Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (14 page)

Et s’il disait la vérité ?
Les tueurs en série aimaient que leurs œuvres soient reconnues, c’était un fait avéré. Ils avaient aussi la réputation de passer des appels anonymes et d’envoyer des colis aux médias, au risque de dévoiler leur
identité.

Son interlocuteur lui avait promis de lui fournir la preuve irréfutable qu’il était bien celui qu’il prétendait être une fois qu’elle lui aurait transmis les renseignements sur Lizzy Gardner. Le tueur voulait que Nancy dérobe les dossiers psychologiques de Lizzy. Il savait visiblement qu’elle aussi était suivie par Linda Gates, la psychologue de Lizzy Gardner. Elle était mal à l’aise à l’idée qu’il en sache autant à son
sujet.

Voler des dossiers allait à l’encontre de la morale. Nancy aurait dû appeler le FBI après avoir reçu le premier appel. Mais quelque chose l’avait retenue. Elle avait interviewé son lot de criminels au fil des ans. Quand ils mentaient, ils devenaient nerveux. Bien sûr, les plus endurcis avaient été si souvent interrogés qu’ils avaient développé de véritables dons pour la duperie. Mais elle avait décidé, leur première discussion terminée, que cet homme disait la vérité. Ainsi, elle s’était convaincue qu’en fin de compte, elle serait plus utile au FBI si elle leur cachait ses conversations avec le meurtrier. Pour l’instant, elle allait jouer la simplicité : gagner la confiance du tueur et apprendre ce qu’elle pouvait sur l’homme qu’il était. Il y avait de fortes chances pour qu’il soit extrêmement intelligent et qu’il ne lui révèle pas immédiatement où il habitait. Mais si elle parvenait à rassembler les indices, alors peut-être, peut-être, serait-elle capable de donner aux autorités les informations dont elles avaient besoin pour l’attraper. Elle voyait déjà les gros titres : « Nancy Moreno conduit le FBI au repaire de Spiderman ». Elle savait alors où elle rangerait son troisième
Emmy.

Un sourire lui monta aux lèvres. Spiderman n’était pas bête. Il l’avait appelée parce qu’elle était la meilleure dans son domaine. Au moment où elle pénétra dans la salle d’enregistrement, les vaisseaux sanguins dans le cou et sur le visage de Cunningham étaient tellement gonflés qu’ils paraissaient sur le point d’exploser. Le chaos dans le studio lui fit penser à une tornade, alors qu’elle se laissait glisser sur son
siège.

— 
Trois, deux,
un.

De l’autre côté de la salle, Cunningham tendit le doigt vers elle. Elle se concentra sur le prompteur et
sourit.

— Bonjour, Sacramento. Je suis Nancy Moreno et vous regardez les actualités du matin, sur
KBTV.

CHAPITRE 15

Mercredi 17 février 2010, 12 h
 35

 

Pour la douzième fois, Jessica parcourut la liste de noms. Les trois premières victimes de Spiderman − Jordan, Laney et Mandy − avaient deux choses en commun : leurs cadavres avaient été abandonnés près d’un plan d’eau et elles présentaient toutes des piqûres d’araignées sur différentes parties du corps. L’une des filles était étudiante de deuxième année au lycée lors de sa disparition. Les deux autres étaient en première année. Elles fréquentaient toutes les trois des écoles différentes de Sacramento ou de Placer County. Quatre lycées différents, si elle comptait Rachel Foster, sa quatrième victime, et la seule fille retrouvée pendant la captivité de
Lizzy.

Le corps de Rachel Foster avait été repéré près de Folsom Lake. Âgée de quinze ans, c’était la plus jeune des victimes. Un article récent, et pourtant confus, que Jessica avait découvert, mentionnait que Rachel avait été retrouvée avec des aiguilles dans les
yeux.

Jessica fit la grimace. Elle avait encore oublié de respirer. Que ces filles aient été torturées ne signifiait pas que ces mêmes traitements avaient été infligés à Mary. Elle se mordit la lèvre inférieure et prit une profonde inspiration apaisante. Ce n’était pas le moment de perdre les pédales. Pas si elle voulait aider Lizzy à mettre la main sur Spiderman. Sa sœur était peut-être encore en vie. Mary était si petite que tout le monde pensait qu’elle était la plus jeune des trois enfants, même si, en réalité, c’était l’aînée de la fratrie. Mary était aussi intelligente. Bon sang, comme leurs longues conversations manquaient à
Jessica.

Il se produisait des miracles tous les jours, songea Jessica. La personne qui avait enlevé Mary toutes ces années plus tôt avait pu lui donner une nouvelle identité avant de déménager dans un autre État. Peut-être sa sœur ne se rappelait-elle plus qui elle était ni d’où elle
venait.

Lizzy s’était bien échappée. La même chose avait pu arriver à Mary. Sa sœur était toujours en vie. Elle en avait l’intuition.

Jessica reporta son attention sur ses notes. Le petit ami de Rachel à l’époque de son enlèvement était Ryan Arnold. Une brève recherche sur Ryan Arnold et une demi-douzaine d’appels téléphoniques plus tard, elle l’avait retrouvé. À présent, c’était un avocat de vingt-neuf ans qui aimait s’exprimer. Sans avoir besoin d’y être trop poussé, il vida son sac et lui affirma que l’enlèvement de Rachel avait changé sa vie. Il avait arrêté de prendre de la drogue et commencé à lire et à étudier. Non seulement Ryan Arnold avait approfondi l’affaire Spiderman, mais il avait fait des pieds et des mains pour prendre plusieurs contacts importants au fil des ans afin d’en découvrir plus. Il avait vu les dossiers du FBI, dont une lettre que Spiderman avait envoyée à l’époque aux chaînes d’information locales. Arnold expliqua à Jessica que Spiderman se considérait comme un gentil, et qu’il s’était donné pour mission de débarrasser le monde des
mauvaises filles
. Ryan Arnold était convaincu que Rachel avait été enlevée parce qu’elle prenait de la drogue − beaucoup de drogue. Au moment où Rachel avait été kidnappée, elle avait déjà séjourné deux fois en cure de
désintoxication.

Mais ce n’était ni la drogue ni les seringues qui attiraient son attention. C’était les yeux. Jessica laissa courir son doigt sur les noms et les notes gribouillées. Elle ne pouvait s’empêcher de remarquer que chacune des victimes de Spiderman avait subi quelque chose aux
yeux.

 

 

Mercredi 17 février 2010, 15 h
 02

 

Cathy était assise dans la voiture et tambourinait des doigts contre le volant en attendant sa fille. Son regard passa de la statue de l’ours, la mascotte de l’école, au groupe d’adolescentes qui se pressait devant le
gymnase.

Où était
Brittany ?

Elle fouilla dans son sac à main et en sortit son téléphone portable. Aucun appel en
absence.

La radio diffusait
We Can Work It Out
des Beatles. Elle l’éteignit. La chanson la rendait triste, la ramenait à l’époque où son mari l’appelait dès qu’il en avait l’occasion, juste pour lui dire « coucou » et lui répéter à quel point il l’aimait.

Elle posa le téléphone sur la console entre les sièges avant et se reprocha intérieurement sa subite envie de pleurer. Elle avait sincèrement cru que tout irait bien après sa rencontre avec Richard… que la vie ne serait pas si mauvaise, en fin de compte. Mais Brittany était arrivée plus tôt que prévu, Cathy avait pris vingt-trois kilos, elle avait perdu son emploi à la banque et, deux ans auparavant, Richard avait cessé d’appeler à la maison pendant sa pause
déjeuner.

Un rire attira son
attention.

Sa pression sanguine augmenta quand elle vit un adolescent tendre les bras pour attraper l’une des filles en face de lui. Il la pressa contre son corps pour pouvoir planter un baiser langoureux sur ses lèvres. La fille fronça le nez, mais comme ses amies riaient, elle se laissa
faire.

Cathy secoua la tête. Brittany entrerait au lycée l’année prochaine. Elle était inquiète. Principalement parce que ses propres années de lycée avaient été un véritable cauchemar. Elle était en dernière année quand Lizzy avait été kidnappée. Lizzy avait toujours été la petite préférée ; la jolie fille menue ; la plus intelligente. Et en fin de compte, c’était Lizzy qui avait déchiré leur
famille.

Cathy avait toujours eu l’impression de jouer les seconds rôles par rapport à sa sœur. Avant son enlèvement, elle pensait que la situation ne pouvait pas être pire. Elle s’était
trompée.

Lorsque Lizzy avait disparu, Cathy avait eu l’impression d’être morte aux yeux de ses parents. Ils ne prêtaient pas la moindre attention à elle. Personne ne lui demandait ce qu’elle pensait ni comment elle vivait l’absence de sa sœur. Personne ne lui posait de questions sur la foutue culpabilité à laquelle elle se raccrochait comme à une bouée de sauvetage. Personne ne se souciait d’elle.

À l’évocation de cette période si douloureuse de sa vie, son cœur s’accéléra. Elle s’apprêtait à sortir de la voiture pour aller chercher sa fille quand elle vit Brittany tourner à l’angle. L’un des garçons lui lança quelque chose lorsqu’elle passa. La jeune fille l’ignora.

— Salut, fit Brittany en se laissant tomber sur le siège passager avant de jeter son sac à dos sur la banquette
arrière.

Brittany souriait, arborant son appareil dentaire flambant neuf. Elle désigna sa dent du haut, sur la
droite.

— L’un des élastiques s’est cassé aujourd’hui.

Cathy se pencha pour mieux
voir.

— Tu plaisantes ? Pour le prix qu’on les paie, ils devraient durer une
éternité.

— Désolée. Je n’aurais pas dû manger cette pomme aujourd’hui. Je pense qu’il a lâché à ce moment-là.

Elle ne pouvait pas vraiment sermonner sa fille pour avoir mangé un
fruit.

— Ne t’inquiète pas. J’appellerai pour prendre rendez-vous chez l’orthodontiste pendant que tu seras dans l’eau.

— As-tu appelé le professeur particulier, pour les
maths ?

— Pourquoi ? Tu as obtenu quel résultat à ton devoir de mathématiques aujourd’hui ?

Brittany fronça le
nez.

— C moins. Je te jure que mon prof de math ne sait pas enseigner. Tu m’as apporté mon
maillot ?

Cathy s’écarta du trottoir. La capacité de sa fille à changer subrepticement de sujet ne lui avait pas
échappé.

— Il est dans le coffre. Qui étaient ces jeunes devant le
gymnase ?

— Je ne sais pas, dit Brittany. Je n’ai pas fait
attention.

Cathy pouvait sentir sa fille qui la
regardait.

— Tu as encore pleuré,
maman ?


 Non.

— Tes yeux sont gonflés et ton nez est
rouge.

— Oh, ça. J’écoutais une chanson triste à la radio avant que tu
arrives.

— On dirait la ménopause. Ma prof de sciences nous parle de ses bouffées de chaleur tous les
jours.

— J’espère que ce n’est pas mon souci, dit Cathy. À trente-trois ans, j’ose espérer que je suis un peu jeune pour
ça.

— Est-ce que tu vas rester au centre aquatique pendant mon cours de natation aujourd’hui ?

La question déstabilisa
Cathy.

— Pourquoi ? Tu en as
envie ?

— Oui, ce serait génial. Tu ne m’as pas regardé nager depuis
longtemps.

Brittany ne lui avait jamais demandé de rester pendant ses entraînements. D’habitude, sa fille essayait de se débarrasser d’elle. L’anxiété dans la voix de sa fille l’inquiéta.

— Qu’est-ce qui se passe ? Il y a quelqu’un dans l’équipe qui t’embête ?


 Non.

— Alors qu’y a-t-il ?

— Ce n’est rien, maman. Oublie. Tu n’es pas obligée de m’attendre.

Cathy ne quittait pas la route des yeux. Elle pensa à l’entraîneur et se demanda s’il pouvait être lié au comportement inhabituel de Brittany. Elle avait déjà rencontré deux fois l’instructeur. Il avait l’air gentil. Toutes les mères l’appréciaient.

— J’ai envie de rester, dit-elle d’un ton péremptoire. Je veux te voir battre des
records.

CHAPITRE 16

Mercredi 17 février 2010, 15 h
 05

 

Jared gara son 4x4 au bord de la route. Il resta un moment immobile avant de descendre pour observer les environs. Le bruit de la portière qui se refermait retentit dans le silence, sur le pré d’herbes hautes. C’était l’endroit où il avait déposé Lizzy le soir de son
enlèvement.

Un vent froid lui mordait les oreilles. Il remonta le col de son manteau de laine et commença à marcher, suivant le même chemin que Lizzy avait emprunté. Elle lui avait précisé qu’il faisait sombre de façon inhabituelle ce soir-là. Aucun lampadaire et presque aucun clair de
lune.

Il quitta Emerald Street et aperçut aussitôt le saule pleureur au bout de la rue. La maison de Lizzy − si proche, et pourtant si lointaine. Il s’arrêta pour écouter et regarder.
Où Spiderman se cachait-il cette nuit-là ?

Le vent sifflait comme s’il essayait de lui dire quelque chose. C’était une rue paisible, agrémentée d’arbres feuillus et de pelouses bien entretenues. Il se tourna jusqu’à se retrouver en face d’une haie de lauriers-roses. Les feuilles caoutchouteuses vert foncé frémissaient sous chaque bourrasque. Il se rapprocha du haut buisson, tendit la main et écarta les branches. Une cachette idéale pour le tueur. Il aurait été bien dissimulé, même en plein jour. Le sol sous le laurier-rose était jonché de feuilles mortes et d’écorce brune. De petites taches de lumière filtraient de l’autre côté du taillis, où il apercevait un champ. Après avoir attrapé Lizzy, Spiderman l’avait-il emmenée à travers ce terrain
vague ?

Jared s’enfonça dans la haie de lauriers-roses. Il laissa quelques branches cassées sur son sillage tandis qu’il ressortait de l’autre côté. Les mauvaises herbes et la végétation étaient épaisses et il devait soulever les pieds à chaque pas. Les plus hautes herbes lui arrivaient à la poitrine. Il se figura le ravisseur qui empruntait le même chemin en emportant Lizzy. Cette pensée l’attrista.

Devant lui, une nuée d’oiseaux prit son envol. Une fois au milieu du champ, il s’arrêta pour inspecter les alentours. Un chien aboya dans le lointain. Il y avait une route de l’autre côté du pré. Il se demandait où elle menait. Un jardin public s’ouvrait sur sa gauche. Pas étonnant qu’il n’y ait eu aucun témoin cette nuit-là. Peu de maisons donnaient sur le champ à l’endroit où il se trouvait, et il aurait fallu que quelqu’un monte sur son toit pour apercevoir quoi que ce soit. Vers minuit, il ne devait pas y avoir beaucoup de monde, sans doute personne, dans ce
parc.

Il soupira. Abandonner Lizzy ce soir-là était totalement irresponsable. Il aurait dû réfléchir. À tout le moins, il aurait pu se garer au bout de sa rue et la regarder rentrer chez elle. Mais qu’avait-il donc dans la tête ? Il lui avait fait l’amour, pour ensuite la déposer dans une rue sombre au cœur de la
nuit.

Son téléphone vibra. Il regarda le numéro. Maman. Il ne pouvait pas s’occuper d’elle pour le moment. Bon sang, il ne savait que penser de sa propre mère qui batifolait avec un autre homme. Elle avait toujours été douce et discrète. Elle dorlotait leur père. Elle le retrouvait chaque soir quand il rentrait du travail, avec un sourire admiratif et un repas préparé avec soin. Sa mère et lui n’avaient jamais été spécialement proches. Personne n’était assez bien pour son unique fils, et Lizzy ne faisait pas
exception.

À la différence de sa mère, Lizzy le comprenait. Elle l’écoutait toujours avec attention. Elle se souciait de tous ceux qu’elle rencontrait. Il ignorait pourquoi ses parents n’avaient jamais accueilli Lizzy à bras ouverts, mais aujourd’hui, cela n’avait plus d’importance. Son téléphone vibrait toujours. Il ignora l’appel de sa mère et reprit sa marche. Il n’avait rien à lui
dire.

Un air glacial lui collait au visage tandis qu’il progressait.
Jimmy avait-il emprunté ce même chemin, il y a des années, au plus fort de l’enquête ? Qu’est-ce que Jimmy avait raté ? Qu’y avait-il donc qu’ils ne voyaient pas ?
Marcher dans les hautes herbes lui donnait l’impression de s’enfoncer à hauteur de genou dans des sables mouvants. Il cherchait le nom de la rue de l’autre
côté…

Un hurlement le fit sursauter. Ses muscles se contractèrent. À présent, il était sur le qui-vive. Un autre cri perçant, puis un rire − des enfants jouaient dans le parc. Il prit une profonde inspiration et
expira.

Lizzy avait-elle appelé à l’aide ?
Si seulement il avait écouté son instinct ce soir-là et l’avait suivie chez elle. Il fourra ses mains dans les poches de son
manteau.

Il se rappelait toujours combien Lizzy n’aimait pas entendre son père donner des ordres à sa mère, lorsqu’elle était invitée à dîner chez eux. Si sa mère ne semblait pas s’en formaliser, ce n’était pas le cas de Lizzy. Elle ne l’avait sans doute jamais su, mais c’était la raison pour laquelle Jared n’avait pas insisté quand elle lui avait dit qu’elle préférait rentrer chez elle toute seule, ce soir-là. Il ne voulait pas agir comme son
père.

Et maintenant, il avait aussi perdu tout son respect pour sa mère. Elle avait vécu si longtemps avec son père. Pourquoi ? Si la nature autoritaire de son père la contrariait, alors sa mère aurait dû lui résister. Jared secoua la tête. Il n’avait pas besoin de ça en ce moment. Pour l’amour de Dieu, mais à quoi pensait donc son père en braquant une arme sur sa
mère ?

Jared avançait, bien déterminé à rester concentré sur Lizzy. Elle avait dit qu’elle lui pardonnait. Mais pourrait-il se pardonner lui-même ?

 

 

Mercredi 17 février 2010, 18 h
 38

 

Hayley Hansen leva les yeux en entendant une voiture se garer le long du trottoir. Elle était assise sur la première marche et serrait ses genoux contre sa poitrine. Ses chaussures étaient trouées, et comme elle avait quitté sa maison sans enfiler de chaussettes ce matin, ses orteils étaient
gelés.

Lizzy Gardner sortit de sa voiture et referma la
portière.

— Hayley ! s’exclama-t-elle en l’apercevant.

Hayley avait du mal à croire que Lizzy Gardner se rappelait son prénom. Personne ne s’en souvenait jamais. Soudain, Hayley s’en voulut d’être venue. La dernière chose qu’elle souhaitait, c’était d’être un fardeau. Mais après la visite de Brian et de son ami, elle n’avait pas pu se résoudre à retourner chez elle. À la place, elle avait séché les cours et déambulé dans les rues. Elle s’était occupée pendant des heures, en observant les passants dans un parc du centre-ville. Quand le froid était devenu insupportable, elle s’était rendue au centre commercial. Or, en chemin, elle avait trouvé le prospectus de Lizzy dans sa poche arrière. L’instant d’après, elle était assise devant l’immeuble de Lizzy Gardner. Et maintenant, elle se demandait bien pourquoi. Si Dieu ne pouvait pas la sauver, personne ne le
pouvait.

— Hayley, qu’est-ce que tu fais dehors, dans le froid ? Viens, rentrons, tu vas te
réchauffer.

Convaincue qu’elle ne pourrait pas s’en tirer sans fournir d’explication, Hayley se leva et suivit Lizzy à l’étage. Puis elle aperçut un hématome gonflé sur son
visage.

— Qu’est-il arrivé à votre
front ?

— La routine, répondit Lizzy d’un ton léger en tournant la clé dans la serrure de son
appartement.

Nul besoin d’avoir la meilleure moyenne de la classe, même si Hayley n’en était pas loin, pour comprendre que la femme essayait de faire bonne figure. Après tout, Lizzy Gardner défendait les faibles et les
opprimés.

La porte s’ouvrit et Hayley remarqua que Lizzy hésitait avant de l’inviter à l’intérieur. Lizzy entra, puis elle entreprit de verrouiller la porte, comme si elle se protégeait de tous les bandits de l’humanité. Hayley se demanda si cette précaution pourrait empêcher Brian et ses amis d’entrer dans sa chambre. Au fond, elle savait bien que
non.


 Miaou.

— Voici Maggie, déclara Lizzy en se penchant sur son chat. Je pense qu’elle a faim. Et si tu m’accompagnais à la cuisine pour avaler un peu de soupe chaude ? Où est ton
manteau ?

— Je n’aurais vraiment pas dû venir, lui dit Hayley. J’ai vu votre photo à la télévision aujourd’hui. La présentatrice des infos annonçait que le FBI vous
surveillait.

Hayley écarquilla les
yeux.

— Est-ce que c’est vrai ? Spiderman est à votre
recherche ?

— Je ne pense pas, la rassura-t-elle.

Elle ouvrit le placard de l’entrée, attrapa un manteau et l’enroula autour des épaules de
Hayley.

Trop frigorifiée pour approfondir le débat, Hayley passa les bras dans les épaisses manches doublées. À voir la manière dont Lizzy s’était crispée à la mention de Spiderman, elle comprit que quelque chose n’allait
pas.

— Je crois que le FBI devrait utiliser un appât pour pincer le
tueur.

Lizzy posa les mains sur les épaules de
Hayley.

— Tu ne devrais pas te préoccuper de ça. Et je n’aime pas l’idée que tu traînes la nuit dans les rues. Ce n’est pas
prudent.

Sous la lampe, la figure de Lizzy paraissait encore plus
abîmée.

— Alors, qu’est-il vraiment arrivé au
visage ?

Les mains sur les hanches, Lizzy
répondit :

— J’ai commis l’erreur de poursuivre une
voiture.

— Je croyais qu’il n’y avait que les chiens qui faisaient
ça.

Leurs regards se croisèrent et elles échangèrent un petit rire. Hayley aimait bien Lizzy. Personne d’autre n’appréciait son sens de l’humour.

— Oui, eh bien, fit Lizzy, je n’ai jamais dit que j’étais une
lumière.

Hayley regarda Lizzy s’affairer dans la pièce. Elle arrangea ses coussins, monta le chauffage et alluma la
télévision.

— Installe-toi comme tu veux pendant que je donne à manger à Maggie et que je fais chauffer un peu de soupe. Un bon bol chaud va tout de suite te requinquer, ensuite nous pourrons
parler.

Lizzy alla dans la cuisine, fureta dans ses tiroirs, nourrit son chat et ouvrit une boîte de soupe. Hayley regardait la jeune femme et avait l’impression de voir le diable de Tasmanie en personne. Elle savait qu’elle aurait dû proposer à Lizzy de l’aider. Elle en avait envie, et pourtant ses jambes ne répondaient
pas.

Hayley se tourna vers la porte et regarda tous les verrous et les cadenas. Comment allait-elle sortir d’ici ? Cette pensée la ramena à Brian. Il réussirait toujours à passer malgré les serrures. S’il pouvait le faire, elle le pouvait aussi. Depuis quand avait-elle perdu son assurance ? Avant, elle était persuadée d’être capable de faire tout ce qu’elle voulait. Elle était plus intelligente que la moyenne des élèves du lycée. Elle faisait partie des dix pour cent supérieurs, et sans le moindre
effort.

Force mentale. C’était un mot qu’elle aurait pu employer autrefois pour se décrire. Du cran, de l’endurance, de la résistance. Oui, décidément, ces termes la résumaient plutôt bien. Elle faisait preuve de toutes ces aptitudes et plus encore quand il s’agissait de se donner à un homme vautré dans la débauche. Mais quelque part en chemin, elle avait perdu son âme sous couvert de « sauver » sa mère.
Et pour quel résultat ? Sa mère allait-elle mieux maintenant qu’avant ?
La réponse la rendait
malade.

— La soupe est presque prête, annonça
Lizzy.

Elle fit un geste pour désigner le
salon.

— Mets-toi à l’aise. Je vais me changer, puis nous mangerons, d’accord ?

Hayley hocha la tête. Elle voyait bien que Lizzy se faisait du souci pour elle… plus qu’elle ne le laissait paraître. Une fois que Lizzy eut disparu, Hayley se tourna vers la porte. Elle n’aurait jamais dû venir. Lizzy avait ses propres
problèmes.

 

 

Mercredi 17 février 2010, 19 h
 09

 

— Je ne te veux aucun mal, tu
sais.

Sophie était assise par terre, le haut de son corps attaché à la colonne de lit par du ruban adhésif. Ses yeux étaient bien fermés. D’épaisses cordes étaient nouées autour de ses chevilles et de ses poignets, parce qu’il aimait la traîner dans la salle de bains de temps à autre pour la
nettoyer.

— Allez, Sophie, ouvre les yeux. Regarde ce que je t’ai
apporté.

Rien. Elle ne réagissait pas. Miss Popularité s’habillait comme une prostituée et jurait comme un charretier, mais aujourd’hui, elle tremblait et bredouillait comme une enfant de huit
ans.

— Écoute, dit-il en se laissant tomber par terre pour se retrouver à son niveau, les jambes croisées devant elle. Si tu ouvres les yeux et si tu me parles pendant quelques minutes, je n’apporterai pas mes petites bêtes de compagnie pour jouer avec toi ce soir, d’accord ?

Sa lèvre se tordit et des larmes roulèrent sur ses joues, mais ce fut tout ce qu’il
obtint.

— Si tu n’ouvres pas les yeux, Sophie, je vais devoir te couper les paupières pour que nous n’ayons plus à répéter indéfiniment cette
conversation.

Ses yeux s’ouvrirent brutalement et elle poussa un cri qui le surprit. Il
sursauta.

— Très bien. Je préfère
ça.

Il ajusta son masque, qui avait tendance à trop le serrer au niveau du nez. Puis il
sourit.

— Tu m’as désarçonné, l’espace d’un
instant.

Elle cligna des yeux. Il tendit un doigt vers
elle.

— Garde-les ouverts,
Sophie.

Ses jambes tremblaient si violemment que ses genoux s’entrechoquaient.

— As-tu la moindre idée de la raison pour laquelle tu es ici,
Sophie ?

Elle renifla et bafouilla en secouant la
tête.

— Penses-tu être quelqu’un de
bien ?

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