Les Assassins (50 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

 

Semblant sortir de la pénombre du couloir au premier étage, c’était comme s’il avait réussi à surgir du néant. Il n’y avait rien, et puis il y avait quelque chose. Personne, et puis quelqu’un. Et ce quelqu’un resta sans bouger pendant un long moment – dix minutes, peut-être même un quart d’heure –, parfaitement immobile, hormis sa respiration qui gonflait et dégonflait son torse. À ses côtés, posé sur la moquette, il y avait la crosse d’un fusil.

La forme finit par bouger. L’homme fit deux pas et, avant même d’avoir atteint la chambre de Frances Allen, posa le fusil à la verticale contre le bord du montant de la porte. Une main sur le chambranle, l’autre sur la poignée, il poussa doucement la porte en grand et s’arrêta – encore une fois pendant un long moment – pour l’écouter respirer. Il fit la même chose à chaque porte, jusqu’à trouver celle de la chambre principale, où dormaient les parents – Howard et Jean Allen. Là, il s’approcha du côté de Jean et se pencha pour observer son visage. Au bout de quelques secondes il tendit le bras, plaqua une main sur son nez et sa bouche, et attendit qu’elle ouvre les yeux, surprise.

Ce qui se produisit – des yeux écarquillés, effarés. Quand elle vit le regard de l’homme à travers la fente d’une cagoule, elle crut que son cœur terrorisé exploserait hors de sa poitrine.

Et en voyant le fusil, et la façon dont la silhouette se pencha calmement au-dessus d’elle pour secouer Howard jusqu’à ce qu’il se réveille, elle comprit, avec une certitude absolue, qu’il se passait quelque chose de terrible – et que ce n’était pas un mauvais rêve.

 

À 0 h 45, Gifford se présenta devant la salle des opérations d’Irving et attendit sur le seuil de la porte que ce dernier ait terminé sa conversation téléphonique avec le capitaine Farraday.

« J’ai un nom pour vous, dit-il.

— Comment ça ?

— Le nom de la personne censée avoir engagé Desmond pour qu’il cambriole la maison des Hill.

— Il maintient toujours cette version ?

— Oui. Et je pense que vous devriez venir écouter ce qu’il a à dire.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il raconte ?

— Il raconte qu’il s’agit d’Anthony Grant. »

Irving en resta bouche bée. Il secoua la tête quelques secondes, puis regarda Gifford avec un air incrédule. « Anthony Grant ?

— Exactement. Il explique que le type était un avocat du nom d’Anthony Grant. Il lui a filé 2 000 dollars pour qu’il pénètre dans la maison de Gregory Hill et récupère la preuve que Hill avait assassiné sa fille… »

Irving se leva lentement. Il avait peur de perdre l’équilibre. « C’est une blague… C’est une putain de blague…

— Il a même donné le nom de la fille… Mia Grant. C’est clair comme de l’eau de roche.

— Et ensuite ? demanda Irving, toujours ébahi.

— Il dit que Grant pensait que Gregory Hill l’avait assassinée et qu’il y avait des preuves chez lui. »

 

Nue, pétrifiée d’horreur, à peine en mesure de se lever pendant que l’homme au fusil lui tenait les cheveux et calait le canon de l’arme sous son menton, Jean Allen regarda son mari, debout, incapable de parler, de penser, et même de voir ce qui était en train de se passer.

L’homme au fusil fit sortir Jean dans le couloir, ordonna à Howard de marcher devant elle, d’aller jusqu’au fond et d’entrer dans la deuxième chambre.

Ce fut rapide. D’une rapidité folle, à couper le souffle. Il les poussa dans la chambre – Marcie et Leanne dormaient encore, la maison était plongée dans l’obscurité – et là, sans la moindre hésitation, il abattit les deux filles, l’une après l’autre. Howard se mit à crier, Jean aussi, et lorsque Howard se jeta sur l’homme pour lui arracher le fusil des mains, l’autre se retourna et, avec la crosse du fusil, le projeta au sol d’un simple coup à la tête. Jean baissa les yeux vers son mari, dont le visage blessé pissait déjà le sang, et s’effondra par terre. Elle s’évanouit. L’homme les laissa seuls. Il repartit en courant, passant d’une chambre à l’autre, tuant d’un coup de feu les deux autres enfants, avant de revenir voir les parents. Il posa son fusil et traîna Jean, puis Howard, jusqu’à leur chambre ; là, il les coucha sur le ventre. Jean commençait à recouvrer ses esprits au moment où l’homme revint avec le fusil. Il épaula son arme, la visa à une cinquantaine de centimètres et l’exécuta. Précis, intraitable, déterminé.

Il fit subir le même sort à Howard. Au-dessus de la tête de lit, de grandes traces symétriques de sang et de cervelle constellèrent le mur.

Entre le moment où il s’était penché au-dessus de Jean Allen pour poser une main sur sa bouche et celui où il redescendit l’escalier jusqu’au couloir de l’entrée, il s’écoula moins de deux minutes.

Il laissait derrière lui six morts. Deux parents, quatre enfants.

Il était 0 h 16, aux premières heures du 13 novembre.

58

  À
0 h 55, Ray Irving était assis face à Desmond Roarke dans une salle d’interrogatoire du commissariat n
o
 4. Roarke avait demandé des cigarettes ; on les lui avait refusées. Il était allé aux toilettes à deux reprises, toujours menotté. À part ça, il n’avait fait que se prendre le bec avec l’inspecteur Vernon Gifford à propos de ses droits, de sa possibilité d’avoir un avocat, du fait qu’être découvert sur le toit de quelqu’un ne relevait, en tant que tel, que de la violation de propriété. Loin de la maison des Hill, il semblait avoir retrouvé un peu de sang-froid, d’aplomb même, et toutes les explications qu’il avait fournies jusque-là sur Anthony Grant et la mission que celui-ci lui aurait confiée avaient manifestement été oubliées.

« Tu vas retourner en taule, lui annonça Irving sur un ton solennel. Quelle que soit l’inculpation qu’on va te coller sur le dos, tu es toujours en conditionnelle. Ce qui veut dire qu’à la moindre arrestation, tu y retournes. »

Roarke ne répondit pas.

« Combien de temps ça va faire ? Encore neuf mois ? »

Nouveau silence de Roarke. Il lui lança un regard méprisant.

« Et en plus du vol de véhicule dont il va falloir qu’on reparle, il y a aussi l’assassinat de la gamine…

— Quoi ? » s’écria aussitôt Roarke en se levant.

Derrière lui, Gifford l’attrapa par les épaules et l’obligea à se rasseoir.

« Écoute, c’est toi qui as parlé d’elle, dit Irving. Jusqu’à ce que son nom sorte de ta bouche, on n’avait rien qui te reliait à Mia Grant. Maintenant, on a au moins de quoi te garder ici pendant que les TSC jettent un coup d’œil sur le contenu de ton sac… » Irving leva les yeux vers Gifford. « La fille était ligotée avec du
gaffer
, c’est bien ça ? Le même
gaffer
qu’on a retrouvé dans le sac de Desmond, pas vrai ?

— Exactement le même, répondit Gifford en maintenant Roarke, une fois encore, sur sa chaise.

— Mon cul ! s’exclama ce dernier. Vous vous foutez de ma gueule. Vous allez à la pêche, c’est tout. Vous n’avez rien, absolument rien qui me relie au meurtre de je sais pas quelle fille.

— Ce n’est pas ce que dit Grant.

— Quoi ? Qu’est-ce que vous racontez ?

— Grant. Anthony Grant, c’est ça ? On vient de lui parler. Il affirme qu’il n’a jamais entendu parler de toi…

— C’est de la connerie et vous le savez très bien. Il a été mon avocat… »

Irving regarda Gifford. Ce dernier sourit.

« Peu importe, Desmond… Le problème, c’est qu’Anthony Grant a insisté lourdement pour dire qu’il ne te connaissait pas du tout. Qu’il n’a jamais entendu parler de Gregory Hill. Qu’il ne t’a jamais parlé, jamais versé le moindre dollar. Tu pensais peut-être qu’on n’allait pas vérifier tout de suite dès que tu nous en as parlé ?

— Quel enculé… Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ? C’est lui qui m’a appelé en me disant qu’il fallait que je fasse ça, qu’il me paierait… »

Roarke voulut se libérer de la poigne de Gifford sur ses épaules, mais n’y arriva pas. « J’ai même reçu la moitié du pognon… Une moitié tout de suite, l’autre moitié une fois que ce serait fait.

— Et qu’est-ce qu’il voulait que tu fasses, au juste, Desmond ?

— Fouiller la maison. Entrer et fouiller. Il m’a dit que sa fille avait été tuée par l’autre taré, ce Gregory Hill. Il m’a dit que sa fille, une adolescente, avait été tuée par ce dingue et que je devais chercher dans la maison quelque chose qui appartenait à sa gamine… Un genre de preuve, quoi. Une preuve que c’était bien ce type qui l’avait butée.

— Et quand est-ce que tu as vu Anthony Grant pour la dernière fois ? demanda Irving.

— Vu ? Mais je ne l’ai jamais vu ! Tout s’est passé par téléphone. Il m’a appelé la semaine dernière pour me dire qu’il avait un boulot pour moi, un truc tout con. Je devais aller dans un endroit et récupérer quelque chose pour lui. Après, il m’a dit qu’il me recontacterait, qu’il m’appellerait dès qu’il connaîtrait l’endroit précis, et que je n’avais qu’à me tenir prêt.

— Quand est-ce qu’il t’a rappelé ?

— Tout à l’heure. Vers 20 heures. Il m’a filé le nom et l’adresse du type et m’a demandé d’y aller. Il m’a dit qu’il y aurait des vêtements, peut-être un bijou. Il n’y aurait personne dans la maison, les propriétaires étaient absents. Ce n’était pas un vol, ni rien du tout. C’était juste… Enfin, comme s’il essayait de récupérer quelque chose qui lui permettrait de faire tomber l’enfoiré qui avait buté sa gamine, voyez ? Je me suis dit que c’était bien, que je devais lui rendre service. C’est un bon avocat. Il s’est bien occupé de moi et grâce à lui j’ai écopé de travaux d’intérêt général pour un truc qui aurait dû m’envoyer en taule.

— Donc tu ne l’as pas vu ? Tu ne t’es pas retrouvé face à lui ?

— Non. Pas depuis qu’il m’a défendu, il y a quatre ans.

— Et comment t’a-t-il envoyé l’argent ? La première moitié ?

— Il l’a déposé dans ma boîte aux lettres et basta. Une enveloppe marron, avec les billets à l’intérieur, propres et neufs, et c’était réglé. 1 000 dollars au départ, et 1 000 dollars à la fin.

— Et tu ne l’as jamais vu ?

— Mais non, je vous l’ai déjà dit ! Tout s’est fait par téléphone. Il m’appelle, il me dit ce qu’il veut, on tombe d’accord sur un prix, il paie la moitié, j’attends ses instructions. Rien de très compliqué.

— Donc tu n’as aucun moyen de savoir si c’est vraiment Grant qui t’a contacté ?

— Évidemment que c’était Grant ! Merde, qui ça aurait pu être d’autre ? Un inconnu qui m’aurait appelé et filé 2 000 balles pour que je rentre en douce dans une maison, comme ça ? »

Irving voyait parfaitement ce qui s’était passé. Il se leva. « Tu vas rester un peu ici, dit-il à Roarke. Ferme-la et tiens-toi à carreau. » Il regarda Gifford. « Faites venir Grant, dit-il en s’avançant vers la porte.

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’exclama Roarke. Vous m’avez dit que vous aviez déjà parlé avec Grant ! »

Irving ne prêta pas attention à lui, ni à ses réclamations quant à ses droits, à sa demande d’avocat, à la violation des libertés civiles.

Irving et Gifford quittèrent en vitesse la salle d’interrogatoire et montèrent l’escalier.

59

  U
ne heure vingt du matin. Anthony Grant était assis face à Ray Irving dans son bureau. Celui-ci aurait pu l’emmener dans la salle des opérations, mais il y avait des photos de sa fille accrochées au panneau de liège. Ou dans une salle d’interrogatoire. Néanmoins, il pensait que Grant n’avait rien à voir avec la petite virée de Roarke chez Gregory Hill. Il pensait aussi, mais c’était à confirmer, que ce fameux Gregory Hill n’avait jamais entendu parler de Mia Grant, et qu’il avait encore moins de rapport avec sa disparition et son assassinat.

« Desmond Roarke ? Bien sûr que je le connais. Je l’ai défendu pour une broutille il y a quelques années. Pourquoi ? »

Irving se carra au fond de son siège et sentit tout le poids de cette affaire, la pression, le fait qu’il était en train de creuser un trou dont il savait qu’il ne mènerait nulle part. En attendant, minuit était passé. On était le 13 novembre.

« Eh bien, monsieur Grant, parce qu’il porte contre vous une accusation très grave dont nous devons déterminer le bien-fondé.

— Une accusation ? Mais à quel sujet ? »

Irving l’observa. Malgré toute l’expérience de l’avocat, et l’aptitude manifeste à cacher son jeu jusqu’au dernier moment, celui des examens contradictoires et des réfutations, l’homme paraissait sincèrement surpris. Gifford était allé le chercher chez lui. Malgré l’heure tardive, Grant l’avait suivi de bonne grâce, pensant peut-être qu’il s’agissait de l’enquête sur le meurtre de sa fille. Ce qui était en effet le cas, mais pas tout à fait comme il aurait pu s’y attendre.

« Il dit que vous l’avez payé, ou du moins que vous lui avez promis 2 000 dollars s’il entrait par effraction dans la maison de quelqu’un pour mettre la main sur des preuves concernant la mort de votre fille. »

Grant fronça les sourcils. Il secoua ensuite la tête, sembla réfléchir et hésita un instant avant de demander : « Il a dit quoi ?

— J’imagine que c’est faux, précisa Irving.

— Attendez, je n’ai pas reparlé à Roarke depuis que je l’ai défendu. Et c’était il y a quoi ? Quatre ans ? Il raconte que je l’ai payé pour qu’il s’introduise chez quelqu’un ? Mais chez qui ?

— Désolé, je ne peux pas vous le dire. En revanche, je vais avoir besoin de votre coopération, monsieur Grant. Je dois vérifier qu’aucun appel n’a été passé de votre téléphone à Desmond Roarke.

— Quoi ? De mon téléphone fixe ? De mon portable ? Ça ne prouvera rien du tout. J’aurais très bien pu l’appeler d’une cabine ou d’un portable avec carte prépayée… De n’importe où.

— Bien sûr, mais il faut bien que je commence quelque part. J’ai une enquête à mener et j’ai autant besoin d’éléments pour disculper certaines personnes que pour en incriminer d’autres. Je suis persuadé que vous comprenez la situation.

— Quel est le rapport avec Mia ? Est-ce que ça vous permet de comprendre un peu mieux ce qui lui est arrivé ? »

Irving réfléchit.

« Pas du tout, c’est ça ? » reprit Grant. Il poussa un long soupir et baissa la tête. Quand il la releva, Irving entrevit la profondeur des ténèbres dans les yeux de cet homme, le fait qu’il supportait un fardeau similaire au sien, mais beaucoup plus douloureux.

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