La Bible du crime (NON FICTION) (French Edition) (36 page)

31 août
1888

Premier crime de Jack l’Éventreur, à Londres.

O
n lui attribue officiellement cinq victimes, toutes des prostituées. Son dernier assassinat, celui de Mary Jane Kelly, est commis le 9 novembre 1888
3
.

1
.

Le
bhel puri
est une recette de « street food » à base de riz soufflé, de vermicelles croquants, de légumes, de coriandre et de chutney.

2
.

À propos de Ciudad Juárez, voir aussi le 15 février 2014 et le 14 juillet 2011.

3
.

Pour en savoir plus sur cette affaire non résolue, vous pouvez lire mon ouvrage
Le Livre rouge de Jack l’Éventreur
, paru aux éditions Points.

SEPTEMBRE
1
er
 septembre
1963

Arrestation à Perth, en Australie, d’Eric Cooke, un cambrioleur de 32 ans, marié et père de sept enfants. Après son premier meurtre lors d’une tentative d’effraction, il développe un goût certain pour la violence, et assassine (au moins) cinq autres personnes.

C
et ancien soldat, né en 1931, commet de nombreux cambriolages et brûle même une église dans la cité de Perth, en Australie. Eric Cooke, qui est marié, tue pour la première fois en 1959. En janvier 1963, il assassine au cours d’une même nuit trois personnes à des endroits différents et blesse grièvement un couple. Un bébé est tué à son tour en août de la même année, avant l’arrestation de Cooke le 1
er
 septembre. Après sa condamnation à mort, il reconnaît un autre crime, commis en 1949, pour lequel un sourd-muet, Darryl Beamish, avait avoué le meurtre avant de se rétracter. Eric Cooke est pendu le 26 octobre 1964 et Beamish est libéré de prison en 1971, après de multiples controverses judiciaires.

2 septembre
1998

Arrestation du tueur en série Kendall François.

S
urnommé « Le Gros Dégueu » (« Stinky ») en raison de son hygiène corporelle douteuse, Kendall François, 27 ans, est arrêté le 2 septembre 1998 pour avoir tenté d’étrangler
Christine Sala, une prostituée de Poughkeepsie, dans l’État de New York. Lorsque les policiers pénètrent chez lui, ils découvrent les corps en décomposition de huit prostituées et toxicomanes notoires, tuées « parce qu’elles ne m’en ont pas donné pour mon argent ».

Après les avoir étranglées, ce Noir obèse baigne longuement les cadavres avant de les enterrer dans sa cave. François a été condamné à la réclusion perpétuelle sans possibilité de libération conditionnelle.

 

Pendant son incarcération dans la prison d’Attica, Kendall François accorde une interview à Douglas Montero un journaliste du
New York Post
. Selon ses dires, il sait que c’est « mal de tuer ». « Il
y a quelque chose qui n’allait pas en moi. Je ne me souviens pas d’avoir été un tel monstre. Je n’ai pas l’impression d’être quelqu’un de mauvais. Je suis quelqu’un d’adorable, il n’y a pas plus gentil que moi… c’est juste que je fais de mauvaises actions. J’ai pas besoin de m’excuser auprès des familles, si je dois m’excuser, c’est envers ces femmes, les mortes, pas les familles. Le jour de mon arrestation, j’ai demandé pardon à Dieu. C’est tout le pardon dont j’ai besoin, celui des hommes est inutile. » En prison, Kendall François travaille comme ajusteur et gagne 30 dollars par semaine. Il s’estime supérieur aux autres psychopathes qu’il côtoie : « Je ne suis pas comme tous ces types qui sont fiers de tuer. » Il décède d’un arrêt cardiaque le 11 septembre 2014, à l’âge de 43 ans.

3 septembre
2014

Un serial killer
uzimu
tue vingt enfants d’une même famille en deux ans.

D
ans la province du Matabeleland, au Zimbabwe, treize des quinze enfants d’un couple sont décédés dans des circonstances mystérieuses, ainsi que cinq de leurs petits-enfants. Un « serial killer »
uzimu
serait responsable de ces « crimes ». Cet « esprit vengeur » aurait rendu justice à un des membres de cette famille, assassiné par l’un de leurs ancêtres. Pour contrecarrer l’
uzimu
, le couple a fait appel aux services d’un
sangoma
(sorcier).

4 septembre
1986

Décès du tueur en série Wayne Nance.

P
endant douze ans, la ville de Missoula, dans le Montana, est terrorisée par la disparition mystérieuse de plusieurs jeunes femmes et de nombreux viols suivis de meurtre. Jusqu’en 1986, personne ne se doute que le responsable est Wayne Nance, qui sera abattu alors qu’il tentait de tuer une nouvelle victime. Âgé de 31 ans, ce livreur de meubles donnait pourtant de lui l’image
idyllique d’un homme de confiance à qui certains de ses clients laissent même les clefs de leur domicile et qui n’oublie jamais de célébrer les anniversaires de ses collègues de travail.

5 septembre
1921

Viol de Virginia Rappe par l’acteur Roscoe « Fatty » Arbuckle.

V
edette de la Paramount, Roscoe Arbuckle est considéré comme le meilleur acteur comique après Charlie Chaplin. Il vient de signer un contrat en or pour trois millions de dollars afin de tourner des longs-métrages. Pour fêter l’occasion, « Fatty » – il pèse dans les 130 kilos – organise une soirée qui dégénère en drame, le 5 septembre 1921. La starlette Virginia Rappe décède cinq jours après à l’hôpital : elle a été apparemment violée à plusieurs reprises par Arbuckle qui s’est servi d’une bouteille de Coca-Cola ou de champagne. Une amie de la victime, Maude Delmont, témoigne contre « Fatty » qui est inculpé.

 

Malgré une féroce campagne de presse organisée à l’encontre de l’acteur par le magnat Randolph Hearst, celui-ci est acquitté au bout de trois procès, le 12 avril 1922. En effet, Maude Delmont, plus connue sous le nom de « Madame Black », est célèbre pour les tentatives de chantage qu’elle met sur pied avec ses « modèles », dont Virginia Rappe fait partie. Rappe souffrait de maladies vénériennes et a avorté à plusieurs reprises. Les médecins donnent des témoignages contradictoires quant au supposé viol et le doute profite à « Fatty ». Mais sa carrière s’achève et seul son ami Buster Keaton lui restera fidèle. Il change son nom en celui de William Goodrich, se reconvertit comme réalisateur de courts-métrages comiques, mais le cœur n’y est plus. Devenu alcoolique, « Fatty » meurt à l’âge de 36 ans, le 28 juin 1933. Son affaire précipite l’instauration en mars 1922 d’un code moral du cinéma, sous l’égide du puritain Will Hays.

6 septembre
1974

Donald Neilson,
alias
la « Panthère Noire », tue Derek Astin, un postier d’Accrington, en Angleterre.

L
a « Panthère Noire » est condamnée à quatre peines de perpétuité pour cinq meurtres, le 21 juillet 1976. En 1994, le gouvernement anglais annonce que Neilson et dix-neuf autres assassins ne feront jamais l’objet d’une libération conditionnelle. Il décède à 75 ans, en 2011, à cause de difficultés respiratoires, et après avoir passé trente-cinq ans derrière les barreaux.

7 septembre
1987

L’infirmier Donald Harvey est condamné à quatre fois vingt ans de prison lors de son procès à Cincinatti (Ohio).

L
’homme, mince, de taille moyenne, qui se déplace le long d’une allée bordée d’arbres et de pelouses verdoyantes, ressemble à un fonctionnaire. Sa chemise bleue est impeccablement repassée, la moustache est taillée au millimètre, la chevelure poivre et sel est coiffée avec soin. Il est accompagné d’un homme, un gardien de la Warren Correctional Institution. L’ambiance est presque champêtre, sous un soleil de plomb. Cette prison ressemble à un campus universitaire avec ses douze bâtiments disséminés en cercle sur 45 hectares. Inaugurée en 1989, Warren accueille 1 038 détenus et l’atmosphère y est beaucoup plus « humaine » que dans les couloirs de la mort du Texas. Bientôt l’homme souriant me tend une main que je serre. La poignée est ferme et sèche. Donald Harvey est parfaitement à son aise. Il salue avec effusion son avocat William Whalen, accompagné de son assistante. Nous sommes tous installés autour d’une table dans une salle de conférences, avec Harvey qui « préside » en bout de table. Je suis assis à côté de lui, face à son avocat. Assis à l’opposé de « L’Ange de la Mort » – son surnom dans les médias américains –,
Mark Stegemore, directeur adjoint de l’établissement, côtoie Harvey depuis de nombreuses années. Il m’avouera pourtant, à la fin de l’entretien, avoir appris beaucoup de choses sur son prisonnier. Il conclut même par un : « Il ne faudra jamais le relâcher… », lourd de conséquences.

S. Bourgoin devant la prison de Warren, avant sa rencontre avec Harvey.

Né en 1952, dans le comté de Butler, en Ohio, les parents de Donald déménagent peu de temps après sa naissance pour s’installer à Booneville, dans le Kentucky, au pied des montagnes des Appalaches. La maîtresse d’école de Donald se souvient de lui comme d’un enfant toujours propre, bien coiffé et habillé correctement. Il semble heureux de vivre et apprécié de ses camarades de classe. Rien ne permet de prévoir à ce moment-là ce qu’il va devenir plus tard. Cependant, cette vision d’un Donald « souriant » n’est pas partagée par tout le monde. D’anciens écoliers évoquent un garçon solitaire qui ne participe à aucune activité extrascolaire, qui préfère la lecture et se montre plutôt rêveur. Ils affirment aussi qu’il cherche en permanence à s’attirer les bonnes grâces de ses institutrices et que c’est un « fayot ». Bon élève, il se lasse vite
des cours et abandonne bientôt le lycée pour se faire engager dans une usine à Cincinnati. En 1970, les commandes de l’usine se raréfient et Harvey est licencié. Sa mère, Goldie, l’appelle pour lui demander de rendre visite à son grand-père, soigné à l’hôpital de Marymount, à London, dans le Kentucky. Il passe toutes ses journées au chevet du malade et les infirmières apprécient ce jeune homme très attentionné, passionné par tout ce qui touche au monde médical. Un jour, l’une des sœurs lui propose de travailler avec elles. Donald accepte et il est engagé dès le lendemain matin. Au bout de dix-neuf jours, il assassine son premier patient. En l’espace d’un an, Donald Harvey va tuer quinze malades au Marymount Hospital.

 

Le 31 mars 1971, ivre mort, il est arrêté pour cambriolage. Lors de l’interrogatoire, Harvey avoue quinze meurtres, mais personne ne le croit. Il est jugé et condamné à régler une amende. Il s’engage dans l’US Air Force, où il reste moins d’un an. Pendant plusieurs mois, Harvey, qui n’a que 20 ans, souffre de dépression. Il décide de passer quelque temps au Veteran’s Administration Medical Center, à Lexington, dans le Kentucky, où il est soigné par des psychiatres jusqu’au 25 août. Il y retourne quelques semaines après sa sortie pour une tentative de suicide ratée. Cette fois, le traitement est plus radical et il reçoit vingt et un électrochocs. Il en ressort le 17 octobre 1972, mais sa mère ne le juge absolument pas guéri. Pendant plusieurs mois, Harvey enchaîne les postes d’aide-soignant. En août 1974, il est finalement engagé à plein-temps au Saint Luke’s Hospital, à Fort Thomas, dans le Kentucky, d’abord comme standardiste puis comme employé de bureau. Si l’on en croit les dires de Donald Harvey, il ne tue personne pendant cette période. Peut-être parce qu’il n’a aucun contact direct avec les malades.

En septembre 1975, il se réinstalle à Cincinnati, où il trouve un travail d’aide-soignant au VA Medical Hospital. Il se porte volontaire pour le travail de nuit que la plupart de ses collègues rejettent parce que incompatible avec une vie familiale. Harvey est tour à tour aide-infirmier, technicien de salle d’opération, assistant à la morgue et même homme de ménage. Là, il a les coudées franches pour donner libre cours à ses fantasmes meurtriers. En l’espace d’une dizaine d’années, Donald va assassiner au moins une quinzaine de patients. Il note chacun de ses crimes dans un
agenda avec des codes connus de lui seul et inscrit le nom de toutes ses victimes sur un carton glissé au dos d’un cadre accroché dans son salon. Pendant cette période, il se renseigne auprès de l’un de ses amants, qui dirige une entreprise de pompes funèbres. Il lit également bon nombre d’ouvrages médicaux. Au fil des années, il réussit par ailleurs à accumuler plus de treize kilos de cyanure qu’il a volé, petit à petit, dans les réserves de médicaments des établissements où il travaille.

 

Outre ses patients, Donald Harvey s’attaque aussi à des proches, au début des années 1980, notamment son compagnon Carl Hoeweler qu’il soupçonne de le tromper. Ensuite, c’est au tour d’une voisine, Helen Metzger, de « goûter » à l’arsenic de l’infirmier. Elle meurt quelques semaines plus tard. En avril 1983, il commence à empoisonner les parents de Carl, et Henry, le père, décède d’une attaque cardiaque le 1
er
 mai 1983. Son épouse Margaret, plus chanceuse, parvient à survivre aux différentes tentatives de l’infirmier. Le 18 juillet 1985, des vigiles de l’hôpital remarquent l’attitude suspecte de Donald Harvey. Ils décident de fouiller son sac de gym. À leur grande surprise, ils découvrent des seringues, une cuiller à cocaïne, des gants et des ciseaux chirurgicaux, plusieurs ouvrages médicaux, deux livres sur l’occultisme, une biographie sur le serial killer français Charles Sobhraj, et, plus grave, une arme de poing, un calibre.38. L’administration de l’hôpital lui donne une amende de 50 dollars et lui propose de démissionner, plutôt que d’être renvoyé. Donald Harvey accepte la proposition. Personne ne pense à ouvrir une enquête et aucun rapport n’est établi sur cette faute grave.

 

En février 1986, sept mois plus tard, Harvey est engagé au Drake Memorial Center. Personne ne soupçonne quoi que ce soit car le dossier de l’infirmier ne contient que des éloges et des certificats de bonne conduite de ses employeurs précédents. En l’espace de treize mois, Harvey va y assassiner vingt-trois nouveaux patients, en variant les méthodes, de l’asphyxie à l’empoisonnement par le cyanure ou l’arsenic, en passant par l’injection d’air dans les veines. En avril 1987, un médecin légiste détecte une légère odeur d’amande amère lorsqu’il autopsie le corps de John Powell qui, après plusieurs
mois de coma, commençait à récupérer. Powell est décédé pendant les heures de service de l’infirmier. Les langues se délient et on commence à parler du surnom de Donald, « L’Ange de la Mort », dont ses collègues l’ont affublé, car il semble toujours être présent lorsqu’un malade décède. Les enquêteurs se focalisent sur Harvey, alors âgé de 35 ans. Une fouille de son appartement met au jour d’innombrables preuves matérielles. Il reste une seule solution à l’infirmier pour éviter la peine de mort, qui a toujours cours dans l’État de l’Ohio : plaider coupable et avouer l’ensemble de ses crimes.

Le 11 août 1987, Donald Harvey, assisté de son avocat William Whalen, est interrogé pendant neuf heures et reconnaît trente-trois assassinats commis sur une période de dix-sept ans. Mais ces confessions ne concernent que l’État de l’Ohio. Or « L’Ange de la mort » a aussi travaillé dans plusieurs hôpitaux du Kentucky. Le 18 août 1987, il plaide coupable pour vingt-quatre nouvelles accusations d’assassinats, quatre tentatives de meurtres et une accusation pour coups et blessures. Quelques jours plus tard, Harvey y ajoute un vingt-cinquième crime. Il écope de quatre condamnations consécutives allant de vingt ans jusqu’à la perpétuité.

 

Le 7 septembre 1987, il est mis en examen pour les douze meurtres perpétrés au Marymount Hospital et plaide à nouveau coupable. En février 1988, c’est trois nouveaux crimes qui s’ajoutent à cette longue liste. Les enquêteurs décident en 1990 de clore le dossier et de ne plus chercher à savoir si Donald Harvey a commis d’autres forfaits. « L’Ange de la Mort » pourra demander à passer devant une commission de libération conditionnelle en 2047. Il sera alors âgé de 95 ans.

 

L’entretien que j’ai mené avec Donald Harvey restera longtemps gravé dans ma mémoire, notamment par la richesse des informations recueillies. Comme Stegemore, le directeur adjoint de la prison où il est détenu, son avocat – et confident – me confie avoir appris de nouvelles choses sur son client. Pour la première fois, le tueur accepte de s’exprimer sur l’aspect occulte de certains de ses crimes des années 1980. Lors d’un
débriefing
le lendemain matin, Bill Whalen, l’avocat, m’apprend que Donald Harvey m’a toutefois menti sur un point. Il prétend n’avoir jamais lu le seul
ouvrage qui lui est consacré,
Defending Donald Harvey
, écrit par Whalen lui-même. Or ce dernier lui a fait relire toutes les épreuves avant publication. Je m’en doutais, car la personnalité suffisante de l’individu ne cadrait pas avec une telle affirmation.

Pendant l’entretien, Bill Whalen interviendra à une seule reprise pour interrompre son client. Le moment est très intense. Je m’étonnais qu’il n’ait pas tué entre 1972 et le début des années 1980. L’ex-infirmier me répond avec un léger sourire qu’il a poursuivi son œuvre meurtrière, à l’exception de deux années de répit. Je lui demande combien de personnes il a tué durant cette période. La réponse fuse, sans la moindre hésitation : « Dix-sept. » À cette époque, Harvey travaillait au VA Hospital, et les crimes qu’il a pu y commettre n’ont pas été jugés, pas plus qu’il n’y a eu d’enquête. Condamné à perpétuité pour trente-sept meurtres, Harvey est soupçonné de soixante-dix meurtres par les enquêteurs. Ces dix-sept « nouveaux » meurtres pourraient en théorie lui valoir la peine de mort parce qu’ils ne font pas partie de l’accord négocié de « plaider coupable » entre son avocat et les autorités. D’où l’inquiétude de l’avocat qui tente de faire taire son client.

 

Whalen s’est déjà retrouvé dans cette situation. Harvey n’avait été arrêté en 1987 que pour un seul meurtre, qu’on pensait être un cas d’euthanasie. Les autorités médicales du Drake Hospital avaient sciemment décidé d’occulter la rumeur qui lui attribuait d’autres morts. Plus tard, elles mettent des bâtons dans les roues des enquêteurs. C’est un journaliste d’investigation, à qui plusieurs collègues infirmiers de Harvey ont confié leurs soupçons, qui vient en parler le premier à Bill Whalen, avocat commis d’office pour défendre Harvey. Whalen rend visite à son client, qui lui confie qu’il en a tué « d’autres ». « Combien ? Deux, trois ? » Harvey secoue la tête. « Plus que ça ? » « Soixante-dix », finit par avouer Donald Harvey. L’avocat se trouve face à un dilemme incroyable. Son client a avoué un meurtre et, s’il est confondu pour ne serait-ce qu’un seul nouveau crime, il risque la condamnation à mort dans l’État de l’Ohio. Pour sauver la tête de Donald Harvey, il doit rompre la confidentialité qui le lie à son client. Il prend contact avec le bureau du procureur pour lui proposer un marché. Au bout de longues et épuisantes tractations, l’État de l’Ohio finira par accepter car les
enquêteurs sont incapables de trouver des preuves directes de la culpabilité de l’infirmier meurtrier, de nombreux corps ayant été incinérés.

Donald Harvey et Stéphane Bourgoin.

À son domicile, dans une maison blanche du Kentucky, William Whalen m’a reçu pour me montrer des pièces essentielles à la compréhension de Donald Harvey. Il a ôté son large Stetson blanc, qui le protège des rayons du soleil, avant de me saluer. L’avocat est un personnage atypique. Nommé maître de
Reiki
(art ancestral de mieux-être par imposition des mains) en 2002, il est passionné de rapaces et de serpents ; pour me recevoir, il s’est mis en écharpe Sam, 19 ans et vingt kilos, son gentil boa constrictor qui dort habituellement dans un vivarium, au premier étage. Nous avons pris place dans le salon immaculé, où nous attend la bibliothèque personnelle de Donald Harvey, constituée du temps de sa liberté. Whalen a posé les cartons de déménagement sur la table basse. Ils regorgent d’ouvrages spécialisés :
Earth Magic
,
The Ancient Art of Occult Healing
,
The Encyclopedia of Witchcraft and Demonology
,
The Magic of Herbs
,
The Devil’s Disciples
,
Autopsy Manual – Department’s of the Army
,
Magic White and Black
, et autres livres traitant
tous de sorcellerie, d’occultisme, de sociétés secrètes et d’alchimie. En matière de fiction, Harvey possédait des livres de Sax Rohmer, de Montague Summers et de J. K. Huysmans (
Là-Bas
). Sur les fauteuils, l’avocat a étalé diverses pièces importantes du dossier : les fac-similés de plusieurs agendas du tueur (fin des années 1970, début des années 1980), les originaux de ses diplômes d’assiduité au travail émanant des hôpitaux qui l’ont employé, et des montagnes de coupures de presse de l’époque du procès. En feuilletant les agendas, plusieurs choses me frappent d’emblée : l’écriture, petite et assez régulière ; la façon, minutieuse, de rapporter des actes courants de la vie quotidienne (faire des courses, téléphoner à untel, aller au cinéma) ; quelques phrases, lues au hasard, comme celle-ci, qui revient le même jour (le 21) de chaque mois pendant plusieurs mois d’une année : « 
Daddy Dead One Month ago
 », « 
Daddy Dead Two Months ago
 », etc. Mais le plus stupéfiant reste ceci : certains jours sont marqués de chiffres et de lettres, des sortes de codes secrets. Ces jours-là, on le sait, l’infirmier a tué.

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