendants qui visent le prix Zapruder ou au moins une prime. Avec ce genre de publicité, ils seront obligés de respecter la règle du jeu. Pas moyen de vous trouer la peau avant de vous présenter comme la dernière victime de l’horrible Ben Richards.

— Vous pourriez vous abstenir de
dire
des choses pareilles.

Sans répondre, il s’enfonça le plus possible dans son siège, et attendit les sirènes de police.

Il n’y eut pas de sirènes à Augusta, ni de gyrophares bleus. Après avoir traversé la ville, ils continuèrent à rouler pendant une bonne heure. La route longeait l’océan. Le soleil déjà bas dardait ses rayons à travers les pins, faisant miroiter la crête des vagues. La forêt alternait avec de petits champs. Ils franchirent plusieurs ponts.

Peu après 2 heures, aux abords de Camden, ils aperçurent le barrage : deux voitures de patrouille garées de sorte à laisser une seule voie libre. Richards vit deux policiers jeter un coup d’œil à l’intérieur d’une camionnette et faire signe au conducteur de repartir.

— Roulez encore cent mètres, puis arrêtez-vous dit-il à la femme. Ensuite, faites exactement ce que je vous ai dit.

Elle était pâle, mais semblait capable de se contrôler. Résignée, sans doute. Elle freina en douceur. L’air-car s’immobilisa au milieu de la chaussée, à une quinzaine de mètres des flics.

L’un d’eux lui fit des signes impérieux de la main.

— Avancez, avancez !

Comme la voiture restait obstinément sur place, il lança un regard interrogateur à son compagnon. Un troisième flic, qui était resté dans une des voitures, les pieds sur le tableau de bord, se redressa et se mit à parler rapidement dans son micro.

Et voilà
, se dit Richards.
C’est parti !

Compte à rebours...
042

Le ciel était limpide (la pluie et la bruine de Harding semblaient à des années-lumière) et la lumière crue soulignait vigoureusement les contours des objets. Les policiers commencèrent à dégainer.

Mme Williams ouvrit la vitre et passa la tête dehors.

— Ne tirez pas, s’il vous plaît, dit-elle.

Pour la première fois, Richards se rendit compte à quel point sa voix était mélodieuse et raffinée. N’étaient le pouls qui faisait battre les veines de son cou et ses mains exsangues à force de se crisper sur le volant, elle aurait pu se trouver dans un salon. Le vent leur apportait une odeur revigorante de pins et d’herbe fraîchement fauchée.

— Sortez de la voiture, les mains sur la tête, récita le premier flic comme une machine bien programmée. (G-A modèle 6925— A9, policier de la route standard piles iridium comprises. Se fait en blanc seulement.) Vous et votre passager. Nous l’avons vu.

Richards s’était blotti sur son siège ; seules quelques mèches de cheveux dépassaient du tableau de bord.

— Mon nom est Amélia Williams, cria-t-elle. Je ne peux pas descendre. Benjamin Richards m’a prise en otage. Si vous ne le laissez pas passer, il dit qu’il va me tuer.

Les deux flics se regardèrent. Richards, les nerfs à vif, dut sentir le message muet qu’ils échangeaient.

— 
Démarrez !
hurla-t-il.

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