Les Assassins (32 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

— Comme quoi ?

— Les plus chers, vous voulez dire ?

— Oui.

— Le produit le plus cher dont j’aie jamais entendu parler n’était pas une photo de scène de crime. C’était une photo de Gacy.

— John Wayne Gacy ?

— Lui-même. Signée, et avec un message typique de lui gribouillé dessus. »

Irving haussa les sourcils.

« Il semblerait que quelqu’un ait réussi à faire entrer en douce une photo de Gacy dans sa cellule, lui ait refilé 500 dollars en liquide pour qu’il la signe et écrive un message personnel. Vous savez ce qu’il a écrit sur son nom ? “Allez vous faire foutre jusqu’à en crever. Beaucoup d’amour, John.” Et trois baisers au-dessous.

— C’est une blague ?

— Oh, que non. Allez vous faire foutre jusqu’à crever. Beaucoup d’amour, John. Trois baisers au-dessous.

— Et elle s’est vendue à combien ?

— 340 000 dollars.

— Sans déconner ? s’exclama Irving.

— Sans déconner. Croyez-moi. 340 000 dollars à un Russe qui avait des tas de photos signées… Par Dahmer, par Bundy, même par l’autre cannibale qui avait bouffé ces pauvres gens, le Russe. Je ne me souviens plus de son nom…

— Quel sale métier, commenta Irving.

— L’offre et la demande, cher ami. L’offre et la demande.

— Et vous avez un contact… mais où ça ? À l’intérieur de la police ? »

Chaz lui adressa un sourire entendu. « J’ai un contact, et vous n’en saurez pas plus. »

Irving acquiesça. « Pardon. Je ne voulais pas jouer les curieux… C’est juste que je suis fasciné par tout ça.

— C’est un domaine fascinant. En attendant, vous voulez une autre bière ?

— Bien sûr. Je vais les chercher.

— C’est gentil à vous. Je vais prendre une Schlitz. »

Ils discutèrent pendant une heure. Un peu avant 22 h 30, Chaz dit qu’il devait y aller. Il passa Irving sur le gril. Que voulait-il ? Que cherchait-il précisément ?

« Les homicides multiples. Ceux qui remontent à plus de vingt ans, de préférence avec des détails très nets, par exemple les vêtements, la position du corps, ce genre de choses… Pas seulement le visage, vous voyez ? Mais toute la scène.

— Uniquement ça ? Les homicides multiples ?

— Tout ce qui peut concerner deux morts ou plus, oui – deux, trois, quatre victimes. Ou tout ce qui sort de l’ordinaire, par exemple si la victime a été déguisée, vêtue de quelque chose qui avait un sens aux yeux du tueur. »

Chaz s’empara d’un sous-bock et nota son numéro de téléphone portable. « Appelez-moi demain au déjeuner. Entre 13 heures et 13 h 30, d’accord ? J’aurai des choses pour vous. »

Irving sourit, manifestement surpris. « Si vite ?

— Quand on fait quelque chose, on le fait en professionnel – voilà comment je fonctionne. Soit je trouve ce que vous cherchez, soit je ne trouve rien. Ce n’est pas compliqué et je ne vais pas vous raconter de salades. Appelez-moi demain et je vous dirai si je peux vous aider. »

Ils se séparèrent sur le parking à l’arrière du bar. Chaz avait bu au moins quatre bières. Il n’aurait jamais dû prendre le volant de son break, et Irving pria pour qu’il ne se fasse pas arrêter. Une nuit au poste ne serait pas de bon augure pour le coup de fil prévu le lendemain.

Il retourna à St. Vincent, remonta dans sa voiture et regagna son bureau. Il y arriva juste avant minuit.

Il recopia le numéro de portable de Chaz, ainsi que celui de sa plaque d’immatriculation, puis lança une recherche.

Charles Wyngard Morrison, 116 Eldridge Street, dans le Bowery. Irving retrouva son numéro de téléphone fixe, son numéro de Sécurité sociale, et apprit qu’il travaillait comme informaticien dans une petite entreprise de Bedford-Stuyvesant. Chaz Morrison n’avait pas de casier judiciaire, même s’il avait été verbalisé pour avoir gêné un policier sur une scène de crime. Il était accro aux meurtres. Sans doute avait-il voulu prendre des photos ce jour-là.

Irving passa une heure à remplir la paperasse nécessaire pour mettre en place une écoute téléphonique sur sa ligne fixe et sa ligne de portable. Il le fit avec sérieux et application. Il n’oublia rien. Il insista sur le fait qu’il devait téléphoner à Morrison vers 13 heures le samedi : l’écoute devait donc être installée dans les plus brefs délais. Il espérait que Morrison attendrait le lendemain matin, tard, pour appeler, et ne passerait pas ses coups de fil dans la nuit.

Il rangea les photos achetées à Morrison dans le même tiroir qui contenait les DVD de Leycross. Maintenant, c’était lui qui devenait le collectionneur.

Il s’en alla vers 1 h 30 et roula lentement jusqu’à chez lui. Il était fatigué mais savait qu’il n’arriverait pas à dormir. Il chercherait une échappatoire sur le poste de radio, et là, comme s’ils l’attendaient, il entendrait Dave Brubeck et Charlie Mingus.

Cela lui fit penser à son père, au fait qu’il n’était pas allé le voir depuis le mois de mai. De quoi se rappeler que les vivants avaient autant besoin d’attention que les morts.

30

  I
rving se réveilla avec le mal de tête diffus que provoque le manque de sommeil. Ses premières pensées furent non pas pour Deborah Wiltshire, mais pour Karen Langley. Il était 6 h 45. Il resta couché jusqu’à 7 heures en essayant de ne pas réfléchir, de n’être nulle part, puis il se leva et prit une douche. On était samedi. Le jour des grasses matinées et des éditions du week-end, avec peut-être l’envie d’aller voir un match de base-ball, un film, une pièce de théâtre. Ces derniers temps, pourtant, il n’y avait pas de place pour ces choses-là dans la vie de Ray Irving – du moins pas encore.

Il téléphona à Farraday une fois arrivé au commissariat n
o
 4, se rendit chez lui en voiture et lui fit contresigner la demande d’écoute téléphonique. Il apporta aussitôt le document au juge Schaeffer, un faux con, une tête de mule, connu pour sa volonté de travailler avec les policiers plutôt que contre eux. L’écoute fut mise en place à 11 heures. Deux agents furent chargés de surveiller le moindre appel entrant ou sortant, et le petit univers sordide de Charles Morrison se retrouva bientôt enregistré. S’il préparait la transaction qu’Irving lui avait demandée par téléphone, ils apprendraient le nom de son contact.

N’ayant plus qu’à attendre, Irving jeta son dévolu sur le groupe du Winterbourne. Si Costello était un suspect potentiel, tous les autres membres du groupe l’étaient également. Il ne savait pas qui ils étaient, et la probabilité qu’il obtienne un mandat pour exiger du propriétaire de l’hôtel qu’il dévoile ces noms était très faible. Costello s’était montré parfaitement coopératif, et pourtant c’était sa promptitude à participer à l’enquête, à titre officiel ou non, qui éveillait les soupçons d’Irving. Il connaissait mal les tueurs en série et leurs motivations, mais il savait avec certitude qu’il n’était pas rare de voir un criminel frayer avec la police, voire aider à l’enquête. Un kidnappeur d’enfants, par exemple, aidant les gens du coin à retrouver un gamin qu’il a lui-même enlevé, violé, massacré et enterré ; ou l’assassin d’une jeune femme jouant les volontaires, prêt à arpenter les rues pour montrer aux passants des photos de la victime disparue. Comment expliquer ce comportement ? Le déni ? L’envie de se dissocier de son crime en devenant son propre pourfendeur ? La conviction que, par ce moyen-là, il pourra savoir ce que sait la police et faire en sorte de ne pas être confondu ? L’envie de montrer qu’il est plus fort, plus malin…

Irving s’interrompit quelques instants.

Il marcha jusqu’à la fenêtre de la salle des opérations et regarda la rue. Il vit l’orée de Bryant Park et, plus loin, la station de métro de la 42
e
 Rue. Les passants étaient encore peu nombreux en ce samedi matin, et la circulation plutôt fluide.

L’envie de montrer qu’il est plus fort…

Il repensa à une chose que Costello lui avait dite – était-ce bien Costello ? Les meurtres récents étaient les répliques de crimes perpétrés par des gens qui avaient tous été arrêtés. Les uns étaient enfermés dans une prison fédérale jusqu’à la fin de leurs jours, d’autres avaient été exécutés, et l’un, si sa mémoire ne lui jouait pas des tours, était mort de sa belle mort. Et puis il y avait la lettre du Zodiaque. Certes, ce n’était que la transcription mot pour mot d’une lettre de Shawcross, mais rédigée grâce au cryptogramme du Zodiaque ; ce code qui avait été déchiffré par un professeur d’histoire et son épouse après plusieurs tentatives infructueuses du FBI et des services de renseignement de la marine. Le Zodiaque n’avait jamais été identifié et ne s’était jamais fait attraper en tant que Zodiaque. Peut-être même qu’il croupissait aujourd’hui dans une prison, arrêté, jugé et condamné pour un autre crime, et que personne n’en saurait rien. Peut-être qu’il mourrait quelque part en laissant la preuve de son identité et de ce qu’il avait fait… voire une explication de ses crimes. En attendant, personne ne savait son nom. En matière de meurtres en série, le Zodiaque était un champion. Il avait commis ses crimes. Il ne s’était pas fait capturer. Il restait une énigme.

Parmi les pages empilées sur son bureau, Irving chercha quelques notes qu’il avait prises et finit par retrouver ce qu’il voulait : la liste complète des assassinats commis par le Zodiaque, confirmés et non confirmés.

Michael Mageau et Darlene Ferrin, tous deux victimes indiscutables du Zodiaque, furent abattus le 5 juillet 1969. Mageau survécut, Ferrin non. Les autres agressions ou meurtres commis avant le 16 septembre étaient au nombre de vingt-sept. Peu importait l’année, car les meurtres attribués au Zodiaque s’étalaient d’octobre 1966 à mai 1981. Sur les vingt-sept, cinq avaient été commis en février, neuf en mars, un en avril, deux en mai, trois en juin, cinq en juillet, un en août, et, avant le 16, un seul commis en septembre. Le Commémorateur aurait donc pu rééditer n’importe lequel de ces meurtres, et même s’il ne s’en était tenu qu’aux crimes avérés du Zodiaque, le 5 juillet aurait été un anniversaire possible. Or, pour ce qu’en savait Irving, aucun double homicide n’avait été recensé le 5 juillet dans l’État de New York. Sinon, Costello aurait forcément été au courant.

Irving se connecta à la base de données pour vérifier. Il avait vu juste. Dans tout le comté, aucune affaire ne présentait la moindre ressemblance avec l’agression subie par Michael Mageau et Darlene Ferrin le 5 juillet 1969, à Vallejo. Ce qui signifiait quoi ? Que l’assassin ne rééditait que les meurtres commis par des individus identifiés et condamnés ? Dans ce cas, pourquoi avoir eu recours au code du Zodiaque pour transmettre la lettre de Shawcross ? Uniquement pour s’assurer que la police ferait le lien entre ce qu’il accomplissait et ces anciens meurtres ? Y avait-il encore une autre raison ?

À 12 h 25, Ray Irving téléphona au
New York City Herald
. John Costello n’était pas là, mais Karen Langley prit son appel.

« Salut.

— Bonjour, Karen.

— Vous cherchez à joindre John ?

— Oui. »

Il hésita une seconde, puis : « J’allais vous appeler…

— Vous n’êtes pas obligé.

— Je sais bien que je ne suis pas obligé. J’en ai envie. Mais je suis dans la mouise, vous voyez ? Vous pouvez comprendre ça. Vous aussi, vous avez des dates butoirs, pas vrai ?

— Et comment.

— J’ai passé un très bon moment la dernière fois, Karen.

— Je sais.

— Vous avez toujours réponse à tout.

— Bon. John n’est pas là, il est chez lui aujourd’hui. Enfin, j’imagine qu’il est chez lui. Pour être très franche, je n’ai absolument pas la moindre idée de ce que John peut faire de ses journées.

— Vous avez son numéro ?

— Je ne peux pas vous le donner.

— Vous ne pouvez pas ou vous ne voulez pas ?

— Je ne veux pas. Je ne peux pas lui faire ça. »

Irving ne dit rien. Il était un peu désarçonné.

« Ray, vous l’avez rencontré. Vous le connaissez. Il a du mal avec les gens. Il déteste bouleverser sa petite routine quotidienne.

— Et comment est-ce que je fais pour le joindre ?

— Je lui téléphonerai. Je lui dirai que vous souhaitez lui parler. Je ne sais pas s’il vous rappellera… »

Irving dut insister pour qu’elle termine sa phrase.

« Il a un problème, reprit Karen.

— Un problème ?

— Un problème avec vous.

— Qu’est-ce que vous racontez ?

— Le fait que nous soyons sortis ensemble. John a un souci avec vous.

— Moi ? Mais qu’est-ce que c’est que cette connerie ?

— Je suis son amie. On collabore depuis des années. D’une certaine manière, il s’estime responsable de moi. Entre lui et moi, il n’y a jamais rien eu d’autre qu’une relation professionnelle et platonique, mais il considère toujours que ce qui m’arrive le concerne aussi.

— Soit, fit Irving. Je peux comprendre, mais qu’est-ce que vous lui avez dit ? Vous lui avez dit que j’étais un connard ou quelque chose comme ça ?

— Non. Bien sûr que non.

— Mais alors, qu’est-ce que ça signifie ? Si je veux vous inviter quelque part, je devrais lui demander de nous accompagner ?

— Épargnez-moi vos sarcasmes, Ray. Faites avec. Bon, vous voulez que je l’appelle ou non ?

— S’il vous plaît, oui. Ce serait gentil. Dites-lui que j’ai besoin de son aide.

— Vous avez besoin de son aide ?

— Mais oui. Qu’est-ce qu’il y a de si bizarre ? C’est Rainman en personne, non ? Le type qui a plus de trois cent mille affaires criminelles enregistrées dans son cerveau.

— Allez, ça suffit… »

Irving inspira longuement. « Désolé, Karen, mais…

— Mais rien du tout. Traitez-le comme tout le monde, d’accord ? Ne le prenez pas de haut. Si j’apprends que vous l’avez blessé…

— Je ne le ferai pas. Je suis désolé. Vraiment. D’accord ? Je ne voulais pas dire ça comme ça.

— Trop tard. Et je n’ai pas apprécié. John est quelqu’un de bien, et un de mes amis très proches. Si vous lui faites du mal, non seulement vous ne me verrez plus jamais, mais en plus, je publierai tous les articles à la con que je veux publier, et vous et le directeur de la police, vous pourrez aller vous faire foutre. Compris ?

— Sérieusement, Karen, je…

— C’est bon, Ray. C’est tout ce que je vous demande. Une simple confirmation de votre part.

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