Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (17 page)

Le technicien secoua la
tête.

— En apparence, pas de contusions autour de la gorge. Entre parenthèses, je ne pense pas que la victime soit morte depuis plus de vingt-quatre heures. Ses yeux sont clairs et le corps n’a que peu gonflé, mais encore une fois, le médecin légiste devra étudier le contenu de l’estomac pour déterminer l’heure du
décès.

— Le corps semble avoir été déposé, et non pas jeté, dit Jimmy à
Jared.

— Donc tu ne penses pas que le cadavre s’est échoué sur le rivage. D’après toi, le tueur est descendu par ce chemin, fit Jared en désignant la pente boueuse par laquelle il était arrivé, et a positionné son corps exactement à l’endroit où il voulait qu’on le
retrouve ?

Jimmy se frottait la
nuque.

— Ça m’en a tout l’air. Le bas de son buste était sous l’eau, tandis que le haut du corps était calé entre les rochers. Oui, je pense que notre homme savait exactement ce qu’il faisait. On reconnaît bien le
modus operandi
de
Spiderman.

— Combien de victimes de Spiderman ont été
étranglées ?

— Pas celle-ci, répondit la technicienne, même si je ne peux pas en être certaine pour l’instant. Si on se fie à ce que nous avons vu jusqu’à présent, je pencherais pour une mort causée par un
choc.

— Et les vêtements ? demanda
Jared.

Les habits d’une victime étaient bien souvent la meilleure source d’indices. Les deux techniciens secouèrent la
tête.

— Pas le moindre fil sur son corps, répondit Jimmy avant d’être appelé par le vidéaste. Montrez-lui le message, demanda Jimmy au technicien en s’éloignant.

Jared regarda Sophie. La technicienne écarta la frange de son
front.


 Merde !

— Oui, fit-elle, c’est aussi ce que j’ai pensé la première fois que j’ai vu
ça.

Gravées au fer sur le front de Sophie s’étalaient d’épaisses
lettres :

À CAUSE DE
LIZZY

La technicienne retira sa main et la frange retomba en place. Son partenaire termina d’envelopper le corps dans sa housse de transport, puis il referma le sac en partant des pieds de Sophie. Les piqûres sur les chevilles de la jeune fille ressemblaient aux marques retrouvées sur les autres victimes de
Spiderman.

Jared se pencha pour regarder le plus près. La lèvre supérieure de Sophie était enflée. Au milieu de la lèvre, on apercevait deux minuscules
fentes.

— Qu’y a-t-il avec sa
bouche ?

Le technicien avait remonté la fermeture jusqu’au cou de Sophie, mais il s’arrêta, plongea la main dans sa trousse et sortit un abaisse-langue d’un sac en plastique. Il se servit du bâtonnet pour soulever légèrement la lèvre supérieure, juste assez pour révéler une belle rangée de dents
régulières.

— Aucune dent fêlée, observa le technicien. Aucun hématome. Difficile à
dire.

— Très bien, dit Jared.
Merci.

Il remonta le sentier, le ventre noué. S’il avait déjà travaillé sur des affaires encore plus barbares, jamais la victime n’avait été aussi jeune que
Sophie.

CHAPITRE 19

Jeudi 18 février 2010, 12 h
 10

 

La veille, Valerie Hunt portait une jupe droite en tweed et une veste assortie. Ses cheveux de jais étaient remontés en un chignon serré derrière sa tête. Aujourd’hui, Valerie portait un pantalon noir taillé sur mesure et un manteau croisé à
damier.

Lizzy baissa la vitre, ajusta l’objectif de son appareil photo et prit furtivement quelques clichés. La longue chevelure ondulée de Valerie lui descendait en cascade jusqu’au milieu du dos, flottant librement dans le vent tandis qu’elle rejoignait sa voiture d’un pas vif, de l’autre côté de la
rue.

Lizzy posa l’appareil sur le siège passager et démarra le moteur. Puis elle attendit. Quelques instants plus tard, elle suivait la Toyota Camry noire de Valerie sur
Sunrise.

Durant les dix premières minutes, Lizzy laissa quelques voitures entre elle et la Camry.
Qui était cette femme ? Et plus important encore, qui était Victor ?
Si Valerie était sa femme, l’avait-il défiée avant de faire appel à un détective ? Avait-il d’abord essayé d’arranger les choses ? Ses pensées dérivèrent vite sur Jared et elle se demanda pourquoi elle avait éprouvé le besoin de le repousser la nuit dernière. Lorsqu’ils avaient échangé ce baiser, elle s’était sentie vivante, pleinement consciente. Malheureusement, le baiser avait aussi réveillé le sombre souvenir de leur première nuit merveilleuse qui avait tourné au
cauchemar.

Ses doigts se resserrèrent autour du
volant.

Ressaisis-toi,
Lizzy.

Avant que Spiderman ne fasse à nouveau irruption dans sa vie, elle vivait déjà comme s’il l’épiait constamment par la fenêtre. À chaque instant, au quotidien, elle pensait à Spiderman, le laissant démolir son
existence.

Mais c’en était fini, elle s’était trop longtemps
cachée.

Elle devait avancer et oublier définitivement son passé. Elle se posait des questions sur Jared ; elle se demandait s’ils avaient une chance tous les deux. Si elle en ressortait plus forte, meilleure, si elle réussissait à dormir une nuit complète sans se réveiller avec des sueurs froides, alors peut-être, peut-être seulement, avaient-ils une chance. Jared Shayne était un homme extraordinaire. L’homme le plus attentionné qu’elle ait jamais connu. Bien sûr, elle ignorait si le moment était bien choisi pour leurs retrouvailles, mais qui était-elle pour refuser la seconde chance qui lui était donnée avec quelqu’un d’aussi tendre et
sincère ?

Son cœur palpitait d’une détermination naissante. Elle ne laisserait pas Spiderman continuer à lui gâcher la vie. À son tour de connaître les frissons, de sentir la peur courir dans ses veines, de se demander à tout moment s’il était
observé.

Une Honda argentée se rabattit devant elle. Merde. Elle avait perdu la Camry de vue. Elle se décala sur la voie de gauche en appuyant sur la pédale d’accélérateur. Du coin de l’œil, elle aperçut la Camry qui tournait à droite. Coupant la route à la Honda, Lizzy donna un brusque coup de volant sur la droite et s’engagea sur Folsom Boulevard, juste à temps pour repérer la Camry qui allait à gauche sur East Point Drive. Lizzy rattrapa Valerie et la suivit sur le parking d’un
hôtel.

Elle la vit se garer devant l’hôtel, descendre du véhicule et tendre les clés au
voiturier.

Lizzy passa devant l’établissement et se dirigea vers le parking public. Elle n’avait pas l’intention d’entrer dans le hall de l’hôtel. Si elle marchait derrière Valérie, elle risquait de tomber sur elle. Le b. a.-ba du détective privé : ne laissez jamais votre cible détecter votre
présence.

Elle tapait du doigt sur le
volant.

Et puis
zut.

Elle choisit le premier emplacement libre. Une voix dans sa tête lui répétait : « Trop de curiosité est un vilain défaut. » Elle ne l’écoutait pas. Après avoir coupé le moteur, elle sortit et contourna sa voiture en toute hâte. Elle ouvrit le coffre et s’empara d’un manteau qui lui arrivait au genou et qu’elle gardait justement pour ce type d’occasion. Après avoir noué un foulard autour de sa tête, elle se dirigea vers l’entrée de l’hôtel. Il était midi vingt. Si elle avait de la chance, Valerie serait au bar ou au restaurant. Sinon, Lizzy s’installerait dans le hall jusqu’à ce que sonne la fin de sa
surveillance.

La veille, comme promis, un coursier avait livré à son bureau un total de trois mille dollars en liquide dans l’après-midi. Malheureusement, l’homme que Jared avait envoyé pour surveiller son bureau était arrivé trop tard pour lui être d’aucune aide. D’après Jessica, le coursier ne portait pas d’uniforme. Il avait un jean bleu et un sweat-shirt à manches longues. Il était arrivé sur un vélo de route qu’il avait déposé contre un immeuble, à un pâté de maisons du bureau. Après avoir remis l’enveloppe à Jessica, le jeune homme était parti précipitamment sans lui laisser le temps de lui donner un pourboire ni de lui poser des questions sur la personne qui l’avait embauché pour remettre le pli. En fille intelligente, Jessica s’était servie de son téléphone pour prendre plusieurs photos du livreur qui détalait. En téléchargeant les images sur l’ordinateur de Lizzy, elles avaient pu agrandir les photos et distinguer un autocollant derrière son casque. Il représentait l’aigle de Cosumnes River
College.

Comme Lizzy traversait le parking, une bourrasque faillit emporter le foulard qu’elle avait sur la tête. Une BMW argentée se gara devant l’hôtel, masquant le hall d’entrée.
Écarte-toi de ma vue, l’ami.

Un homme en costume sombre sortit de la BMW et tendit ses clés au voiturier. Il fallut quelques secondes à Lizzy pour le reconnaître. Abasourdie, elle tourna brutalement les talons. Ramenant le foulard autour de son visage, elle s’efforça de garder une allure constante tout en rebroussant chemin jusqu’à sa
voiture.

Ne cours pas. Marche. N’attire pas l’attention sur toi.
Respire.

Craignant qu’il ne reconnaisse sa voiture s’il regardait dans sa direction, Lizzy se dirigea vers une Prius grise. Feignant de chercher ses clés, elle risqua un coup d’œil par-dessus son épaule. Il était parti. Le voiturier monta dans la BMW et disparut de l’autre côté du bâtiment. Elle revint à toutes jambes à son véhicule, jeta le manteau et le foulard sur la banquette arrière et se glissa sur le
siège.

Son front tomba contre le volant.
Bon sang, mais que venait faire
Richard ?

Malheureusement, elle savait exactement pourquoi son beau-frère était là. La veille, en compagnie de Jared, elle avait suivi Valerie chez Seacrest and Associates, la société qui employait Richard. La coïncidence ne lui avait pas échappé, mais Lizzy ne l’aurait jamais soupçonné d’avoir une liaison avec Valerie Hunt. Que se passait-il
donc ?

Quand Lizzy avait indiqué à Jared que l’immeuble dans lequel la femme était entrée était celui où travaillait son beau-frère, Jared lui avait demandé de but en blanc s’il pouvait exister un lien entre Valerie et Richard. Lizzy avait aussitôt balayé cette éventualité. Richard Warner était aussi romantique qu’une porte de placard et au moins aussi chaleureux qu’un
troll.

Mais à présent, l’esprit de Lizzy bouillonnait de spéculations. Elle était mal à l’aise. Elle saisit son téléphone sans prêter attention au signal lumineux qui lui indiquait qu’elle avait un message sur son répondeur, et elle appela sa sœur chez elle. Cathy décrocha à la deuxième
sonnerie.

— Salut. C’est moi,
Lizzy.

À l’autre bout de la ligne, sa sœur poussa un soupir éloquent. De toute évidence, elle n’était pas prête à lui présenter ses
excuses.

— Je suis désolée pour tout ce qui s’est passé, lâcha Lizzy, du ton précipité qu’elle employait quand elle était nerveuse. Tu as fait preuve d’un tel soutien, d’un tel encouragement pendant toutes ces
années…

— Es-tu toujours à la recherche de ce
détraqué ?

— Pour tout dire, je n’ai pas eu beaucoup de temps à consacrer au psychopathe, mentit-elle. Je travaille sur ma première affaire d’infidélité et ça me pompe tout mon temps et mon
énergie.

Sa sœur n’était pas obligée de tout savoir. Mais Lizzy avait besoin de lui parler, d’entendre sa voix. Depuis que leur mère avait déménagé et que leur père l’avait écartée de sa vie, Cathy était la seule famille qu’il lui restait. Avec Brittany, bien
entendu.

— Je croyais que tu n’acceptais pas d’enquêter sur les
infidélités !

— C’était le cas. Jusqu’à ce qu’un certain Victor m’offre trois mille dollars pour surveiller sa femme pendant deux
semaines.

Il y eut une pause avant que Cathy
réponde :

— Ouah, je crois que moi aussi, j’aurais accepté la
mission.

Lizzy sentit la tension de ses épaules et de son cou se relâcher un
peu.

— Bon, voilà, j’étais assise dans ma voiture en attendant que la femme revienne et je me suis mise à penser à toi et à Brittany. Je vous ai vues il y a trois jours et vous me manquez
déjà.

— Tu me manques aussi, Lizzy, mais tant que tu n’en auras pas fini avec cette obsession pour Spiderman, un homme qui a presque réussi à détruire nos vies à tous, je dois faire ce qui est le mieux pour
Brittany.

— Je comprends. Comment va-t-elle ?

— Difficile à croire qu’elle aura bientôt quinze
ans.


 Inimaginable.

Lizzy ferma les paupières. Cathy serait dévastée si elle apprenait ce qu’elle avait vu. Lizzy était incapable de le lui dire. Elle ne pouvait pas annoncer à sa sœur ce qu’elle venait de découvrir.
Présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, non ?
Elle ne voulait pas que Cathy souffre encore davantage par sa
faute.

— Qu’est-ce que je vais faire quand Brittany commencera à conduire ? demanda Cathy. Toutes les autres mamans avec lesquelles j’ai discuté aux rencontres de natation et à l’école me disent que je ne verrai presque plus Brittany une fois qu’elle aura son
permis.

Lizzy soupira. Après avoir échappé aux griffes de Spiderman, elle avait appris avec stupéfaction que sa sœur était enceinte et s’apprêtait à épouser Richard. Sa sœur n’était alors âgée que de dix-huit
ans.

— Ce n’est pas encore pour tout de suite. Mais tu as raison ; ce n’est pas facile de voir notre petite Brittany grandir si vite, n’est-ce
pas ?

— Je déteste ça. Je déteste vraiment ça. Où est passé tout ce
temps ?

— Je ne sais
pas.

Elles restèrent un moment sans parler. Leur silence était rempli de toutes les paroles qu’elles avaient tues pendant des années. Même si Cathy était toujours en contact avec leur père, il refusait de parler à Lizzy, alors les deux sœurs n’évoquaient jamais son
existence.

— Si tu veux assister à la rencontre de natation de Brittany samedi, c’est à midi au centre aquatique de Roseville. Je ne te mettrai pas
dehors.

Lizzy avait le cœur brisé. Elle savait qu’elle devait lui dire ce qu’elle avait vu, mais elle ne ferait que lui causer du
malheur.

— Je ne raterais ça pour rien au monde. Richard sera
là ?

— J’en doute. Il est très occupé, ces derniers temps… il travaille le soir et le week-end. Quand il rentre, il est trop fatigué pour faire quoi que ce soit et il s’endort sur le
canapé.

Cathy eut un petit rire
désabusé.

— Je devrais peut-être te payer pour que tu l’espionnes pendant quelques
semaines.

Le dos de Lizzy se
raidit.

— Je plaisante, tu sais, reprit Cathy. Tout va bien entre Richard et moi. En fait, il a apporté ma voiture à réparer aujourd’hui. Il m’a prêté sa Lexus. C’est inédit, parce qu’il ne me l’a jamais laissé conduire
auparavant.

— Qu’est-ce qui ne va pas avec la
tienne ?

— Apparemment, tout. Il m’a appelée il y a vingt minutes pour m’énumérer toute une liste de problèmes au niveau du moteur. La bonne nouvelle, c’est que tout devrait être réparé avant la fin de la
journée.

— On dirait qu’il est temps pour Richard de t’acheter une autre
voiture.

— Ce n’est pas près d’arriver. On surveille notre porte-monnaie en ce moment. Mais je lui transmettrai ta suggestion, dit-elle d’un ton
enjoué.

Lizzy se frotta l’arête du
nez.

— Je dois y aller. Passe le bonjour à Brittany. Je vous vois samedi toutes les
deux.

— Je le lui dirai. Prends soin de toi,
Lizzy.

— Toi aussi. Je t’aime.

Lizzy raccrocha. Elle espérait s’être trompée au sujet de Richard. Comme elle ne voulait pas partir sans connaître le fin mot de l’histoire, elle sortit du parking de l’hôtel et se gara de l’autre côté de la rue, qui lui offrait une meilleure visibilité sur l’entrée de l’établissement. Elle prépara son appareil photo, s’empara de ses jumelles, se recroquevilla sur son siège et
attendit.

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