Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (8 page)

— Maggie, reviens
ici !

— Je m’occupe du chat, dit-il. Toi, rentre te barricader chez
toi.

— Oui,
chef.

Avant de s’exécuter, il la regarda disparaître en secouant la tête, comme si, cette fois, elle avait définitivement déraillé et perdu la raison. Lizzy rangea son arme dans le tiroir. Avisant le carnet et le stylo qu’elle gardait près du téléphone, elle nota la partie de la plaque d’immatriculation qu’elle avait vue, ainsi qu’une description de la conductrice : menue, cheveux bruns, petit nez. Jeep vert sapin avec les chiffres 1 et 8, et la lettre N, dans les quatre premiers signes de la plaque. Elle posa son stylo.
Qui était cette femme et que voulait-elle ?

Un coup frappé contre la porte la fit sursauter. Elle avait déjà oublié Jared et Maggie. Elle se précipita vers la porte d’entrée et l’ouvrit.

Maggie griffait le cou et le torse de Jared. Il grogna et jeta le chat sans ménagement dans le salon. Il referma la porte derrière lui et enclencha le verrou
principal.

— Tu
saignes.

— Tu m’en diras
tant.

Elle invita Jared à entrer dans la cuisine en essayant de ne pas sourire devant sa mine pincée. Elle trouva un torchon propre et en humecta un coin sous le robinet d’eau froide. Tout en tamponnant sur les griffures qui lui zébraient la mâchoire, elle résista à l’envie de caresser son beau visage. Elle était stupéfaite de constater qu’il lui faisait toujours autant d’effet après toutes ces
années.

— J’espère que ce machin est
vacciné.

— Ce machin s’appelle
Maggie.

Elle souriait. Lorsqu’elle appliqua à nouveau le tissu sur les éraflures, il avait retrouvé ses yeux
rieurs.

— C’est bon de te voir sourire, dit-il.

— Soit je ris, soit je
pleure.

Un moment s’écoula avant qu’il ne
reprenne :

— Il faut croire que ta sœur ne m’a pas encore
pardonné.

— Cathy n’est pas du genre à pardonner. Elle ressemble beaucoup à
papa.

— Oui, eh bien, tu ne mérites pas d’être traitée de cette
façon.

— À un moment ou à un autre, il faut apprendre à composer avec les cartes que la vie nous a
données.

Elle s’écarta de lui et s’occupa du repas de
Maggie.

— À propos de la Jeep, dit-il. Tu as pu voir le
type ?

Elle s’agenouilla et remplit la gamelle de
Maggie.

— C’était une
femme.

— Quelqu’un de ta
connaissance ?

Elle secoua la
tête.

— Tu ne peux pas poursuivre la moindre voiture suspecte que tu vois garée devant ton
appartement.

Elle se
raidit.

— J’apprécie ta sollicitude, vraiment. Mais, s’il te plaît, ne commence pas à me dire ce que je dois
faire.

— Toujours aussi têtue après toutes ces
années ?

— Je fais de mon
mieux.

Alors qu’elle terminait de remettre de l’ordre dans la cuisine, Jared examinait les fenêtres de la pièce qui donnait sur la
rue.

— Cathy a déjà vérifié les verrous, lui dit-elle.

Autant parler à un
mur.

— Jimmy veut faire venir un ou deux agents pour installer une caméra de surveillance et mettre ton téléphone sur
écoute.

— Ah
bon ?

— Même chose à ton bureau, en
ville.


 Super.

Pas du
tout.

— Jimmy m’a aussi demandé de te dire de ne pas envoyer de message à Spiderman par le biais des
médias.


 Pourquoi ?

— L’agence ne veut pas mettre Sophie plus en danger qu’elle ne l’est
déjà.

Lizzy le suivit dans le couloir, refusant de penser à ce que Sophie devait être en train d’endurer. C’était
insupportable.

— D’après moi, l’agence commet une erreur. Envoyer un message à Spiderman détournerait son attention. Peut-être ne lui fera-t-il aucun mal s’il est occupé ailleurs. Il ne torture pas ses victimes n’importe comment. Tout ce qu’il fait est méticuleusement calculé et mesuré, réfléchi pour lui procurer le maximum de plaisir. Il prépare son prochain coup comme un joueur d’échecs le ferait. Si je lui envoie un message, je le déstabiliserai dans sa partie, et il se concentrera sur moi au lieu d’elle…

— À moins qu’il ne se fâche et décharge toute sa frustration sur
Sophie.

Elle se mordait la lèvre inférieure tout en réfléchissant aux options qui s’offraient à
eux.

— Je vais parler à Jimmy, dit-il avant de disparaître dans le
couloir.

— Quand tu auras fini de vérifier les fenêtres, rejoins-moi dans ma chambre, lança-t-elle. Je veux te montrer quelque
chose.

 

 

Quelques minutes plus tard, Jared retrouva Lizzy dans sa chambre. Un lit bien ordonné occupait la majeure partie de la pièce. Les stores étaient baissés, les rideaux tirés. Les murs étaient beiges et la seule touche féminine apportée au décor était un animal en peluche usé jusqu’à la corde, assis à la tête du lit, centré entre les oreillers. La peluche représentait un renard ou un chat − difficile à dire avec sa fourrure élimée, sa queue manquante et son œil unique qui pendait au bout d’un
fil.

Lizzy était assise derrière un bureau, dans l’angle de la pièce, à l’opposé de la porte. Accroché devant elle, un tableau blanc d’un mètre vingt sur un mètre vingt était couvert de gribouillis. Les murs des deux côtés du tableau, du plafond jusqu’au plancher, étaient parsemés de listes et de notes, agrafées ou scotchées en
désordre.

Tout un tas de papiers et de cahiers étaient empilés sur le sol à ses
pieds.

— On dirait que tu n’as pas chômé, observa-t-il.

— Quand je suis rentrée à la maison hier soir, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à Sophie. Tu avais raison, je dois me souvenir du plus grand nombre de détails possibles pour l’aider, mais ce n’est pas facile. Certaines scènes avec Spiderman surgissent dans ma tête, comme des extraits de film qui défilent par bribes dans mon esprit quand je m’y attends le moins. Parfois, les passages sont flous et hachés, parfois ils sont incroyablement
nets.

Jared ne répondit pas. Il la laissait
parler.

Elle fit un geste en direction des papiers fixés au
mur.

— J’ai dressé la liste de toutes les victimes de Spiderman. Tu savais que toutes les filles, sauf une, avaient les cheveux bruns et les yeux
marron ?

Il secoua la
tête.

— Je crois que c’est plus qu’une coïncidence, ajouta-t-elle.

— S’il y en a une aux yeux verts ou bleus, ne serait-ce qu’une seule, dit-il, ça ne veut rien
dire.

Le silence s’installa. Il fronça les
sourcils.

— Je n’arrive toujours pas à me rappeler son nom. Il ne s’est pas passé un jour au cours de ces quatorze années sans que je revoie son visage, et pourtant je ne me souviens toujours pas de son
nom.

— Le nom de
qui ?

— Nous étions à deux doigts de nous en tirer, expliqua Lizzy, les yeux rivés au sol et la voix à peine
audible.

— Tu veux parler de la fille que tu as essayé de sauver ? Celle dont tu parlais, au début, quand tu es
revenue ?

Elle hocha la
tête.

De retour chez elle, Lizzy avait mentionné une fille sans langue, petite et famélique, mais aucun des corps retrouvés ne correspondait à la description. Les trois premières adolescentes auxquelles Spiderman avait été associé avaient toutes été cruellement torturées. Elles avaient des piqûres d’araignées sur les bras et les jambes. Et toutes avaient été abandonnées près d’un plan d’eau : une piscine publique, un lac et un
étang.

Pendant la séquestration de Lizzy, un autre cadavre avait fait son apparition, au bord du même lac que la victime numéro deux, torturé comme les autres… marques de brûlure, piqûres d’araignées, mais pas de langue arrachée. Depuis le retour de Lizzy, aucune autre victime n’avait été découverte. C’était l’une des raisons pour lesquelles l’agence avait du mal à croire sa version. Jimmy, comme les autres, était convaincu que Lizzy n’avait jamais été capturée par le tortionnaire, mais plutôt qu’elle s’était cachée pendant des mois avant de se lasser de ce petit jeu. La rumeur s’était vite répandue selon laquelle elle avait inventé toute cette histoire de rapt − pour attirer l’attention.

Jared la connaissait suffisamment pour savoir que ce n’était pas le
cas.

— Qu’est-il arrivé à la fille ? demanda-t-il tout en la regardant
attentivement.

Elle leva les yeux pour rencontrer son
regard.

— Toutes ces horreurs dont je t’ai
parlé…

— Tu veux dire le poison, le fer chauffé à blanc, les
brûlures ?

— Oui, tout
ça.

Elle était
debout.

— Cette pauvre fille a subi tout ça. Oh, mon
Dieu.

Elle plaqua sa main contre sa
bouche.

— Et les autres filles aussi. Ces atrocités ne me sont pas arrivées à moi, n’est-ce
pas ?

Elle
blêmit.

— Tu avais raison. Ce sont toutes les autres qui ont subi ces ignobles cruautés, pas
moi.

Il ne pouvait pas en supporter davantage. Sa mine sombre et hagarde révélait qu’elle n’avait pas connu un seul instant de sérénité depuis son enlèvement. Jared l’attira près de lui. Il la sentait vaciller dans ses bras, comme si ses jambes pouvaient se dérober à tout moment. Lizzy s’était elle-même chargée de la honte et de la culpabilité qui auraient dû être celles du meurtrier. Elle s’était également approprié le dégoût et l’horreur qu’avaient vécus ses victimes. De toute évidence, Lizzy avait été submergée par les émotions jusqu’à ne plus pouvoir les supporter. Incapable de considérer les tortures et les coups avec objectivité − des actes inhumains exécutés par un humain sur un autre −, Lizzy avait dû trouver un moyen de surmonter l’horreur, pour continuer à
vivre.

Elle avait appuyé son front contre son torse. Son corps était tremblant. Il lui frotta le
dos.

— Pourquoi t’a-t-il gardée en vie,
Lizzy ?

Il y eut un long silence avant qu’elle ne
réponde :

— Parce qu’il me trouvait gentille. Il voulait me garder pour toujours avec lui. Il voulait que j’observe et que j’apprenne, en regardant ce qui arrivait aux
vilaines
filles
.

Elle était tendue. Sa voix était
rauque.

Jared recula juste assez pour pouvoir écarter les cheveux qui tombaient devant son
visage.

— Que te faisait-il
regarder ?

— Il voulait que je le voie infliger aux filles ces choses abjectes, pour que je ne fasse pas les mêmes erreurs qu’elles.

— Combien de
filles ?

— Trois. Après la fille sans voix… trois autres adolescentes. À ma
connaissance.

Jared avait lu tous les dossiers, toutes les notes à propos de l’affaire, et Lizzy n’avait jamais modifié cette partie de l’histoire. Elle avait toujours déclaré qu’il y avait eu trois autres victimes après sa première tentative d’évasion. Ce qui signifiait qu’il y avait eu huit victimes au total, et donc qu’il manquait toujours quatre corps, dont celui de la fille sans
langue.

— Comment s’y prenait-il pour te forcer à
regarder ?

— Il me passait des
menottes.

Il prit une grande inspiration. Lizzy était l’une des personnes les plus empathiques et les plus compatissantes qu’il ait jamais connues. Au lycée, c’était la première à prendre le temps d’aider les nouveaux élèves à se sentir acceptés. Elle était engagée dans une demi-douzaine d’associations, visant toutes à éveiller les consciences aux cruautés envers les animaux, à refuser l’intimidation et à contribuer à rendre le monde meilleur. La pire chose que l’on puisse lui faire était de la forcer à regarder quelqu’un d’autre
souffrir.

— Les filles avaient toutes la même réaction, au début, poursuivit-elle sans qu’il ait besoin de l’y encourager. Elles étaient livides, elles avaient peur et elles
tremblaient.

Tout en parlant, Lizzy semblait dans un état de transe. Elle regardait dans le vague, les yeux immobiles et grands
ouverts.

— Il attachait ses victimes, à une colonne de lit ou à une chaise la plupart du temps, et leur coupait les cheveux de manière irrégulière, à l’aide d’un objet tranchant ou d’un couteau à viande. Puis il leur demandait si elles voulaient rentrer chez
elles.

Au fur et à mesure qu’elle avançait dans son récit, sa voix se faisait plus nette et plus
intelligible.

— Au moment où Spiderman percevait de l’espoir dans leurs regards, dit-elle, il leur annonçait qu’elles devaient d’abord réussir quelques tests si elles voulaient rentrer à la
maison.

Elle leva les yeux vers
lui.

— Elles ne les réussissaient jamais. Personne ne pouvait réussir ses
tests.

Il la sentit
frissonner.

— Plusieurs jours plus tard − parfois plusieurs semaines, une fois que l’espoir les avait définitivement quittées −, il apportait un bocal de verre rempli d’un liquide clair. C’était toujours le même. Il y plongeait un ustensile. Puis, chaque fois, alors que je pensais que sa victime avait tout subi, il faisait couler de l’acide dans leurs yeux et c’est là que les véritables hurlements
commençaient.

Son front s’appuya doucement contre son
torse.

Il la serra fort contre lui. Quelques minutes s’écoulèrent avant que sa respiration ne s’apaise.

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