Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (11 page)

Lizzy était peut-être la même en apparence, mais maintenant, la situation était différente. Pour commencer, il connaissait désormais la vérité. Lizzy était une menteuse. D’après une interview que son père avait accordée à Barbara Walters, le soir où Lizzy avait disparu, elle avait menti à ses parents pour s’échapper en douce en compagnie de son petit
ami.

Que venait donc de faire la mignonne et innocente Lizzy avant qu’il ne l’assomme pour la ramener chez
lui ?

Lizzy était non seulement une menteuse, mais aussi une traînée. Et pourtant, il avait cru à ses
foutaises.

Il grinça des dents. À cause de Frank Lyle et du ramassis de mensonges de Lizzy Gardner, les voix se faisaient à nouveau entendre dans sa tête, en son surround haute définition. La putain avait menti à ses parents et avait abandonné ses amies pour pouvoir aller baiser son petit ami. Puis elle avait commis la plus grosse erreur de sa vie… elle lui avait
menti.

Pendant des jours, des semaines, des mois. Un tissu de
mensonges.

Son cœur cognait contre ses côtes au rythme de ses pensées. Ses paumes devenaient moites. Lizzy Gardner allait maintenant devoir subir les conséquences de ses actes. Sa poitrine se soulevait et s’affaissait à chacune de ses respirations enfiévrées. Lizzy savait exactement ce qu’il lui ferait une fois qu’il l’aurait attrapée. Elle avait déjà tout vu. Elle savait ce dont il était
capable.

Mais d’abord, il comptait bien s’amuser un
peu.

Clic. Clic.
Clic.

CHAPITRE 11

Mardi 16 février 2010, 21 h
 25

 

Jimmy Martin descendit de sa voiture et écouta le message du Dr Lehman. Il referma son téléphone. Il allait devoir attendre jusqu’à demain avant de recevoir les résultats du laboratoire. Il savait déjà que ce n’était pas bon. Les médecins laissaient leurs assistants contacter le patient s’ils avaient de bonnes nouvelles à leur annoncer. Sinon, c’était le docteur qui se chargeait personnellement de l’appel. Peu de temps auparavant, Jimmy avait vu sa mère mourir d’un long cancer. Il savait à quoi s’attendre. Il lui restait quelques années avant sa retraite obligatoire. Mais vraisemblablement, il n’avait plus à s’en
préoccuper.

Jimmy n’aimait pas avoir des regrets, et pourtant il en avait tout un stock en réserve. Il avait été promu agent spécial adjoint responsable du bureau de Sacramento quinze ans auparavant, lorsque personne n’avait encore entendu parler de Spiderman. Six mois plus tôt, pour la première fois dans sa longue carrière au sein du bureau, il avait éprouvé une sensation indescriptible d’accomplissement, quand ils avaient mis Frank Lyle, le tristement célèbre Spiderman, derrière les
barreaux.

Maintenant, tout partait à la
dérive.

Frank Lyle s’avérait n’être rien de plus qu’un pâle imitateur. Le véritable Spiderman était de retour, et il ne plaisantait
pas.

Quand il se penchait sur sa vie, Jimmy se disait qu’il avait tout raté. Sa femme et lui évoquaient le divorce. Il l’aimait toujours, mais elle en avait assez de tout faire toute seule. Elle était prête pour une vraie relation, avec un homme sur lequel elle pourrait compter, quelqu’un qui serait à ses côtés lorsqu’elle éteindrait les lumières pour la nuit. Ses filles ne lui parlaient presque plus. Certes, il pensait souvent à elles, mais il avait toujours placé le travail avant la famille. Et maintenant, il en payait le
prix.

Son téléphone vibra. C’était sa femme,
Marianne.

— Tout va
bien ?

— Où étais-tu ? Les filles viennent de
partir.

Merde. C’est pas vrai ! Il avait oublié qu’ils devaient dîner
ensemble.

— Je suis
désolé.

— Qu’est-ce qui ne va pas chez toi, Jimmy ? Comment as-tu pu oublier quelque chose d’aussi important ? Tu avais promis que nous l’annoncerions ensemble aux
filles.

— Est-ce que tu le leur as dit ? demanda-t-il, en espérant une réponse
négative.

Il n’avait pas plus envie de divorcer que d’avoir le
cancer.

— Je n’ai pas pu. Donna avait une importante nouvelle qu’elle voulait partager avec nous. Elle a attendu des heures que tu arrives, avant de finir par annoncer qu’elle allait épouser
Jeff.

— Oh,
vraiment ?

Il déglutit pour chasser le goût amer de sa
bouche.

— C’est super. Ont-ils fixé une
date ?

— C’est super ? Tu détestes Jeff. Qu’est-ce qui ne va
pas ?

— Rien. Je vais bien. Je veux juste que mes filles soient heureuses. Et toi aussi, Marianne. Je veux ton bonheur, tu
sais.

— Tu n’es pas comme d’habitude. Qu’est-ce qui se
passe ?

— J’ai eu une longue journée. Je suis désolé de ne pas avoir été présent ce soir. Je vais bientôt
rentrer.

Elle répondit par un
grognement.

Jimmy raccrocha. Posté devant l’appartement de Lizzy Gardner, il surveillait les environs. Plus tôt dans la journée, quand il était arrivé chez les Walker avec un mandat de perquisition, il avait aperçu dans les yeux de Lizzy Gardner quelque chose qu’il n’y avait encore jamais lu. La
peur.

À cause de Spiderman, cela faisait plus d’une décennie que Jimmy était inexorablement lié à Lizzy Gardner. Et pourtant, il n’avait jamais su comment l’aborder. Maintenant, il commençait à se rendre compte qu’elle était sans doute le produit d’une folie et d’une cruauté sans nom. La jeune femme essayait tant bien que mal de trouver un sens à la confusion et au chaos. Autant pratiquer une autopsie sur une poupée en plastique, c’était
impossible.

Jimmy avait l’habitude de s’occuper des cadavres, mais pas des survivants. Pour la première fois depuis son serment, il se surprenait à vouloir se mettre à la place de la victime au lieu de celle du meurtrier. Il était envahi par une profonde empathie. Il se sentait responsable et, par-dessus tout,
impuissant.

Les yeux levés vers les étoiles, Jimmy prit un moment pour rassembler ses pensées avant de scruter à nouveau les alentours. Il se demandait si Spiderman le regardait en cet instant même. Plus loin sur la route, à moins d’un pâté de maisons, il repéra une berline banalisée. John Perry était de surveillance ce soir. C’était un jeune agent débutant, avide d’apprendre. Il venait de se marier. Jimmy aimait bien ce gamin. Quelque part, il avait envie d’avertir le nouveau, de lui dire de quitter le métier avant d’être trop embourbé dans la détresse − de partir tant qu’il pouvait encore regarder sa femme dans les yeux et croire qu’il y avait plus de bien que de mal dans ce
monde.

 

 

Mardi 16 février 2010, 21 h
 32

 

Jared avait reçu l’appel de sa sœur à 21 h 14. Ses mots résonnaient encore à ses
oreilles :

— Viens vite ! Maman et papa recommencent, mais cette fois, je pense que maman est vraiment en train de le quitter. Il faut que tu te dépêches. Papa a jeté les clés de voiture de maman dans la mare, et je te jure qu’il est rentré dans la maison pour chercher son
flingue.

Jared avait les yeux rivés sur la route. Il se rappelait son premier homicide. Tracey Baker, mariée et mère de trois enfants, qui avait braqué une arme sur son mari pour le mettre au défi d’essayer de la quitter. Âgés de quinze, douze et huit ans, ils regardaient la scène, les yeux écarquillés, priant pour que leur père pose sa valise, revienne à la maison et arrange tout. Mais Brandon T. Baker n’avait pas cédé et avait reçu une balle derrière la tête. Ce n’était pas le regard vitreux de Brandon lorsqu’il était tombé par terre ni les cris horrifiés des témoins qui hantaient l’esprit de Jared. C’était la réaction des enfants qui étaient restés avec lui pendant tout ce temps. La manière dont ces trois bambins avaient imploré les agents de police de ne pas leur enlever leur mère. Ils avaient perdu leur dernier grand-parent un mois plus tôt et n’avaient pas vraiment de famille proche. Néanmoins, Tracey Baker avait été emmenée. Et on avait remis les petits aux services de protection de l’enfance. La dernière fois qu’il s’était renseigné, la fratrie avait été séparée et placée en foyer d’accueil.

Après s’être signalé au portail, Jared conduisit le long d’un vaste lac artificiel qui scintillait au clair de lune. C’était un élégant paysage, que seuls les riches pouvaient s’offrir.

Il tourna aussitôt à droite et emprunta une allée en arc de cercle, bordée de haies et d’arbres soigneusement taillés. Il se gara sur l’une des six places de stationnement, à côté de la Jaguar de sa
sœur.

Il gravit les marches deux par deux. Le silence était inquiétant lorsqu’il franchit la porte. Le bruit de ses pas résonnait faiblement sur l’immense sol en marbre. La demeure cossue, avec son entrée imposante et ses escaliers en colimaçon aux rampes en fer conçues sur mesure, ressemblait davantage à un hôtel de luxe qu’à une
maison.

L’entrée principale était ajourée et sentait le printemps. Des brassées de fleurs fraîches décoraient la console plaquée en marbre soigneusement placée sous un somptueux miroir
doré.

Sa mère fut la première personne qu’il vit en pénétrant dans la salle de séjour. Elle était tournée vers la gauche. Elle avait les mains levées, comme un policier cherchant à arrêter la circulation. Elle se tenait bien droite. Son épaisse chevelure argentée était coupée dans le prolongement de sa mâchoire. Les mèches grises brillaient sous le chandelier de cristal. Elle portait un manteau en cachemire noir, avec fermeture à glissière, assorti à son pantalon dont l’ourlet tombait sur des chaussures à talons hauts aux boucles en argent. Curieusement, il se sentit le devoir de tout enregistrer dans le moindre détail. Ensuite, il aperçut sa sœur. Le mouvement de son regard lui apprit que leur père ne l’avait pas encore
vu.

— Jared, s’écria sa mère avant qu’il ait pu contourner son père pour le prendre par
surprise.

Jared s’avança et posa le pied sur un tapis blanc moelleux. Il regarda son
père.

— Papa, qu’est-ce que tu
fais ?

— Rentre chez toi, mon fils, et emmène ta sœur. Ce ne sont pas vos
affaires.

Jared se rapprocha, ce qui poussa son père à tourner l’arme dans sa
direction.

— Génial, papa. Tu tirerais sur ton propre fils ? Pour quelle raison ? Bon sang, mais qu’est-ce que tu
fais ?

— Pourquoi tu ne demandes pas à ta
mère ?

Son père agita son arme entre les
deux.

— Demande-lui pourquoi on en est arrivé
là.

Jared passa une main dans ses cheveux, soulagé d’avoir croisé le regard de son père. Il était certes exaspéré, mais il ne tirerait sur personne. Jared décida donc de jouer le jeu pour l’instant.

— Maman, fit Jared. Qu’est-ce que tu as fait pour le mettre dans cet
état ?

Elle releva le menton d’un air
provocateur.

— Je lui ai dit que je le quittais. Ton père est juge. Apparemment, personne n’a le droit de le
quitter.

Son père était un bel homme aux cheveux noirs grisonnants sur les tempes, et à l’apparence noble et soignée. Il se dégageait généralement de son allure et de son attitude énergique une impression d’assurance et d’autorité. Mais pas ce soir. Ce soir, son père avait le visage rouge et hagard.
Abattu.

— Explique à ton unique fils pourquoi tu me
quittes.

— Je suis amoureuse de quelqu’un d’autre, avoua sa mère, d’une voix triste et
résignée.

— Dis-lui qui c’est !

Il agita à nouveau son arme. Les mains de sa mère
tremblaient.

— Arrête, papa, s’écria sa sœur. Arrête, ça suffit. Il a bu, affirma-t-elle à Jared. Il a perdu la
raison.

— Ta mère baise avec ce foutu
dentiste !

Il ponctua sa déclaration d’un éclat de rire sans joie. La tête de son père retomba et son menton heurta sa poitrine. Le temps que Jared arrive près de lui pour lui prendre le pistolet des mains, le rire de son père s’était transformé en un torrent de
larmes.

CHAPITRE 12

Mercredi 17 février 2010, 7 h
 25

 

Lizzy coupa le moteur, mais ne quitta pas le volant. Elle écoutait le sifflement du vent qui se frayait un chemin en tourbillonnant à travers le moteur pour lui parvenir par des fentes invisibles. À l’extérieur, les branches désarticulées et nues des érables qui bordaient la rue se balançaient d’avant en arrière. On aurait dit qu’elles dansaient une valse
viennoise.

C’était mercredi. Les événements s’étaient précipités ces derniers jours. Elle avait prévu de faire la grasse matinée, mais c’était une illusion. Cela faisait des années qu’elle n’avait pas bien dormi, sans parler de se réveiller
tard.

La veille, alors que Jared et elle étaient assis sur le trottoir en attendant que la police arrive, devant la propriété des Walker qu’elle désignait aussi sous le nom de maison des supplices, Jared avait appelé Jimmy Martin pour le tenir au courant de ce qui se passait. Les fédéraux n’avaient pas mis longtemps à obtenir un mandat pour fouiller leur domicile. Pendant que Jared et elle attendaient, Lizzy avait eu la nette impression qu’ils étaient observés. Quand elle lui en avait fait part, il lui avait désigné la maison, de l’autre côté de la rue, où une vieille femme les épiait depuis la fenêtre de sa
cuisine.

Lizzy en était restée là, mais quelque part, elle était toujours sur le qui-vive. Il n’était pas loin, et il ne faisait aucun doute qu’il était en train de la regarder. Son intuition ne lui mentait jamais. C’était une leçon qu’elle avait durement
apprise.

Mme Walker et sa fille n’avaient pas été contentes de découvrir que leur foyer avait peut-être servi de théâtre aux tortures les plus brutales. L’inquiétude principale de Lizzy, quand ils avaient fini par quitter les lieux, portait sur Sophie, dont ils n’avaient toujours pas retrouvé la trace. Les Walker avaient acheté la maison six ans plus tôt à un homme aujourd’hui décédé, qui s’appelait Carl Dane. Jimmy Martin approfondissait le sujet et lui avait promis de la tenir
informée.

Lizzy sortit de sa vieille Toyota délabrée. Lorsqu’elle referma la portière, les gonds protestèrent en grinçant. Depuis qu’elle avait visité la maison des supplices, les images ne cessaient d’affluer dans son esprit, comme des pois sauteurs du Mexique. Spiderman était docteur. Elle en était certaine… et pourtant, quelque chose ne collait pas.
Sur quoi n’arrivait-elle pas à mettre le
doigt ?

La rue devant son bureau semblait étrangement déserte pour un mercredi matin. C’était sans doute la météo glaciale qui poussait les gens à rester au chaud dans leur lit. L’air avait beau être froid et mordant, elle savait que ce n’était pas à cause de la température qu’elle était transie jusqu’aux os. Elle porta la main à son épaule pour toucher son étui et s’assurer que son arme était bien en place. Les vieilles habitudes ne disparaissaient
jamais.

Sans doute aurait-elle dû attendre Jared, après tout. Il l’avait appelée à onze heures la veille pour lui dire qu’il était passé chez ses parents et lui avait proposé de la retrouver chez elle. Il était inquiet à son sujet. Mais elle avait décliné son offre. Elle avait la mauvaise habitude de rejeter les gens. Elle finissait toujours par le regretter. Pourtant, elle répétait inlassablement les mêmes erreurs. Pour se rattraper, Lizzy l’avait invité à dîner chez elle ce soir, à condition que ce soit lui qui cuisine. Jared avait accepté. Sa voix lui paraissait éloignée, comme s’il se trouvait à un million de
kilomètres.

Lizzy avait l’impression d’être un bandit armé du Far West − une rue déserte, un pistolet dans son étui, le mal qui flottait dans l’air. Elle se dirigea d’un pas décidé vers son bureau. Les semelles en caoutchouc de ses bottes d’hiver produisaient un bruit sourd sur le trottoir. Ses bottes étaient vieilles de plus de cinq ans, mais elles étaient toujours chaudes et confortables, avec un bon maintien. C’était l’un des avantages de travailler à son compte − elle pouvait porter ce qu’elle voulait. Pour être un détective privé, nul besoin de talons, de bas, ni de repassage. Un jean, une paire de bottes imperméables, un t-shirt en coton avec un col en V suffisaient amplement, puis elle enfilait son manteau coupe-vent ajusté qu’elle aimait tant, et elle était prête à affronter l’hiver.

Chaque fois qu’elle expirait, son souffle formait un nuage de brume blanche. Elle jeta un œil à sa montre. Le fleuriste au bas de la rue ne serait pas encore ouvert avant une heure ; même chose pour le salon de l’autre côté, en face de son bureau. Les seuls bruits qui lui parvenaient étaient le sifflement du vent et le bourdonnement lointain de la circulation sur l’avenue principale, à quelques rues de là. D’après le bulletin météo de ce matin, des alertes à la tempête étaient prévues. D’ici vendredi, on attendait des rafales de vent jusqu’à cent trente kilomètres
heure.

Comme elle se rapprochait de son bureau, elle sortit sa clé de la poche de son manteau. Des mouvements flous se reflétaient sur la vitrine en verre. Elle regarda par-dessus son épaule. Rien, seulement des branches d’arbres qui dansaient dans le vent. Zut. Son imagination lui jouait des
tours.

Ses mains tremblaient. Manque de sommeil. Elle avait les nerfs à vif. Quel que soit le sens dans lequel elle tournait la clé, les rainures métalliques ne correspondaient pas. Foutue serrure. Elle laissa tomber ses clés. La loi de Murphy, se dit-elle en retirant un gant avant de se baisser pour ramasser le
trousseau.

Une main se referma sur son
épaule.

Elle tendit les bras entre ses jambes pour attraper celles de l’intrus et le faire aussitôt basculer sur le
sol.

Du café chaud gicla dans les airs et atteignit le côté de son visage, arrosant sa veste. Lizzy pivota sur ses talons et porta la main à son épaule pour s’emparer de son
arme.

— Ne tire
pas !

Les yeux de Jessica étaient écarquillés par la peur. Un gobelet en polystyrène roulait au milieu de la
rue.

Desserrant les doigts autour de son arme toujours enfermée dans son étui, Lizzy souffla une buée glaciale en produisant un sifflement. Elle se redressa et tendit la main pour aider Jessica à se
lever.

— Je croyais que tu avais appris une leçon l’autre
jour.

Le regard de Lizzy passait au-dessus de la jeune
femme.

— Où est ta
voiture ?

— C’est mon frère qui m’a déposée en allant au travail. Tu n’étais pas là, alors j’ai décidé de prendre un café. Quand je t’ai vue, enfin, tu connais la
suite.

— Est-ce que je t’ai fait
mal ?

— Ça
va.

Jessica n’avait pas l’air d’aller et elle se frottait le coude tout en déroulant sa colonne pour l’empêcher de se
tasser.

Lizzy ramassa les clés sur le sol. Cette fois, parce que c’est ainsi que fonctionne la loi de Murphy, elle réussit à insérer la clé dans la serrure du premier coup. Elle ouvrit grand la porte et attendit que Jessica passe
devant.

Jessica fronça les
narines.

— Désolée pour ton
manteau.

— Ce n’est pas
grave.

Lizzy retourna dans la rue pour récupérer le gobelet en polystyrène. C’est alors qu’elle aperçut la maudite Jeep verte garée plus loin sur la route, devant le café.
Pas cette
fois.

Elle laissa la tasse et se dirigea vers la Jeep, augmentant sa vitesse lorsqu’elle se rendit compte que la conductrice ne regardait pas autour d’elle.

Même femme. Même casquette de base-ball. Même queue-de-cheval.

À seulement trois voitures de distance… elle y était
presque.

La femme jeta alors un coup d’œil par la vitre, et Lizzy se mit à courir à toutes jambes. Elle était suffisamment proche pour lire sur ses lèvres un juron silencieux. Lizzy s’élança vers la poignée de la première portière et la secoua pour l’ouvrir, mais la conductrice avait déjà démarré le moteur et enfoncé la pédale d’accélération.

La Jeep percuta la voiture garée devant elle, sa portière entraînant Lizzy vers l’avant. Lizzy rebondit sur le pare-chocs arrière et s’étala sur le sol avec
fracas.

La Jeep recula en faisant crisser ses pneus. Lizzy roula sur la gauche. Une douleur intense lui enflamma le corps. Elle fut étouffée par l’odeur âcre de caoutchouc
brûlé.

Le ciel gris et les arbres dansèrent au-dessus de sa tête, avant de s’estomper dans le
noir.

 

 

Mercredi 17 février 2010, 7 h
 32

 

Hayley Hansen regardait fixement le plafond jaunâtre. Elle se demandait quelle quantité de fibres toxiques il fallait inhaler pour tomber gravement malade ou, mieux encore, mourir. Elle était allongée sur son lit tout habillée, même si elle se demandait à quoi cela lui servait. Habillée ou pas, ce n’est pas ce qui empêcherait le dealer de drogue de sa mère de venir prendre son dû. Comme elle le faisait souvent quand elle savait que Brian devait leur rendre visite, Hayley priait un dieu auquel elle ne croyait plus. Mais que le créateur et maître de l’univers existe ou pas n’avait aucune importance. Il ne lui restait plus que lui, c’était le seul à qui elle pouvait
parler.

S’il vous plaît
, commença-t-elle sa prière sincère,
faites qu’aujourd’hui Brian fasse une overdose d’héroïne. Je vous en prie, oh, je vous en prie, votre divinité, que Brian, rejeton du diable, se lève, sorte de chez lui et reçoive aussitôt une balle perdue tirée depuis une
voiture.

Elle ne demandait pas un miracle. Des fusillades de rue se produisaient toutes les semaines dans son coin. C’était possible. Sa mère était sobre et s’en sortait bien depuis longtemps quand Brian était arrivé et avait enseigné à sa mère comment « chasser le dragon ».

Le bruit d’une portière de voiture qui s’ouvre et qui se ferme lui apprit qu’une fois de plus, ses prières n’avaient pas été exaucées. Pas besoin de clé. La porte d’entrée grinça et des bruits de pas familiers retentirent sur les lattes du
plancher.

Il
arrivait.

Elle aurait pu courir. Non, déjà essayé. Ça ne faisait qu’aggraver les choses. Rien de bon ne se produisait quand on cherchait à repousser l’inévitable. Si seulement elle trouvait le courage d’abandonner sa mère, de la laisser se défendre toute seule, alors elle réussirait à fuir. Mais pourrait-elle encore se regarder en face ? Sa mère n’était pas fautive. Elle avait fait du mieux qu’elle avait pu. Ses grands-parents, en revanche, étaient hors catégorie. Au jeu de la vie, sa mère avait tiré la courte paille. Sa propre existence était un week-end à Disneyland comparée à l’enfance de sa
mère.

D’autres bruits de pas résonnèrent dans le couloir. Sans doute sa mère qui s’assurait que c’était bien Brian, violeur et dealer de drogue, et non pas quelque autre âme en peine qui se serait perdue dans la porcherie qui lui tenait lieu de
maison.

La porte de la chambre de Hayley se referma en claquant. Oui, c’était bien Brian. Elle avait beau garder les yeux rivés au plafond, Hayley savait que c’était Brian qui se tenait dans sa chambre. Elle le sentait toujours avant de le voir. Un cocktail entêtant : cigarettes, bière éventée et odeurs corporelles se mêlaient aux relents de vomis et d’urine du trou à rats dont il
sortait.

Toujours
pareil.

Si elle pouvait, elle ne poserait jamais un regard sur lui. Mais elle n’avait pas le choix. Si elle fermait les yeux ou tentait de s’évader sur une planète lointaine et imaginaire, il la prendrait au dépourvu et essaierait de la réveiller avec son propre traitement de choc
personnel.

Non. Elle ne fermait jamais les
yeux.

Troublée, elle renifla et s’efforça tant bien que mal de ne pas se laisser gagner par la nausée. Il y avait une nouvelle odeur. De l’huile ? Des pommes de terre pourries ? Un animal
mort ?

Oh, je vous en prie, mon Dieu.
Non.

— Vas-y, dit Brian à son ami. Passe en
premier.

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