Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (4 page)

Le tiroir à dossiers se referma dans un claquement qui la fit sursauter. La porte du cagibi était entrouverte. Elle aperçut une paire de bottes. Quelqu’un était penché sur le dernier tiroir du meuble de
classement.

— Les mains en l’air ou je
tire !

Deux mains se dressèrent, lâchant une liasse de feuilles qui s’éparpillèrent en
tombant.

— C’est moi, Jessica. Ne tire
pas.

Lizzy ouvrit grand la
porte.

Jessica parut soulagée de constater que ce n’était qu’elle, mais elle garda néanmoins les yeux rivés sur le canon du pistolet et les bras bien droits au-dessus de sa
tête.

Lizzy fronça les sourcils et baissa son
arme.

— Bon sang, mais qu’est-ce que tu fais ici ? Je te croyais à bord d’un avion vers le New
Jersey ?

Jessica Pleiss, étudiante en psychologie à l’Université d’État de Sacramento, était sa toute nouvelle stagiaire. Lizzy n’avait ni besoin ni envie de son aide, mais elle l’avait « embauchée » parce que Jessica avait l’art de convaincre les gens de faire des choses qu’ils ne voulaient pas ou dont ils n’avaient pas besoin. Elle laissa retomber ses mains le long de son corps et
déclara :

— Pour le New Jersey, c’est tombé à l’eau. Alors je me suis dit que j’allais passer ma semaine de vacances scolaires à classer ces dossiers. Est-ce que j’ai encore laissé la porte
ouverte ?

Lizzy répondit par un signe de tête, trop fatiguée et frigorifiée pour lui faire la
morale.

Jessica se pencha pour ramasser les feuilles qui s’étaient dispersées sur le sol. La jeune fille ne travaillait avec Lizzy que depuis six semaines − et uniquement quand l’emploi du temps chargé de Jessica le lui permettait, ce qui était assez rare. La majeure partie du temps, Jessica faisait des allers-retours au Starbucks pour lui chercher des cafés au lait et des
mochas.

À bien y réfléchir, la jeune fille lui coûtait plus que ce qu’elle lui rapportait… ou qu’elle pouvait se le
permettre.

Jessica se
releva.

— Ce pistolet n’est pas un vrai,
si ?

Lizzy avait déjà rangé son arme. Elle hocha la
tête.

— C’est un
vrai.

— Cool. C’est sans doute une bonne chose que tu en aies un, quand on voit tous les tordus pour lesquels tu
travailles.

Lizzy ignorait à quels clients en particulier Jessica faisait référence, mais elle s’en moquait. La politesse voulait sans doute que Lizzy demande à Jessica pourquoi son voyage au New Jersey avait été annulé − des problèmes avec son petit ami, un manque d’argent peut-être −, mais elle n’avait vraiment pas envie que leur « relation » devienne l’un de ces rapports typiquement féminins basés sur les bavardages et les confidences. En surface, Jessica avait beau avoir fait des études, se consacrer à ses devoirs et s’occuper de sa famille, si l’on grattait un peu, c’était une jeune femme solitaire et en manque d’affection.

Elle savait déceler ces choses-là, et pour
cause.

Lizzy ne voulait pas qu’on l’admire, qu’on dépende d’elle ni qu’on se confie à elle, car tôt ou tard, on risquait d’avoir vraiment besoin d’elle, et alors que pourrait-elle bien faire ? Elle se sentirait coupable, voilà tout. Et se sentir coupable, c’était comme avoir toujours froid. Et peur. C’était
pénible.

Lizzy retourna dans son
bureau.

— Bon, avons-nous reçu des appels
téléphoniques ?

— Deux. Mme Kirkpatrick du lycée de Granite Bay voulait savoir si tu pouvais donner une conférence devant trois cents étudiants. Et un certain Victor a appelé − il n’a pas laissé son nom de famille. Il a posé beaucoup de questions, apparemment il veut faire suivre sa femme. Je lui ai dit que nous ne faisions pas ce genre de choses, mais apparemment, il fait partie de ces gens qui n’acceptent aucun
refus.

Nous ?
La jeune fille ne totalisait pas encore vingt heures de travail qu’elle utilisait déjà
nous
dans ses
phrases.

— A-t-il laissé un
numéro ?

— Non. Il a dit qu’il
rappellerait.

Cinq heures plus tard, Jessica était partie et Lizzy pianotait sur son clavier, rédigeant son résumé de la journée. Elle n’aimait pas coucher ses sentiments sur une feuille, mais sa sœur lui avait demandé, l’avait
suppliée
d’essayer. Écris tout ce qui te passe par la tête, lui avait dit Cathy. Tout et n’importe quoi. Lâche-toi.
Très bien
, songea Lizzy,
c’est
parti
.

Cinquième jour : Je déteste écrire dans ce journal. Il fait froid et nuageux aujourd’hui. Pas une brume fine, mais un épais brouillard opaque. Je préfère encore la première
option.

Ce n’était pas un journal intime − c’était un foutu bulletin
météo.

J’aime beaucoup le panneau que ma sœur a fait graver sur ma porte par un professionnel. C’est très
joli.

Lizzy mâchonna son crayon tout en réfléchissant à ce qu’elle allait écrire ensuite, avant de poser à nouveau ses doigts sur les
touches.

Il y a cette fille, qui suit mon cours de défense. Elle s’appelle Hayley Hansen. C’est une dure. Je l’aime bien. Elle me fait penser à moi. Difficile de ne pas l’aimer,
donc !

Elle regardait fixement l’écran tout en tambourinant sur son bureau du bout des doigts. Elle devenait de plus en plus douée pour imiter le bruit d’un cheval au galop. Elle soupira et ramena à contrecœur ses mains sur le
clavier.

Écrire un journal intime, c’est nul de chez nul. Je ne vois pas en quoi rabâcher
« 
c’est nul
 »
tous les jours va m’aider à me sentir à nouveau bien. De toute façon, ai-je déjà été bien dans ma peau ? Qui sait. À la prochaine,
Liz.

Lizzy cliqua sur le bouton « Enregistrer », éteignit l’ordinateur et poussa un soupir de soulagement. Sur la liste des choses qu’elle n’aimait pas faire, tenir un journal arrivait juste après rester assise seule dans l’obscurité.

L’écran devint
noir.

Cathy avait raison. Lizzy se sentait déjà mieux. Non pas grâce à ce qu’elle avait écrit, mais parce qu’elle avait terminé sa rédaction de la
journée.

Lizzy renifla et jeta son crayon dans le pot. Le téléphone sonna. Elle décrocha le combiné au bout duquel un homme demandait à lui
parler.

— Oui, elle-même à l’appareil. Que puis-je faire pour
vous ?

Hmm. C’était Victor, le client que Jessica avait mentionné un peu plus tôt. Lizzy posa les pieds sur son
bureau.

— Oui, répondit-elle. Jessica m’a informé que vous aviez appelé. J’ai bien peur de ne pas être en mesure − trois cents dollars par jour ! ?

Elle leva les jambes et reposa brutalement ses pieds par terre, en écoutant Victor lui débiter l’histoire de sa femme et de sa fille. Lizzy ne s’occupait pas des affaires familiales. Principalement parce qu’elles la mettaient mal à l’aise, l’angoissaient et la déprimaient. Elle enquêtait sur les accidents de la route et les affaires de responsabilité de produits. Sa préférence allait aux glissades et aux chutes − elle aidait les sociétés à traiter avec ces énergumènes qui sévissaient un peu partout dans le pays. Leur spécialité : verser de l’huile par terre et y glisser volontairement pour tomber et prétendre être blessés, avant de traîner les grandes compagnies devant la justice dans l’espoir de toucher de grosses sommes d’argent.

Mais il lui fallait bien remplir son réfrigérateur. Et elle serait stupide de refuser trois cents dollars par jour à rester dans sa voiture toute la journée pour espionner une femme qui trompait son mari. Lizzy attrapa un crayon à moitié grignoté dans son pot et nota ce que l’homme lui racontait. Quand il eut terminé, elle
demanda :

— Pourriez-vous me donner un numéro de téléphone portable auquel vous joindre ? Je vais y réfléchir ce soir et je vous rappellerai demain
matin.

— C’est moi qui vous appellerai dans quelques jours, répondit
Victor.

Un déclic et une tonalité s’ensuivirent.

— Bon, comme vous voudrez, Victor. Ne me donnez pas votre numéro. Et peut-être que, de mon côté, je n’y réfléchirai pas du
tout.

Elle raccrocha le téléphone et relut ses notes. Victor lui avait dit être avocat. Il parlait comme un avocat − rapide et imbu de sa
personne.

Lizzy haussa les épaules. Elle avait l’intuition qu’il ne la rappellerait pas. Elle chiffonna le papier et le jeta dans la corbeille sous la table, puis s’adossa à son fauteuil. Son regard se posa sur un tiroir de son bureau, celui où elle conservait tous ses dossiers personnels… tous ses
secrets.

Le téléphone se remit à sonner. Elle ne réagit pas tout de suite, puis finit par décrocher à la cinquième
sonnerie.

— Écoutez, Victor, je n’apprécie pas que l’on me raccroche au
nez.

— Tu m’as manqué,
Lizzy.

Ce n’était clairement pas
Victor.

— Qui est-ce ?

— Tu m’avais promis de ne jamais me
quitter.

Un frisson glacial la
parcourut.

— Qui est-ce ? répéta-t-elle.

— Par ta faute, personne n’est en sécurité,
Lizzy.

Le téléphone contre l’oreille, elle se garda de répondre. Instinctivement, elle chercha son Glock et regarda par la fenêtre. Ses yeux balayèrent le bâtiment gris de l’autre côté de la rue et les voitures garées le long du trottoir − personne. Une rue plus loin, une femme sortait d’un salon de coiffure. Elle prit ses clés dans son sac à main, monta dans sa BMW et démarra. La personne à l’autre bout de la ligne était toujours là. Elle pouvait entendre sa respiration
faible.

Elle éloigna le combiné de sa bouche et prit une profonde inspiration pour réussir à se
maîtriser.

— C’est toi,
Spiderman ?

Son rire bref et goguenard résonna à l’autre bout du fil, puis il
répondit :

— Tu n’aurais pas dû t’enfuir, Lizzy, et tu n’aurais jamais dû prendre ce qui ne t’appartenait pas. Quel dommage que ta mère ne t’ait pas appris les bonnes manières avant de s’en aller. Si j’avais su que tu étais une menteuse et une voleuse, cela fait longtemps que je t’aurais réglé ton
compte.

L’appel fut
interrompu.

— Et
merde.

Elle tira d’un coup sec le tiroir du bas et en sortit un épais dossier. Elle l’ouvrit et feuilleta les pages noircies de notes. Pourquoi ne parvenait-elle pas à se rappeler les détails de son passage chez cet aliéné ? À quoi ressemblait-il ? Il lui suffisait de fermer les yeux pour se souvenir qu’elle s’était réveillée dans une chambre, à côté d’un aquarium rempli d’araignées, puis qu’elle avait trouvé cette pauvre petite fille… et avait presque réussi à s’échapper. Presque. Raté, essaie encore ! Pourquoi n’avait-elle pas regardé vers le canapé avant de s’enfuir par la porte vitrée avec cette fillette ? Si elle avait remarqué qu’il ne dormait plus, elle aurait pu jeter une chaise par la fenêtre de devant, ou peut-être trouver un téléphone pour appeler à l’aide.

Elle ferma les yeux de toutes ses forces. Elle aurait pu l’enfermer à l’extérieur de sa propre maison. Mais elle n’avait rien fait de tout cela. Et maintenant, toutes ces journées passées avec lui… tout ce temps… les deux mois qui avaient suivi sa tentative d’évasion étaient aussi nébuleux et opaques dans l’esprit de Lizzy que le brouillard à sa fenêtre. Deux mois d’enfer, et pourtant les seuls fragments de mémoire qui lui donnaient un aperçu de l’horreur qu’elle avait traversée ne lui revenaient que la nuit, lorsqu’elle n’était plus capable de garder les yeux
ouverts.

CHAPITRE 4

Lundi 15 février 2010,
16 h

 

De retour à son appartement, Lizzy ouvrit la porte et glissa un œil à l’intérieur. Elle prépara son arme et attendit, aux
aguets.

Les seuls bruits qui lui parvenaient étaient les pas feutrés de sa chatte,
Maggie.


 Miaou.

Sa sœur Cathy n’aimait pas que Lizzy reste seule, alors elle lui avait offert un chat pour son anniversaire, deux ans plus tôt. Lizzy ne voulait pas de chat, et elle avait tout fait pour garder ses distances avec Maggie, refusant de laisser l’animal s’approcher de sa chambre pendant les six premiers mois. Mais le félin était têtu et avait persévéré, accaparant définitivement un large fauteuil moelleux dans un coin de sa chambre. Maintenant, c’était la place attitrée de Maggie. Maggie faisait aussi office de réveille-matin, la tirant du lit à six heures tous les jours, à quelques minutes
près.

Elle était agacée de devoir admettre que Cathy avait vu juste. Une fois de plus. Parce qu’à la vérité, Lizzy se demandait ce qu’elle serait sans Maggie. Maggie était devenue son amie, sa famille, sa vie… soulignant encore davantage son besoin criant de
thérapie.

Maggie se frotta contre ses chevilles, enroulant sa queue autour de la jambe de Lizzy tout en miaulant. Elle avait
faim.

— Des visiteurs aujourd’hui,
Maggie ?


 Miaou.

Lizzy entra et
alluma.

— Bon, si tu le
dis.

Elle ferma la porte à clé, glissa la chaînette en place et tourna l’un des
verrous.

La sonnerie du téléphone
retentit.

Elle sursauta et braqua son pistolet en direction du téléphone sur le comptoir de la cuisine. Déglutissant pour chasser le nœud qui s’était formé dans sa gorge, Lizzy s’approcha lentement de l’appareil. Pendant un moment, elle se contenta de le regarder sonner. Enfin, choisissant d’ignorer le timbre insistant, elle s’occupa du repas de
Maggie.

Elle posa son arme sur le comptoir et ouvrit la porte du réfrigérateur, bien décidée à oublier l’appel. Détends-toi, se dit-elle, effrayée à l’idée de ce qui se produirait si elle s’autorisait à croire au retour de
Spiderman.

S’emparant d’une boîte de pâtée pour chat entamée sur la deuxième étagère, elle versa le restant du contenu dans une gamelle en verre, à l’aide d’une fourchette. Elle fredonnait tout en s’activant. Enfin, la sonnerie
cessa.

Dieu
merci.

— Et voilà, ma
belle.

Elle caressa la douce fourrure de Maggie. Le téléphone sonna de
nouveau.

Bon
sang.

— Très bien, Spiderman, dit-elle à voix haute. Réglons ça une bonne fois pour
toutes.

Elle décrocha le
combiné.

— Qu’est-ce que tu
veux ?

— Lizzy, c’est toi ? C’est
Jared.

Elle n’était qu’un paquet de nerfs, incapable de
réfléchir.

— Jared
Shayne ?

— Lui-même. Lizzy, comment vas-tu ?

Une vague d’émotion la submergea. Elle n’avait pas revu Jared depuis très longtemps. Elle avait dû le voir une douzaine de fois seulement depuis que Spiderman l’avait assommée et entraînée dans son repaire, il y avait de cela quatorze ans. Elle l’avait fui, lui aussi. Après avoir vécu deux mois d’enfer, elle avait réussi à s’évader en se creusant les méninges. Elle avait employé les mots, beaucoup de mots. Que des mensonges. Elle avait fait croire au tueur qu’elle tenait sincèrement à lui, la plus vieille astuce du monde, puis elle s’était
enfuie.

Or, à peine quelques semaines après que sa psychologue lui avait annoncé qu’elle faisait des progrès, Spiderman appelait. Et à présent, voilà que Jared à son tour reprenait contact avec elle.
Coïncidence ? Ou simplement mauvais timing ?
Si seulement elle parvenait à dormir plus de deux heures par nuit, peut-être serait-elle capable de fonctionner comme un être humain
normal.

Elle se massa les tempes. Nuit après nuit, elle n’entendait que des gémissements et des sanglots interminables, des bruits stridents et suraigus. Elle avait été impuissante à ce moment-là, et aujourd’hui, elle l’était tout
autant.

— Lizzy, tu es
là ?

Chaque jour, elle se posait la même foutue question : que faudrait-il qu’elle fasse pour mener ce que l’on appelle une vie normale ? Et chaque jour, elle obtenait la même réponse : elle ne retrouverait pas le sommeil avant d’être certaine que Spiderman était bien
mort.


 Lizzy ?

— Excuse-moi, Jared. C’est vraiment
toi ?

— C’est moi, Lizzy. Je suis désolé de ne pas t’avoir appelée plus tôt. Comment vas-tu ?

Lorsqu’elle avait réchappé aux entrailles de l’enfer, elle avait demandé à Jared de la laisser seule. Pendant les six premiers mois, il avait ignoré son souhait et était resté jour et nuit à son chevet. Mais de guerre lasse, il avait fini par abandonner et accepter ce qu’elle lui
demandait.

— Je vais très bien, mentit-elle.

Il y eut une pause avant qu’il
réponde :

— J’en suis ravi. Ça fait du bien d’entendre ta voix. Malheureusement, je t’appelle parce que nous avons un problème, ici à Auburn. Une fille a disparu. Y aurait-il moyen que tu passes nous
voir ?

Elle ne put réprimer un petit rire intérieur. Elle avait appris par sa sœur que Jared Shayne était sorti de l’USC avec un diplôme de psychologie. Au lieu de devenir le plus éminent psychologue du pays, il avait étonné tout le monde en postulant pour l’Académie du FBI, où il avait été reçu. Rien n’aurait pu la surprendre davantage. Même si Jared avait foi en la justice et la vérité, ainsi que dans toutes les valeurs que son père soutenait, il avait clairement fait comprendre à l’époque où ils se fréquentaient que les poules auraient des dents avant qu’il ne suive les traces de son père. Celui-ci avait été policier, agent du FBI et enfin juge. Qui aurait cru que Jared marcherait un jour dans ses
pas ?

— Tu es là ? demanda-t-il.

— Je suis toujours là. Je regrette de te l’apprendre, mais j’ai démissionné il y a deux ans de mon poste au comité de l’Organisation pour les enfants disparus et exploités. Je savais que si je devais écouter une fois de plus les détails d’un enlèvement ou voir une autre famille exploser, j’aurais fini par perdre la
tête.

Elle l’entendit souffler à l’autre bout de la ligne. Jared avait du mal à cracher le morceau. Ça ne lui ressemblait pas. Du moins, ça ne lui ressemblait pas à l’époque. Pourquoi maintenant, après tout ce temps ? Ce n’était pas
logique.

— Je suis désolée, répéta-t-elle sans trop savoir que dire. Pourquoi tu ne me racontes pas ce qui se
passe ?

Pour que je m’excuse à nouveau tout en déclinant ta
proposition.

— Une jeune fille de quinze ans est portée disparue. Elle s’appelle Sophie Madison. Le criminel est entré dans la chambre de Sophie par la fenêtre, a enlevé la fille et laissé un
mot.

— Eh bien, c’est peut-être encourageant. Généralement, ils ne laissent rien. C’est bon signe, il va peut-être appeler pour une
rançon.

— J’aimerais que ce soit aussi simple, mais le mot t’est adressé à toi,
Lizzy.

 

 

Lundi 15 février 2010, 16 h
 15

 

Lorsque Cathy Warner sortit de la voiture, elle comprit aussitôt ce que le présentateur de la météo avait annoncé. L’air était froid, elle était glacée jusqu’aux os. Aux informations, elle avait appris qu’il y avait une alerte au refroidissement éolien dans la région de Sacramento et qu’en restant trop longtemps à l’extérieur on risquait l’hypothermie.

Cathy suivit les autres parents dans le centre aquatique, passa devant le bureau d’accueil et franchit les doubles portes qui ouvraient sur la piscine intérieure. De la vapeur d’eau flottait au-dessus de la surface. L’odeur de chlore était forte. La plupart des filles de l’équipe de natation étaient debout au bord du bassin, enveloppées dans des serviettes. Quelques-unes s’attardaient dans l’eau.

Sa fille, Brittany, se tenait à l’arrière du groupe. Sa serviette était fermement serrée autour de ses épaules voûtées et elle gardait les yeux rivés au sol tout en suçotant le coin de sa serviette. Cathy se demanda ce qui rendait sa fille aussi
nerveuse.

L’entraîneur, M. Sullivan, surplombait ses élèves de plus de quarante centimètres. Il avait une carrure athlétique pour un homme d’une cinquantaine d’années.

Brittany faisait de la natation de compétition depuis qu’elle avait cinq ans, mais cet entraîneur était relativement nouveau. Une fois son laïus terminé, M. Sullivan échangea quelques mots avec chaque fille individuellement avant de les laisser rentrer chez elles. Lorsque Cathy arriva au niveau de Brittany, c’était justement au tour de sa fille de parler avec l’entraîneur.

Cathy écouta M. Sullivan expliquer à sa fille les points qu’elle devait améliorer au cours des prochains mois. Cathy avait rencontré M. Sullivan pour la première fois deux mois auparavant. Il s’était révélé charmant et amical, particulièrement doué avec les jeunes. Brittany était de nature timide, c’était une enfant introvertie qui avait du mal à se faire des amis à l’école. Ces derniers temps, elle passait beaucoup trop d’heures devant l’ordinateur. Cathy était convaincue que sa fille avait besoin de cet esprit de camaraderie que l’on trouve dans les sports d’équipe.

— Brittany est largement en avance sur le peloton, dit M. Sullivan en s’adressant directement à Cathy, la tirant de ses pensées. Aujourd’hui, elle a battu le record du cinquante mètres nage libre et du cinquante mètres dos
crawlé.

— Ouah, fit Cathy, gênée de constater que Brittany ne s’intéressait pas du tout à la
discussion.

Il
sourit.

— En revanche, j’ai de mauvaises nouvelles. Comme je l’ai dit aux autres parents, j’ai malheureusement besoin de collecter cent dollars supplémentaires par nageur à cause de l’augmentation du prix des réservations au centre
aquatique.

Cathy se tourna vers
Brittany.

— Papa ne va pas être content de l’apprendre.

Brittany haussa les
épaules.

— Papa n’est jamais
content.

En dépit de la température froide, Cathy sentit une bouffée de chaleur lui monter au
visage.

— Ce n’est pas grave, certifia-t-elle à l’entraîneur. Nous apporterons un chèque lors de la prochaine
séance.

Une fois qu’elles furent bien à l’écart, Cathy lança à sa fille un regard
sévère.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Je suis fatiguée et ces bagues me font un mal de
chien.

Cathy soupira. Elle avait oublié l’appareil dentaire. Bien sûr, Brittany avait mal. Tandis qu’elle attendait devant le vestiaire que Brittany ait retiré son maillot de bain et se soit changée, elle se mit à penser à ce que sa fille avait dit concernant son père et son éternel mécontentement. Une partie du problème venait des horaires à rallonge de Richard. Et la situation économique qui se dégradait à vue d’œil n’arrangeait rien. Richard et elle se disputaient beaucoup en ce moment − généralement, c’était à propos de sa sœur, Lizzy. Richard n’aimait pas que Lizzy passe du temps avec Brittany. Il pensait que sa sœur était folle, et ce n’était pas juste. La pauvre Lizzy. Elle avait vécu l’enfer et s’en était
sortie.

Brittany avait raison. Son père n’était pas heureux. Lizzy n’était pas heureuse. Elle n’était même pas sûre d’être encore heureuse elle-même. Et le pire dans tout ça, c’était que Cathy ignorait ce qu’elle pouvait bien y
faire.

 

 

Lundi 15 février 2010,
21 h

 

Brittany Warner se connecta à son ordinateur et vit qu’i2Hotti était en ligne. Elle avait des papillons dans le ventre. Elle entama une discussion par
chat
avec le garçon qu’elle connaissait sous le nom d’i2Hotti. Elle prit son courage à deux mains et lui demanda ce qu’il avait fait pendant les deux derniers
jours.

 

i2Hotti : pourquoi ? je t’ai
manqué ?

Brit35 :
non

i2Hotti : avoue-le… je t’ai
manqué

Brit35 : ok, tu m’as
manqué

i2Hotti : tu as acheté une
cam ?

Brit35 : maman a dit qu’elle allait y
penser

i2Hotti : tu n’as pas des $$ ?

Brit35 : c’est mon anniv
bientôt

i2Hotti : je
sais

Brit35 : comment
tulsé

i2Hotti :
tulsé ?

Brit35 : LOL comment « tu le
sais »

i2Hotti : je sais beaucoup de choses sur
toi

Brit35 :
facebook ?

i2Hotti :
yes

Brit35 :
MDR

i2Hotti : entraînement de natation aujourd’hui ?

Brit35 : ouais
nul

i2Hotti :
pourquoi ?

Brit35 : le nouveau coach fait
flipper

i2Hotti : qu’est-ce qu’il
fait ?

Brit35 : il me
regarde

i2Hotti : parce que t’es trop
belle

Un
silence

i2Hotti : t’es
là ?

Brit35 :
oui

i2Hotti : tu devrais acheter une
cam

Brit35 :
pourquoi ?

I2Hotti : parce que je veux te voir en même
temps

I2Hotti : comme ça je pourrai rêver de
toi

Un
silence

i2Hotti : toujours
là ?

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