Les Assassins (46 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Farraday s’entretint avec l’agent de faction au commissariat et lui demanda d’appeler l’adjoint du DA et le directeur Ellmann, de retrouver tous les inspecteurs de la ville qui n’étaient pas occupés sur une scène de crime et de les convoquer au n
o
 4, tous, à 11 heures.

Les avocats du journal prirent note, donnèrent leur assentiment à la consigne de Farraday voulant que ce texte ne soit pas publié, et expliquèrent qu’ils obéiraient aux ordres du procureur. C’était pour eux une situation inédite. Ils étaient rompus à la calomnie ou à la diffamation, qu’ils maîtrisaient parfaitement, mais pas au droit pénal. Cette fois, leur vie était menacée. Ils quittèrent la salle de réunion et disparurent.

Irving et Farraday repartirent un peu avant 10 heures, comme ils étaient venus, chacun dans sa voiture. Farraday rangea la lettre dans une enveloppe en plastique transparent et la déposa directement au bureau de Jeff Turner. Ce dernier superviserait l’analyse et en préparerait une copie pour Farraday, qui l’emporterait à la réunion prévue au n
o
 4.

Irving et Farraday se retrouvèrent dans la salle des opérations à 10 h 45. Les inspecteurs Ken Hudson et Vernon Gifford étaient là. Quelques instants plus tard, Irving entendit l’adjoint du procureur, Paul Sonnenburg, monter dans l’escalier, portable à la main, en train de se disputer avec quelqu’un au sujet du « fait indiscutable » qu’ils n’avaient « rien de plus que des éléments circonstanciels, nom de Dieu ». Il conclut par un grognement et entra dans la salle. Après avoir salué d’un signe de tête les personnes présentes, il voulut savoir qui était encore attendu.

« Le directeur », répondit Farraday avant de lui indiquer un siège.

Ellmann arriva avec quatre minutes de retard. Sans s’excuser, il s’installa et lut la copie de la lettre. Il la rendit à Farraday, se cala au fond de son siège et joignit ses deux index en flèche.

« Combien d’hommes avez-vous à votre disposition pour travailler là-dessus ? dit-il.

— Pour le moment, trois, répondit Farraday. Irving, ici présent. Vous avez lu ses rapports. Il est sur la brèche depuis le début. Hudson et Gifford peuvent être réaffectés.

— Qui travaille sur l’original de la lettre ?

— Jeff Turner.

— Il ne s’occupe pas de la fille retrouvée dans le tunnel ?

— C’est déjà fait, intervint Irving. Les rapports d’autopsie et de scène de crime sont en route.

— Votre avis sur ce message ? lui demanda Ellmann.

— Je suis convaincu qu’il mettra sa menace à exécution. Le tout est simplement de savoir dans combien de temps.

— Et pensez-vous qu’il y a quelque chose dans cette lettre qui puisse nous aider ?

— Peut-être. D’après moi, tout ce qu’il fait, il le fait pour une bonne raison. Je pense que chaque mot a été choisi avec… »

Ellmann ne le laissa pas finir. « Quand est-ce qu’on passera de
penser
à
savoir
 ?

— Laissez-moi un peu de temps ? » fit Irving sur un ton interrogateur.

Ellmann jeta un coup d’œil à sa montre. « J’ai des rendez-vous, dit-il en se levant. Je reviens à 14 heures. D’ici là, je veux des réponses. Rien ne filtre dans la presse – rien du tout. » Il fit signe à Farraday de le suivre dehors. Ils échangèrent quelques mots en haut de l’escalier, puis Ellmann partit.

Farraday revint dans la salle des opérations. « Alors ? lança-t-il à Irving.

— Laissez-moi m’occuper de la lettre. J’ai besoin d’un peu de temps.

— Pour quoi faire ? »

Irving se leva à son tour. « Pour essayer de comprendre ce qu’elle signifie vraiment.

— Vous pensez qu’il y a un sens caché ? Pourtant elle me paraît très claire. On publie ce tissu de conneries, sinon il en assassine six autres.

— C’est ça que je vais essayer de comprendre.

— Ne disparaissez pas et ne coupez pas votre téléphone, dit Farraday. Retour ici avant 13 heures. Et je veux que ça avance, compris ? »

Irving composait déjà le numéro de Karen Langley lorsqu’il quitta la pièce. Il entendit la première tonalité au moment d’ atteindre l’escalier.

52

  « L
a seule chose, fit remarquer Costello, c’est de déterminer si ce type est vraiment un illuminé mystique, ce dont je doute fort, ou s’il veut juste brouiller les pistes.

— Et l’autre problème, ajouta Karen Langley, c’est de savoir ce qu’il a exactement en tête quand il annonce que ça va devenir personnel. »

Ils étaient tous les trois assis dans le bureau de Langley. Irving était arrivé à 11 h 40.

Costello reprit la lettre, la relut et ferma les yeux pendant quelques secondes.

« La lettre de Shawcross, celle écrite avec le code du Zodiaque, n’était que la transcription d’une lettre déjà existante. La lettre de Henry Lee Lucas, celle où il manquait un mot, était fidèle à l’original, mais le nom de la fille avait été enlevé. Celle-là…

— A été entièrement rédigée par lui ? demanda Irving.

— En tout cas, je ne connais aucune lettre qui y ressemble. Mais ça ne veut pas dire que quelqu’un d’autre, plus familier des messages et des témoignages écrits des tueurs en série, ne la reconnaîtrait pas. Quelqu’un comme Leonard Beck, peut-être.

— Ah oui, le collectionneur de lettres… Peut-être bien.

— Et je vais vous dire qui d’autre pourrait nous apporter quelques lumières sur cette lettre. Ne serait-ce que pour déterminer si elle comporte des sens cachés.

— Qui donc ?

— Les membres du groupe du Winterbourne, répondit Costello.

— Vous croyez que… »

Costello se leva et s’avança vers la porte. « Appelez Beck, dit-il. Moi, j’appelle les autres. »

 

Leonard Beck fut heureux de pouvoir se rendre utile, alors même qu’il était sur le point d’assister à une réunion à l’autre bout de la ville. Il se rappelait bien le rendez-vous avec Irving en septembre dernier et ne fut pas rassuré d’apprendre qu’il enquêtait toujours sur la même affaire.

« Ça ne vous lâche pas, répondit Irving. Jusqu’à ce que vous trouviez la vérité.

— Dans ce cas, je ne vois pas en quoi je peux vous aider.

— Je suis en possession d’une lettre. Elle contient des références à la Bible et à des meurtres plus anciens, et se termine par une menace d’après laquelle, si nous n’accédons pas à une demande bien précise de l’auteur, d’autres assassinats suivront.

— Oh là, je vois… Les conneries mégalomanes classiques, fit Beck sur un ton caustique. Et qu’est-ce que vous voulez de moi ?

— J’aimerais que vous jetiez un coup d’œil sur cette lettre et que vous me disiez si elle ne vous en rappelle pas d’autres, plus anciennes, dont vous auriez pu avoir connaissance.

— Comment ? Vous n’avez pas d’équipes entières spécialisées dans ce genre de choses ? Le FBI ne dispose pas de profileurs, d’experts et de…

— Bien sûr, coupa Irving. Mais il ne s’agit pas d’une enquête fédérale. Le seul élément pour lequel le FBI serait susceptible d’intervenir serait l’enlèvement. Or, pour le moment, rien, sinon des éléments circonstanciels, ne laisse penser que les victimes ont été enlevées.

— Vous avez accès à un ordinateur et à un scanner ?

— Oui, je peux trouver ça.

— Alors scannez la lettre et envoyez-la-moi par mail… Je jetterai un œil dessus.

— Il faudrait que vous le fassiez maintenant, docteur Beck. Avant votre rendez-vous.

— Envoyez-la-moi tout de suite. Vous avez de quoi noter ?

— Bien sûr. »

Beck lui donna son adresse mail. Irving raccrocha, donna les documents à Karen, qui les scanna et les envoya à Beck en pièces jointes.

« Et si votre patron apprend que vous avez fait ça ? demanda-t-elle.

— Alors je me retrouverai au chômage et vous devrez m’embaucher. »

Quelques instants plus tard, Costello parut à la porte. « Je vous en ai trouvé cinq, dit-il, tout essoufflé. Une des femmes n’est pas à New York en ce moment, mais les autres sont prêts à vous aider… Mais pas ici, ni dans un commissariat de police. Il y a un hôtel dans la 45
e
 Rue, près de la tour Stevens. Ils nous retrouvent là-bas à 12 h 45. »

Irving fit signe que non. « Je suis censé être de retour au n
o
 4 à 13 heures.

— Eh bien, vous arriverez en retard. »

Irving consulta sa montre. « On doit décoller dans dix minutes. » Son téléphone portable sonna.

« Inspecteur Irving ?

— Oui, docteur Beck. Vous l’avez reçue ?

— Je l’ai reçue, je l’ai lue… Ça ne me rappelle rien en particulier. Pour dire la vérité, des lettres avec des références à la Bible, il y en a des milliers. Mais de là à ressembler à une lettre que j’aurais déjà vue… »

Il ne termina pas sa phrase. C’était inutile.

« Docteur Beck ?

— Oui.

— Je veux que vous fassiez quelque chose pour moi.

— Vous voulez que j’efface votre mail de mon ordinateur, c’est ça ? Et cette conversation n’a jamais eu lieu ?

— Exactement.

— Considérez que c’est fait, inspecteur. Et bonne chance pour votre enquête.

— Je vous remercie, docteur Beck. Je vous remercie infiniment. »

Irving raccrocha et leva les yeux vers Costello. « On s’en va », dit-il, ce à quoi Karen Langley réagit en s’emparant de son manteau.

Irving haussa les sourcils, intrigué.

« Vous ne croyez tout de même pas que je vais attendre sagement ici pendant que vous, vous vous baladez dans toute la ville, si ?

— Karen… »

Elle leva la main, en un geste clair et solennel. « Taisez-vous, Ray. Je vous accompagne. »

Irving regarda Costello, lequel sourit en haussant les épaules. « Ce n’est pas ma guerre, dit-il. Chacun sa bataille. »

53

  L
es cinq membres disponibles du groupe du Winterbourne arrivèrent à l’heure, avec seulement quelques minutes d’intervalle entre le premier et le dernier. Irving ne savait pas à quoi s’attendre – peut-être à des gens anxieux et effacés, bourrés de tics nerveux. Or c’était loin d’être le cas. Les individus qui entrèrent dans la pièce l’un après l’autre ressemblaient en tout point aux milliers de gens qui chaque matin prenaient le métro ou la voiture pour se rendre au travail, qui menaient une tranquille vie de famille aux quatre coins de la ville. John Costello les présenta tour à tour. Tous serrèrent la main d’Irving et de Langley, puis s’assirent autour de la table semi-circulaire installée au milieu de la chambre.

Trois femmes : Alison Cotten, la petite trentaine, une jolie brune qui n’était pas très éloignée, physiquement, de Karen Langley ; Barbara Floyd, cinq ou six ans de plus, une coupe courte presque trop sévère pour son visage, mais une attitude détendue et naturelle qui donnait l’impression d’une personne habituée à écouter ; enfin, Rebecca Holzman, entre 25 et 30 ans, cheveux blonds, yeux verts, un maquillage un peu trop visible pour masquer l’acné qui lui couvrait le bas du visage et la majeure partie du cou. Des deux hommes présents, le premier – George Curtis – devait avoir entre 50 et 55 ans et sa tignasse grise le faisait ressembler à un professeur de mathématiques. À ses côtés avait pris place Eugene Baumann, vêtu d’un impeccable costume trois pièces bleu nuit, d’une chemise blanche et d’une cravate bleu clair – le genre directeur de banque ou avocat dans un grand cabinet new-yorkais. Pourtant, Irving se dit que leur enveloppe extérieure, à tous, devait être à mille lieues de leur nature profonde. John Costello, par exemple, était la preuve vivante qu’il ne fallait jamais se fier aux apparences.

Ce dernier s’était installé à la droite d’Irving. Il fut le premier à prendre la parole.

« Je vous présente l’inspecteur Ray Irving, de la brigade criminelle du commissariat n
o
 4. Et ici, à sa gauche, voici Karen Langley, responsable des faits divers au
City Herald
… Comme je vous l’ai dit au téléphone, nous avons besoin de votre aide. »

Baumann se pencha en avant, s’éclaircit la voix et s’adressa à Irving. « Je suis prêt à faire tout mon possible, inspecteur, mais sachez qu’aujourd’hui je ne pourrai vous accorder qu’une demi-heure de mon temps. » Il regarda sa montre. « Du coup, si cette réunion devait durer plus longtemps, il va de soi que… »

Irving sourit. « Pour être très franc, monsieur Baumann, je suis encore plus pressé que vous. Il s’agit d’une discussion simple et franche, et vous serez en mesure de nous éclairer ou non. Mais avant de vous expliquer la situation, j’aimerais que les choses soient très claires : nous passons un accord. Tout ce qui sera dit entre les quatre murs de cette pièce…

— Je crois que vous n’avez aucun souci à vous faire là-dessus, intervint Alison Cotten. Étant donné nos histoires personnelles, nous sommes précisément de ceux qui n’attirent et ne veulent pas attirer l’attention sur eux. »

Elle arbora un sourire indulgent, comme si elle savait certaines choses qu’Irving ne pourrait jamais toucher du doigt.

« Je ne voulais pas dire que…

— Allons droit au but, inspecteur, voulez-vous ? fit Curtis. En quoi pensez-vous que nous pouvons vous aider ? »

Irving se lança. Il commença par Mia Grant, revint sur le début de l’histoire telle qu’il la connaissait, résuma les tenants et les aboutissants de l’enquête. Il décrivit les rééditions des meurtres, la lettre de Shawcross, l’utilisation du code du Zodiaque, puis leur montra la dernière lettre envoyée au
New
York Times
. Au bout de quelques secondes, il la transmit à Costello, qui la passa à Barbara Floyd. Chacun des membres l’étudia à tour de rôle, la lut et la relut, discuta avec les autres. Irving n’intervint pas. Il les regarda se poser des questions et se répondre les uns aux autres, émettre des hypothèses, et ce n’est que lorsque Eugene Baumann lui redonna la lettre qu’il comprit qu’ils étaient parvenus à une sorte de consensus.

« Ça ne veut rien dire, affirma en effet Baumann. Ça n’a pas vraiment de sens. Les seules prostituées étaient cette Carol-Anne dont vous avez parlé et la fille de Central Park. Les adolescentes tuées n’étaient pas des prostituées, que je sache ?

— Exact.

— Il semblerait que le seul élément significatif de cette lettre, ce soit la menace elle-même, les six personnes qu’il tuera si le journal ne la publie pas. Et à mon avis… »

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