The Setting Lake Sun (6 page)

Read The Setting Lake Sun Online

Authors: J. R. Leveillé

Of course we left empty-handed.

42

J'en viens à la raison pour laquelle je raconte tout cela.

Malgré la modernisation dans le domaine de l'imprimerie à laquelle Rinella avait dû s'adapter, Frank conservait quelques anciennes presses lithographiques et à platine. Je dis Frank parce qu'il a toujours refusé que je l'appelle monsieur Rinella.

Plusieurs artistes et écrivains de l'Ouest canadien et américain venaient faire imprimer chez lui des livres d'art.

Sara opérait une de ces presses. C'est Frank lui-même qui lui avait enseigné le métier.

Ils faisaient un beau couple. Je dis cela dans le sens le plus platonique, car Frank était marié et avait des enfants. Aucun d'entre eux ne s'intéressait à ce commerce et Sara était un peu devenue sa confidente en affaires.

*

I'm coming to the reason why I'm telling all this.

Rinella's had to keep pace with the automation of the printing industry, but Frank had held onto some old-style lithographic and platen presses. I call him Frank because he would never let me call him Mister Rinella.

Artists and writers from Western Canada and the United States came to Rinella's to have their art books printed.

Sara operated one of these presses. Frank himself had taught her how.

They made a beautiful couple. I mean this in the most platonic sense, because Frank was married, with children. None of the members of his family showed any interest in the shop, so Sara had become, in a way, his business confidante.

43

En parlant de l'installation d'Aron, j'ai, je ne sais pourquoi, soudainement fait allusion à ma rencontre avec Ueno lors du vernissage de Jack Crow Wing. Je m'étais sans doute demandé s'il fréquentait les expositions – je ne me souvenais pas de l'avoir vu auparavant – et s'il allait venir à celle d'Aron. Sara s'est exclamée :

— Tu veux dire Ueno Takami, le poète ?

— Oui. Tu le connais ?

*

While Sara and I sat in the restaurant talking about Aron's installation, I suddenly mentioned having met Ueno at the opening of Jack Crow Wing's exhibition. I don't know why. I wondered whether he made a practice of going to art shows—I couldn't remember having seen him before—and whether he would come to see Aron's.

Sara exclaimed, “You mean Ueno Takami, the poet?”

“Yes. You know him?”

44

Il ne viendrait pas à l'exposition d'Aron Levi, mais il allait quand même la voir. C'est une autre histoire que je raconterai plus tard.

— Quelque chose comme ça, a répliqué Sara. Il fait imprimer un livre chez Rinella.

— En japonais ?

— Non, en anglais.

— Une traduction.

— Non, il l'a écrit en anglais.

— Ah bon !

— Il est professeur d'anglais à l'université.

Je ne sais pourquoi, mais cela m'a étonnée.

— Apparemment, c'est un spécialiste de Pound.

Ça m'a fait rire.

*

Ueno wouldn't be coming to Aron's opening, although he'd get to see the exhibition anyway. But that's another story.

“Sort of,” Sara replied to my question. “He's having a book printed at Rinella's.”

“In Japanese?”

“In English.”

“Is it a translation?”

“No, he writes in English.”

“Really?”

“He teaches English literature at the university.”

I don't know why, but this information surprised me.

“It seems he's an authority on Pound.”

It made me laugh.

45

— Il est charmant, a-t-elle poursuivi.

Envoûtant, ai-je pensé.

— Il parle au moins cinq langues. Il s'adresse à Frank en italien.

Ça ne m'étonnait pas, car nous avions échangé quelques mots en français. Et son anglais me semblait impeccable.

— C'est un livre à tirage limité. Une trentaine de poèmes tout au plus et une dizaine de gravures sur bois.

— Des gravures ? Il est artiste aussi ?

— J'imagine. Quoiqu'il n'y ait pas grand-chose là. Ça ressemble à des plaques de bois qu'on aurait grattées ou frottées ou striées. Ça fait très…

— Japonais ?

— Oui, tout à fait. Taoïste ou quelque chose du genre. Comme des impressions prises à même l'écorce ou le bois.

*

“He's very charming,” she continued.

Fascinating, I thought to myself.

“He speaks at least five languages. He talks to Frank in Italian.”

That didn't surprise me, because we had exchanged a few words in French. And his English sounded flawless to me.

“It's a limited edition. Thirty poems at most, and a dozen woodcuts.”

“Woodcuts? Is he an artist, too?”

“I suppose so. Not that it looks like much. They resemble slabs of wood that have been scratched or rubbed or scored. They look very...”

“Japanese?”

“Yes, absolutely. Taoist or something like that. As if they had been taken straight from the tree bark or the wood.”

46

J'étais curieuse, excitée. J'avais toujours envie de pisser, mais cette histoire me tenait en haleine.

— Et ça s'appelle comment ?

—
L'Étang du soir
.

— Parce qu'il y a un étang du jour ?

— C'est ce qu'il dit, et que les deux sont très semblables. Il affirme pourtant que ce n'est pas du tout la même chose.

C'était bien lui.

*

I was curious, excited. I still needed to go to the washroom, but I wanted to hear what Sara had to say even more.

“What's it called?”


The Night Pond
.”

“Because there's also a day pond?”

“That's what he says, and that the night pond is very similar to the day pond. But he maintains that it's not at all the same thing.”

I could just hear him saying it.

47

Soudain, on s'affairait dans la salle. Serveurs et serveuses nettoyaient les tables, remplaçaient les nappes pour la clientèle du soir. L'horloge dans le ventre du grand Bouddha doré indiquait quatre heures. Plus de deux heures que nous parlions de choses et d'autres.

Nous avons payé. Je me suis levée pour aller aux toilettes.

Nous nous sommes quittées sur le seuil du restaurant. Je me suis dirigée vers Artspace pour donner un dernier coup de main à Aron.

Au loin, l'orage grondait.

J'avais toujours faim.

*

The dining room suddenly became busy. Waiters and waitresses were washing down the tables and laying fresh tablecloths for the evening trade. The clock in the belly of the big golden Buddha read four o'clock. We'd been talking for over two hours.

We paid our bill and I got up to go to the washroom.

We parted at the restaurant door. I made my way back to Artspace to help Aron finish up.

There was a rumbling of thunder in the distance.

I was still hungry.

48

Quand j'ai quitté la galerie, il était près de onze heures. Aron m'a invitée à aller manger quelque chose. Ma faim avait disparu. Et j'avais envie de rentrer chez moi. Le gros de l'orage était passé et une pluie fine continuait de tomber. Je demeurais à quelques minutes de là; j'ai décidé de rentrer sous la pluie, presque chaude. C'était inhabituel en cette saison.

Je me suis rendu compte en cours de route que mon esprit avait erré durant tout le temps passé avec Aron. De fait, je n'ai pas dû lui être très « magique » ce soir-là. Il n'a rien dit.

Je n'avais pensé qu'à une chose. Quelle chance Sara avait de travailler avec Ueno. J'étais jalouse.

*

By the time I left the gallery it was almost eleven o'clock. Aron had invited me to get a bite to eat, but by then my hunger had disappeared. And I wanted to go back to my apartment. The worst of the storm had passed but it was still raining softly. I lived just a few minutes away. The rain was almost warm, which was very unusual for that time of year.

I realized as I walked along that during the entire time I'd spent with Aron that day my mind had been elsewhere.
For that reason I can't see how I could have been very “magical” for him. He didn't mention it.

I'd been thinking of just one thing: How lucky Sara was to be working with Ueno. I was jealous.

49

Déjà mouillée, j'ai pris une bonne douche chaude dès que je suis entrée dans mon appartement.

J'ai enfilé le vieux pyjama de flanellette rayée d'Aron que je lui avais piqué lorsque nous nous étions séparés. Il était douillet.

J'ai ouvert la télé et je me suis jetée sur le sofa. Je me suis dit que vendredi prochain Ueno serait peut-être chez Rinella et j'avais bien l'intention d'y passer. Même plus tôt que d'habitude.

*

Still damp from the rain, I took a hot shower as soon as I reached my apartment.

Then I put on the old striped flannel pyjamas I'd filched from Aron when we split up. They were so cozy.

I turned on the television and collapsed on the couch. I thought to myself that Ueno would possibly be at Rinella's the following Friday, and I had every intention of being there myself.

50

Je me suis endormie sur le sofa. La télé grésillait quand je me suis réveillée. J'avais fait un merveilleux rêve. Dans une grande forêt de conifères, il se mêlait au cri des hiboux qui résonnait comme des gouttes d'eau dans une bassine vide, un bruit de petites cloches cristallines. Puis j'ai eu l'impression que mon ouïe se transformait en vision. Je m'éveillais et mon regard – je semblais être tout entière dans mon regard – s'approcha comme un téléobjectif de ces petites cloches de cristal rose et soudain j'ai reconnu que j'étais étendue sous un magnifique cerisier en fleur parmi toute cette tapisserie de verdure.

*

I fell asleep on the couch and woke to the buzzing of the television. I'd had a wonderful dream. In a vast evergreen forest, owl calls echoed like drops of water in an empty barrel, intercut with the tinkle of tiny crystal bells. I had the sensation that my hearing was being transformed into sight. I was waking from a sleep and my vision—I seemed to be nothing but a pair of eyes—zoomed in like a camera lens on small bells of pink crystal. I suddenly realized that I was stretched out under a magnificent flowering cherry tree surrounded by a carpet of grass.

51

Je me suis levée. Je suis allée prendre un verre de jus de fruits au frigo. À demi éveillée, je me suis rendue dans la chambre à coucher.

J'étais très excitée.

Je ne l'ai pas avoué : ce jour-là, quand je suis allée travailler avec Aron, j'avais une grande envie de faire l'amour. Au lieu, nous sommes allés prendre une soupe, ainsi que je l'ai raconté.

*

I got up. I went to the refrigerator and poured myself a glass of fruit juice. Only half-awake, I made my way to the bedroom. I was very aroused.

I had not admitted, when I went to work with Aron, that I had a great desire to make love that day. Instead, I went with him to have some soup, as I've described.

52

Quand je me suis mise au lit, je savais que la vie n'était plus pour moi quelque chose de banal.

Je n'avais pas l'habitude de me caresser moi-même. Depuis quelques années, quand j'avais envie d'être satisfaite, je me trouvais un homme.

Ce n'est pas que je courais les rues. Mais je veux dire que je m'en remettais à mon ami. Ça m'a toujours semblé plus convenable.

*

By the time I'd climbed back into bed, I knew that life would no longer seem ordinary to me.

I wasn't in the habit of making love to myself. For the past few years, when I wanted to be satisfied I would find myself a man. It wasn't that I walked the streets. I mean that I would count on my boyfriend. It always seemed like the right thing to do.

53

Ça se voyait peut-être. Je me souviens d'avoir rencontré Ueno quelques semaines plus tard dans la rue près de la gare d'autobus. Il était descendu du Nord dans un car Grey Goose.

Nous marchions l'un vers l'autre. Nous nous sommes serré la main. La première chose qu'il m'a dite, c'est :

— Tu as un bon bassin, toi.

J'ai été stupéfaite par cette remarque, venue à l'improviste. Il a ajouté tout de suite :

— Ça se voit à ta démarche. Ton côté indien, qu'il a murmuré en souriant.

Et je me suis mise, une fois de plus, à rire.

*

I ran into Ueno a few weeks later near the bus station. He had just come down from the north on a Grey Goose bus.

We walked up to each other and shook hands. The first thing he said to me was: “You've got good hips.”

This remark stunned me, it was so unexpected. He quickly added, “It shows in the way you walk. Your Indian side,” he whispered, smiling at me.

And once again I started to laugh.

54

En me remémorant cet incident, je vois autre chose aussi. Ce jour-là, c'est moi qui devais faire plus « japonais » que lui. Je portais des collants noirs, un tricot noir à col roulé et des espadrilles couleur moutarde. Avec mes cheveux noirs, droits, j'aurais pu, de loin, paraître nipponne, à la moderne évidemment.

Je dois admettre que ce jour-là j'ai mangé du sushi pour la première fois. J'en reparlerai.

*

That day I probably looked even more “Japanese” than he did. I was wearing black leggings, a black turtleneck sweater, and mustard-coloured sneakers. With my straight black hair I might, from a distance, have looked like a modern Japanese girl.

55

Vendredi, je me suis pointée chez Rinella dès treize heures. Frank m'a embrassée sur les deux joues et m'a tout de suite invitée à descendre au sous-sol goûter un nouveau vin qui arrivait à maturité.

Je cherchais Sara des yeux. Frank a dû s'en rendre compte, qui m'a dit :

— Sara va revenir bientôt. Elle est allée livrer des cartes d'affaires chez un client. Karl est absent aujourd'hui, alors elle s'est offerte. Viens boire.

Other books

Harlan Ellison's Watching by Harlan Ellison, Leonard Maltin
Sin by Sharon Page
Rough Justice by Lyle Brandt
Bloodright by Karin Tabke
The Warrior Heir by Cinda Williams Chima