The Setting Lake Sun (5 page)

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Authors: J. R. Leveillé

It occurred to me that the duration of this exhibition, from early May to the end of June, coincided with springtime. Aron was delighted.

As for me, I had the feeling that events were condensing around me.

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J'avais vécu quelques mois avec Aron après avoir terminé mes études secondaires, l'année avant que j'entre­prenne des études préparatoires dans l'espoir d'être admise à la faculté d'architecture.

Aron étudiait les Beaux-Arts. Il voulait que je pose pour lui et me citait continuellement des passages mystiques de la Kabbale pour me convaincre.

Je lui répétais que je n'étais pas juive.

Il était cependant comme un sort jeté sur moi et je n'ai pas hésité à emménager chez lui.

*

I had lived with Aron for several months after I finished high school, the year before doing prep work at the university in the hope of being admitted to the school of architecture.

Aron was studying fine arts. He wanted me to pose for him. He tried to persuade me by quoting mystical passages of the Kabbalah.

I told him again and again that I wasn't Jewish.

At the same time my being with him was a fate of some kind that had been visited upon me, and I didn't hesitate to move in with him.

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Je pense souvent à Aron. Nous sommes demeurés de bons amis. J'aime les gens qui s'abandonnent à leur passion.

Nous étions fous l'un de l'autre. Je me souviens que nous nous sommes à peine quittés tout au long de ces mois.

J'ai compris depuis qu'il y a une perfection dans la relation des êtres qui s'aiment. Elle relève du temps et des circonstances, et leur bonheur n'est pas attaché à une permanence.

*

We were crazy about each other. For months we were seldom apart.

Since that time I've come to understand that there is a kind of perfection in the connection between beings who love each other. This perfection is a function of timing and circumstances, and the happiness it brings does not reside in permanence.

I often think of Aron. We've remained good friends. I like people who give themselves up to their passion.

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Quand j'ai rencontré Ueno, j'ai cru que mon sentiment pour lui ressemblait à celui que j'avais éprouvé en faisant la connaissance d'Aron. Par contre, Aron était plutôt noir, un peu trouble. Éclatant, avec une ombre. J'aurais aimé lui avoir apporté un peu de calme. Je crains de ne lui avoir donné que l'impétuosité joyeuse d'une adolescente.

Ueno m'a dit une fois : « Même Bodhidharma s'est fatigué d'être illuminé, alors il est sorti promener son singe. »

*

When I met Ueno I believed that my feeling for him resembled that I'd had for Aron when I met him. And yet Aron was darker, more obscure. Explosive, with a cloud hanging over. I would have liked to bring some calm into his life. I'm afraid that I brought him only a teenager's joyful impulsiveness.

Ueno once told me, “Even Bodhidharma grew tired of being enlightened, and then he would take his monkey out for a walk.”

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Moi aussi j'avais un côté un peu sombre. Nous nous sommes rendu compte que nous étions meilleurs amis avant d'habiter ensemble. Aussi grande l'effusion, aussi terrassant l'abîme. Nous n'étions pas faits pour être le quotidien de l'autre. Par ailleurs, lorsque nous fixions des rendez-vous, le monde était magique. Je n'ai jamais compris pourquoi, je savais que c'était juste.

*

I had a darker side, too. We realized that we'd been better friends before we started to live together. The greater the height, the deeper the gulf. Neither of us was made to be the other's day-to-day companion. But when we made plans to meet, the world became a magical place. I have never understood why, I only knew that it was true.

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Cet état de choses n'avait rien à voir avec nos activités ou nos attitudes l'un envers l'autre. Par exemple, si je dormais et que je risquais d'arriver en retard au travail, il ne disait rien. Il me laissait faire. Tout était paisible de ce côté-là. Si nous étions sombres ensemble, plus rien n'allait. Et notre fréquentation domestique multipliait les occasions de nous assombrir. Alors qu'avant, si je décidais de passer la journée chez lui, il ne me renvoyait pas. Il me laissait rester, même si lui devait sortir. Si je venais passer la nuit – je demeurais alors chez ma mère avec ma sœur –, je me glissais dans sa vie sans m'ingérer.

Ce n'est pas que nous étions réservés ou polis. Non. Tout était parfait et tranquille – même dans les bousculades – lorsque nous étions en état de visite.

*

This state of affairs was unrelated to what we did or our attitude to one another. For example, if I overslept and risked being late for work, he would not get involved. He let me be. Everything went smoothly in that regard. But if we happened to be gloomy at the same time, everything fell apart. Living together made it worse. Whereas before, if I were to spend the day at his house, he wouldn't send me away. He let me stay, even if he had to go out. If I came over to spend the night—at the time I was living with my mother and my sister—I slipped in and out of his life without interfering.

It wasn't that we were restrained or polite with each other. No. Everything was perfect and calm between us—even when we were euphoric—as long as it was just for a visit.

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Lorsqu'Aron, au téléphone, m'avait demandé de lui donner un coup de main pour son installation, il avait semblé préoccupé, sombre. Le jour venu, il était plein d'entrain. Peut-être pas absolument certain de tous les choix qu'il avait à faire, mais de très bonne humeur. Était-ce dû à ma présence ? Je n'ose pas m'accorder ce pouvoir. C'est ainsi que ça fonctionnait entre nous. La preuve.

*

When Aron called to ask me to help him with his installation, he seemed distracted and a little down. But when the day came he was full of energy. He might not have been absolutely clear on all the decisions he had to make, but he was in a very good mood. Was it because I was there? I wouldn't presume to grant myself that kind of power. It's just how it worked between us. That's who we were.

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Je connaissais Aron depuis longtemps. Sans le savoir. Son père tenait la petite épicerie près de la ruelle, lorsque nous habitions aux coins des rues Bannatyne et Kate. J'avais peut-être huit ou neuf ans à l'époque. J'allais à l'école du Sacré-Cœur, à une rue de là. Aron étudiait à l'école anglaise située en face.

Le soir et les fins de semaine, sa sœur et lui travaillaient au magasin. Lorsque j'avais quelques sous, j'allais acheter des bonbons. Je me rappelle m'être toujours étonnée que ce jeune garçon ait les cheveux aussi roux.

*

I had known Aron for a long time, without even realizing it. His father ran the little grocery store by the lane at the corner of Bannantyne and Lydia where we lived when I was eight or nine years old. I attended the French school, Sacré-Coeur, one street over. Aron went to the English school across the street.

He and his sister worked at the store in the evenings and on weekends. Whenever I had a couple of pennies to spend, I went there to buy candies. It seemed to me that there were always delicious things to be found in that store. It was quite a bazaar. I remember finding it extremely strange that a young Jewish boy should have such red hair.

It was only later, when we met again, that this shared memory came back to us.

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Ce n'est que plus tard, lorsque nous nous sommes rencontrés, que ce souvenir commun nous est revenu.

Il me semble qu'il y avait toujours de bonnes choses dans ce magasin. C'était un véritable bazar.

— Qu'en penses-tu ? m'a demandé Aron.

— Oui, c'est parfait comme ça.

— Tu vois, tu n'as rien à faire vraiment. Tu n'as qu'à être là et tout tombe en place.

*

“How does it look?” he asked me.

“Oh, yes, I think it's going to be just perfect.”

“You see, you don't actually have to do anything. You just have to be there and everything comes together.”

36

La sœur d'Aron est arrivée vers treize heures trente et nous avons décidé d'aller prendre une soupe dans le quartier chinois, à quelques pas de là.

Aron n'est pas resté longtemps, car il avait beaucoup à faire et il se sentait emporté par l'élan du travail. Sara et moi sommes demeurées longtemps à parler et à boire du thé.

*

Aron's sister Sara arrived at about one-thirty and the three of us decided to have a bowl of soup together in the Chinese district, which was a short distance from the gallery.

Aron didn't stay very long, because he had a lot to do and he was caught up in the momentum of his work. Sara and I stayed a long time, talking and drinking tea.

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Tous les autres clients étaient partis; le patron – j'imagine – et le cuisinier s'étaient installés à l'arrière et fumaient.

La serveuse, assez vieille, sans doute l'épouse du patron, est venue à notre table.

Sara et moi relaxions et nous nous amusions comme deux jeunes filles dans un carré de sable.

Elle nous a demandé en semblant hocher la tête :

—
Mo' tea ?

J'avais une terrible envie de pisser.

*

All the other customers had left. The man I took to be the owner was sitting down at a table in the back with the cook, smoking cigarettes.

The waitress, an older woman who was no doubt the owner's wife, came over to our table.

Sara and I had relaxed into a playful mood, and we were like two little girls in a sandbox.

The old woman seemed to nod her approval as she asked, “Mo' tea?”

I felt like my bladder was already bursting.

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Sara avait six ans de plus que son frère. Elle était pressière dans l'atelier Rinella à Saint-Boniface. J'ai développé une aussi bonne amitié avec elle qu'avec son frère. Elle m'avait acceptée tout de suite quand Aron m'avait présentée.

Sara et moi avions pris l'habitude de nous rencontrer le vendredi après-midi, car l'atelier fermait plus tôt ce jour-là.

J'aimais bien son patron, Frank. Et j'aimais me rendre à l'atelier. J'adorais cette odeur d'encre qui flottait comme une mare invisible.

*

Sara was six years older than Aron. She worked the presses at Rinella Printers in Saint-Boniface. I had developed as strong a friendship with her as with her brother. We'd hit it off immediately when Aron had introduced us.

Sara and I had developed the habit of getting together on Friday afternoons when the printer's closed early.

I very much liked her boss, Frank. And I liked visiting the shop. I loved the smell of ink that pooled invisibly in the air.

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Frank était un petit Italien parfois sérieux, mais toujours jovial et accueillant. Sa voix rauque me plaisait. Il conservait toujours au sous-sol quelques cruches de vin maison.

— L'encre couvre l'odeur de l'alcool, disait-il.

Je n'en étais pas très consciente à l'époque. À mesure que je me suis davantage familiarisée avec la littérature et les écrivains, j'ai acquis la conviction que l'encre couvrait en effet l'odeur de l'alcool.

*

Frank was a small Italian man who sometimes looked very serious, but who was always friendly and welcoming. His hoarse voice was pleasing to my ear. And he always kept several jugs of homemade wine in the basement.

“The ink hides the smell of the alcohol,” he would say.

It didn't mean much to me at the time, but as I became more familiar with writing and writers, I became convinced that ink did indeed cover up the smell of alcohol.

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Aron, malgré son côté mystique, était mordu d'existentialisme. J'avais mis la main chez lui sur un Journal de Simone de Beauvoir. Dans ces pages, elle raconte comment, à la fin de sa vie, Sartre cachait la bouteille de whisky derrière les volumes de sa bibliothèque.

*

Despite his mystical tendencies, Aron was obsessed with existentialism. At his house I came upon one of Simone de Beauvoir's journals. In it she recounts how, towards the end of his life, Sartre would hide his bottle of whiskey behind the books on a shelf.

41

Frank voulait toujours nous faire goûter son vin. Parfois nous acceptions plus d'un verre. Il nous racontait des histoires du « vieux pays ». Il était lui-même né ici, bien après que son père fut venu d'Italie établir le commerce. Soixante-cinq ans que la famille brassait des affaires. Son père avait fait la navette entre le Nouveau Monde et l'Histoire ancienne. Mais Frank racontait tout cela comme s'il l'avait lui-même vécu.

Les jours où nous descendions au sous-sol avec lui, nous remontions et partions fort joyeuses.

L'alcool me faisait un tel effet que je ne pouvais trop en consommer. Frank m'appelait, par dérision, Miss Magnum. Sara, elle, était sans gêne.

Les vendredis où nous refusions son vin parce que nous voulions aller nous balader toutes seules, il nous offrait un cigare.

Nous partions bien sûr les mains vides.

*

Frank always wanted us to taste his wine. We sometimes accepted more than one glass. He would tell us stories about “the old country.” He himself had been born here, long after his father had arrived from Italy and started the printing establishment. The family had been in the business for 65 years. His father was the one who'd commuted back and forth between the New World and the Old, but Frank told those stories as if they were his own.

On those days when we followed him down to the basement, we'd come back up in a wonderful mood.

Alcohol had such an effect on me that I couldn't drink very much. Frank derisively called me Miss Magnum. Sara, however, was shameless.

On Friday afternoons when we refused his offer of wine because we wanted to go off on our own, he would offer us a cigar.

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