The Setting Lake Sun (15 page)

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Authors: J. R. Leveillé

J'étais attirée par ces pages. Je ne sais si je puis dire qu'une grande légèreté m'envahissait ou sortait de moi ; j'entrais, même à l'époque où tout ce travail me semblait difficile, dans une espèce d'état parfait. Je ne puis l'exprimer autrement.

*

I had also become aware of something interesting. Like the very first time, I would translate mostly at night, totally absorbed in the work.

I can't explain why, but sometimes I would go at it when I had come home in a state of exhaustion, or when I couldn't get to sleep, or when I woke up in the middle of the night.

The pages of poems drew me. I felt a great lightness as I worked and I can't say whether it possessed me or I possessed it. Even during the time when it seemed so hard, I would still enter into a sort of perfect state. I don't know how else to put it.

132

J'étais sans doute un peu sentimentale. J'avais placé ma table de travail devant la fenêtre. J'y avais rangé le bocal du poisson et j'allumais une bougie. La fenêtre ouverte donnait sur la rue en bas, généralement calme. C'était, cet été-là, une ouverture sur une grande fraîcheur. Même les soirs où la chaleur était plutôt accablante, le cadre de la nuit devant ma table transportait toujours un air frais et bleu.

J'avais le sentiment que cet appartement était planté au centre-ville en face de la falaise de la rue que creusaient les gratte-ciel et les anciennes usines et les entrepôts.

Devant moi, cette profondeur bleu noir ; sur la table, les reflets auréolés de la bougie dans le bocal du poisson rouge. Je sentais que j'étais comme une mince couche entre la nuit et les étoiles. Un très minuscule tissu entre opacité et transparence.

Je ne veux pas dire que j'étais cette feuille vibrante devant moi. Mais tout cet univers s'assemblait ainsi : la nuit, la flamme de la bougie, et cette page où je laissais apparaître des tracés sismographiques.

J'avais acheté une belle encre de Chine qui semblait correspondre à l'œuvre imprimée chez Rinella.

*

There's no question that my approach was a little sentimental. I had moved my table under the window and placed the fishbowl on it. Before setting to work I would light a candle. The open window gave on to the street below, which was usually quiet. That summer it was a portal into a refreshing coolness. Even on nights when the heat was crushing, the framed square of night before my table would bring me a breath of fresh, blue-tinged air.

My downtown apartment seemed to be suspended opposite a cliff-face of high-rises, abandoned factories and warehouses that lined the street.

Facing me was that deep blue-black space and on the table the haloed reflections of the candle flame in the goldfish bowl. It was as if I were a fine membrane between the night and the stars, the thinnest of tissues dividing the opaque from the transparent.

I don't mean to say that I was that vibrant sheet before me, but an entire little world came together there: the night, the candle flame, and the page on which I let seismographic tracings appear.

I had bought myself some beautiful Chinese ink with which to write; I believed it matched Rinella's printed version.

133

Quand Aron est arrivé, je lui ai présenté Ueno.

— J'espère que vous ne serez pas trop déçu, a dit Aron, l'exposition est déjà à demi démontée.

— Angèle m'a dit tant de bien de votre travail, a répliqué Ueno, et son appréciation est convaincante. D'ailleurs, qu'y a-t-il d'important dans le monde, si ce n'est la reconnaissance.

Et nous sommes entrés.

Il est vrai qu'à l'intérieur, on avait un peu l'impression d'un chantier de construction ou de démolition. Certaines des tiges totémiques jonchaient le sol, d'autres étaient appuyées contre un mur. Un coffre et des outils traînaient pêle-mêle ; fils électriques aussi, un fauteuil, les restes d'un repas rapide, un cendrier plein de mégots; au centre de la pièce, une chaîne stéréo. Je me suis souvenue qu'Aron, en travaillant à son exposition, faisait souvent jouer une musique aborigène australienne où figurait un instrument merveilleux, le
didjeridu
.

— Je dois tout sortir d'ici demain, a dit Aron qui s'est affairé à sa besogne en nous laissant le loisir de circuler dans la salle.

— Nous allons te donner un coup de main, a répondu Ueno. J'ai mon camion.

Puis une pause. Ça, je m'en souviens clairement. Et Ueno s'approchant d'Aron :

— Il y a de la beauté dans ce qui est impermanent.

Puis :

— Je crois que j'arrive au meilleur moment de l'exposition.

*

When Aron arrived I introduced him to Ueno.

“I hope you won't be too disappointed,” Aron said. “I've already started to take down the show.”

“Angèle has spoken very highly of your work,” Ueno replied, “and her enthusiasm is catching. Besides, what can be more important in life than appreciation?”

And we went in.

It's true that the gallery looked a little like a site under construction or demolition. Some of the totemic stems were lying on the floor while others leaned against the wall; a toolbox and its contents were scattered around. There were electrical wires, an armchair, the remains of a hurried meal, an ashtray full of butts. In the middle of the room sat a ghetto blaster; when Aron was working on his show he often played Australian Aboriginal music featuring a strange and beautiful instrument called the digeridoo.

“I have to get everything out of here by tomorrow,” Aron told us. He went back to work and left us to wander around the room at our leisure.

“We'll give you a hand,” said Ueno. “I have my truck here.”

Then there was a pause. I remember it clearly. And, going over to Aron, Ueno told him, “There is beauty in impermanence.” Then he said, “I think I've come to see the show at just the right time.”

134

J'ai demandé à Aron de faire jouer sa musique aborigène.

Ueno n'a pas commenté directement la qualité des œuvres. Je voyais cependant que tout ce qu'il disait illuminait le visage d'Aron.

Puis un long hululement venant de l'autre bout du monde s'est échappé de la chaîne stéréo. On aurait dit que les pièces avaient trouvé leur langue. « Angèle avait bien raison », a conclu Ueno alors que je sortais chercher des cafés au restaurant du coin.

— Non, pas de café. Tiens, m'a-t-il interrompue, en me tendant quelques billets de vingt dollars, prends les clés de mon camion et va trouver une bonne bouteille de champagne. Moi, je m'assois quelques minutes avant d'aider Aron à démanteler cette merveilleuse forêt rescapée des flots de la mortalité.

Je me rappelle encore le visage d'Aron. Radieux.

*

I asked Aron to put on some Aboriginal music.

Although Ueno hadn't commented on the quality of the work itself, I could see that whatever he said made Aron's face light up.

Then a drawn-out moan from the other side of the world came writhing out of the player. The disconnected pieces in the room seemed to have regained the power of speech. “Angèle had the right idea,” Ueno observed.

I was about to leave to get us all coffee when he stopped me.

“No, not coffee. Here.” He handed me a couple of twenty-dollar bills. “Take the keys to the truck and find us a good bottle of champagne. I want to sit still for a few minutes. Then I'll help Aron dismantle this magical forest that has survived the seas of mortality.”

I can still see Aron's face. It was radiant.

135

Quelle différence ! Aron m'avait téléphoné assez tard le soir quelques semaines auparavant. Il était saoul. Sa voix le trahissait.

— Les critiques ont été négatives. Ce que je fais n'a pas de sens.

Et du même souffle balbutiant :

— Ils ne comprennent rien.

Je trouvais qu'il était hypersensible. Les commentaires n'avaient pas été si sévères. Grande incompréhension plutôt ! Mais il est vrai que ce peut être aussi grave qu'un rejet.

Il alternait entre l'apitoiement et la colère.

— Personne ne m'a jamais compris. Toi, des fois. Ma sœur.

J'avais de la sympathie pour lui et en même temps je trouvais ses pleurnichements absolument ridicules. Mais au-delà de ses clichés, je reconnaissais son mal.

Il voulait venir chez moi, voir quelqu'un, dormir… J'ai hésité.

— Bon, viens. Prends un taxi. Ne conduis pas.

*

What a difference! I remembered how it had been just a few weeks earlier when Aron had called me late at night. He was drunk; the way he was talking gave him away.

“The reviews were all bad. What I'm doing doesn't make any sense.” And in the same breath he mumbled, “They don't understand a thing.”

I thought he was too thin-skinned. The critics weren't that hard on him; it was more that they couldn't see what he was doing. Still, being misunderstood can be as discouraging as being rejected outright.

He went from feeling sorry for himself to being angry. “No one has ever understood me. Just you, at times. And my sister.”

While I felt sympathetic I found his whimpering totally ridiculous. Still, I could hear the hurt behind the stock complaints.

He wanted to come over, to see someone, to sleep... I hesitated, then said, “Okay, come. But take a taxi, don't drive.”

136

Il a frappé à la porte. Quand je l'ai ouverte, il a tout de suite dit :

— J'ai bu.

J'ai hoché la tête.

— Bon. Entre. Viens t'asseoir.

Il titubait et s'appuyait sur moi.

— Viens t'étendre.

Il parlait de ses espoirs et de ses regrets dans un bredouillement presque incohérent. 

En passant près de ma table de travail, il s'est arrêté pour chercher son équilibre.

— C'est quoi ça ? a-t-il dit en essayant de fixer son regard en déplaçant la tête.

— Ce sont des poèmes d'Ueno Takami.

Croyant améliorer son état d'esprit, j'ai ajouté :

— Il veut voir ton exposition.

C'était vrai d'ailleurs.

— Il est parti en voyage. Il va revenir bientôt.

— Ce sera trop tard, a-t-il marmonné.

*

He knocked on my door and when I opened it, the first thing he said was, “I've been drinking.”

I nodded. “I know. Come in. Come in and sit down.”

He staggered over and leaned on me.

“You'd better lie down.”

The way he was stammering out his hopes and disappointments, it was almost impossible to understand what he was saying.

As he was making his way past my work table he stopped to steady himself. “What's this?” he asked, leaning over to see better.

“They're Ueno Takami's poems.” In the hope of lifting his spirits I added, “He wants to see your show.” It was true. “He's away on a trip but he'll be back soon.”

“He'll be too late,” he mumbled.

137

Eh bien non ! il n'a pas été trop tard. Surtout qu'Ueno lui a dit qu'il connaissait bien un architecte – il a dit cela en se tournant vers moi – au Japon, Tadao Ando, qui construisait un jardin dans l'esprit classique, mais moderne, qui serait certainement intéressé à ses œuvres.

Puis il nous a parlé un peu de Noguchi qu'il avait connu à New York.

— Noguchi aussi a construit des jardins. Le jardin est une sculpture. Une sculpture en mouvement.

— Comme les mobiles de Calder, a dit Aron.

— Pas tout à fait. Le jardin est une sculpture en état de mouvement, a-t-il précisé, aussi énigmatique que toujours.

*

But he wasn't too late, not at all. Especially since he told Aron that he had a good friend in Japan, Tadao Ando, an architect—as he said this he was turning to me—who was designing a classical garden using a modern idiom, and he would certainly be interested in Aron's work.

Then he talked a bit about Noguchi, whom he'd known in New York. “He was also a designer of gardens. The garden is a sculpture, a sculpture in motion.”

“Like Calder's mobiles,” said Aron.

“Not quite. The garden is a sculpture in a mobile state,” he explained, as enigmatic as ever.

138

Ce soir-là, j'ai invité Ueno à coucher chez moi. Avec mon bocal de poisson, mes bougies et ma table à manuscrits.

C'était la première fois qu'il mettait les pieds dans mon appartement.

*

That evening I invited Ueno to spend the night at my place, with the fishbowl, the candles and the table covered with manuscript pages.

It was the first time he'd set foot in my apartment.

139

Quand je me suis réveillée au milieu de la nuit, il n'était plus à mes côtés.

J'ai aperçu une lueur venant du salon. Je me suis levée, me suis approchée discrètement. Il avait allumé une bougie et était penché, tout nu, au-dessus des quelques pages sur lesquelles j'avais travaillé.

— Une belle écriture, a-t-il dit sans détourner la tête. Des petites traces à la frontière du Rien… Ça avance. Ça avance, a-t-il poursuivi avec satisfaction.

Puis se retournant vers moi :

— Demain matin, nous irons danser.

Comme je restais perplexe :

— Le
tai-chi
. Au Central Park.

— Il y aura des jets d'eau ?

— J'en suis convaincu.

*

When I awoke in the middle of the night he was no longer lying beside me.

I could see a glimmer of light coming from the living room. I got out of bed and stealthily approached the doorway. He had lit a candle and was leaning, completely naked, over the pages I'd been working on.

“Lovely handwriting,” he said without turning his head. “Little footprints at the edge of the Void... It's coming, it's coming,” he concluded with a satisfied air.

Then he turned to face me. “Tomorrow morning we'll go dancing.”

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