Les Assassins (41 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

— Et il ressemblait à quoi ?

— Il ressemblait à un type en pleine forme. Comme s’il avait perdu du poids, ou qu’il essayait d’arrêter la cigarette. »

Hyams leva les yeux au ciel. « Mais bordel, comment voulez-vous que je sache à quoi il ressemblait ? À un type normal. Il ressemblait à tous les gens qui viennent ici. Cheveux foncés, bien rasé, chemise, veste. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je ne sais pas à quoi il ressemblait.

— Et l’enveloppe a été directement déposée au
New York Times
 ?

— Il a payé pour. Livraison immédiate. 80 dollars, ça lui a coûté. Il n’a pas tiqué une seconde. Il a réglé ce qu’il devait, il m’a dit merci beaucoup et il est reparti.

— Il a payé en liquide ?

— Oui… Et avant que vous me demandiez de sortir tous les billets de la caisse, je préfère vous dire tout de suite qu’on les envoie à la banque le plus rapidement possible. On ne garde pas de liquide ici, pour des raisons évidentes.

— Vous déposez l’argent dans des sacs ou au guichet ?

— Au guichet. On n’a pas beaucoup de rentrées en liquide car la plupart des clients ont un compte. Je dirais peut-être 500 dollars en liquide chaque jour. »

Hyams esquissa un sourire sarcastique. « Pas votre jour, hein ?

— Pas mon année, répliqua Irving.

— Vous cherchez ce type, c’est ça ?

— On ne peut rien vous cacher.

— Eh bien, je ne vois pas très bien en quoi je peux vous aider, mais si vous attrapez quelqu’un et que vous voulez que je passe jeter un coup d’œil, derrière une vitre…

— Merci. Il se peut que l’occasion se présente, en effet.

— OK, dit Hyams. Bonne chance. »

Irving ne répondit pas. Il se contenta de lui adresser un signe de tête et quitta l’immeuble.

 

De retour au n
o
 4, il confia la photo et le petit message à un agent en lui demandant de les transmettre à Jeff Turner pour analyse – empreintes digitales, modèle de l’imprimante, tout élément susceptible de permettre l’identification d’une source. Il donna le nom d’Eckhart, expliqua que ses empreintes figureraient dans la base de données en tant que journaliste au
New York Times
, afin de le disculper une bonne fois pour toutes. Il lui demanda, enfin, d’insister auprès de Jeff Turner pour qu’il récupère au plus vite le rapport scientifique concernant la scène de crime de Lynette Berry. « Dites-lui de me biper dès qu’il l’aura reçu. » Dans le couloir, alors que l’agent fonçait vers l’escalier, Irving hésita un instant, puis regagna son bureau. Une fois à l’intérieur, il resta tranquillement assis pendant une ou deux minutes, prit son courage à deux mains et souleva le combiné pour appeler Karen Langley.

43

  « I
l n’est pas venu ce matin. »

Irving ne répondit pas.

« Vous avez vu l’article ? Dans le
New York Times
 ?

— Oui, dit Irving. Je l’ai lu.

— Vous vous rendez compte de ce que ça va lui faire ? Nom de Dieu…

— Jamais je n’aurais pensé que ça finirait dans le journal. Franchement, Karen, c’est une affaire très importante…

— Une affaire très importante que vous m’avez arrachée des mains.

— Je n’ai jamais rien arraché…

— Peu importe, Ray… La vérité, c’est qu’on a beaucoup travaillé là-dessus et qu’on n’a pas pu sortir l’affaire. Je vous ai pardonné. Mais ça ?

— Je ne voulais pas…

— C’est vous qui l’avez emmené là-bas, Ray. Sur une scène de crime à Central Park. Vous n’avez pas pensé une seule seconde aux équipes de télévision ? Ça ne s’est pas passé au fond d’un appartement minable perdu dans New York. C’était Central Park, merde !

— Où est-il, alors ? demanda Irving.

— Très certainement chez lui. J’imagine qu’il est terré dans son appartement, avec les rideaux tirés et les portes fermées à double tour, en train de se demander si un deuxième tueur en série ne va pas débarquer pour lui fracasser la tête à coups de marteau. »

Irving inspira lentement, les yeux fermés, en se massant le front avec la main droite. « Oh, bordel…

— On ne peut plus rien y changer, dit Karen. Le mal est fait.

— Et vous n’avez aucune nouvelle de lui ?

— Aucune.

— Il a déjà fait le coup ?

— John n’est jamais malade, Ray. Il ne manque jamais une journée de travail. Il ne prend même pas de vacances ou de jours de congé. Depuis des années que je le connais…

— Je vois le genre. Et vous excluez la possibilité qu’il n’ait pas lu l’article ?

— À moins que l’autre taré l’ait retrouvé et assassiné quelque part, je peux imaginer que John Costello a été un des tout premiers New-Yorkais à être tombés dessus. C’est comme ça qu’il fonctionne, au cas où vous n’auriez pas remarqué. Il écoute la radio de la police, il lit les journaux, il cherche sur Internet. D’ailleurs, en ce moment il est en train de chercher des choses pour vous. Vous êtes au courant, quand même, oui ?

— Karen… Sérieusement, je suis exténué, et toute cette affaire me tape sur le système. Alors la dernière chose au monde dont j’aie besoin, c’est que vous me sortiez ce genre de petites remarques caustiques.

— Je m’en fous, Ray… Je vais essayer de le joindre et une fois que j’aurai fait ça, je verrai ce qui se passe. Ensuite, je ferai tout mon possible pour l’aider à affronter ça. Je vous rappellerai peut-être après.

— Si vous y arrivez, dit Irving, est-ce que vous pouvez essayer de vous persuader que je suis un être humain à peu près digne de ce nom ?

— Attendez, qui joue les petits malins sarcastiques, maintenant ? »

Sur ce, Karen Langley raccrocha.

 

À 10 h 15, Irving avait identifié les quatre chaînes de télévision qui avaient envoyé des équipes sur la scène de crime de Lynette Berry : NBC, WNET, ABC et CBS. Il téléphona à Langdon, aux relations publiques de la police, lui dit qu’il avait besoin d’une copie de toutes les images filmées par ces quatre chaînes – non seulement celles qu’elles comptaient diffuser, mais aussi celles non montées. Langdon promit de le rappeler d’ici une heure.

Irving n’hésita pas longtemps à aller faire un tour chez Costello. Attendre n’aurait fait qu’aggraver la situation. Il songea à se rendre au bureau de Karen Langley. Mais pour lui dire quoi ? Il devait déjà affronter la paranoïa de Costello. Il se dit qu’il fallait compatir avec lui – après tout, il faisait de son mieux pour les aider, ce dont Irving devait lui savoir gré –, mais la compassion lui semblait pour le moment un sentiment inopportun, un luxe. Personne n’avait le temps de penser à autre chose qu’à être efficace. Limiter les dégâts vis-à-vis de Karen Langley constituait déjà une mission à part entière, qui marcherait ou qui échouerait. Il l’appréciait beaucoup, mais ce n’était pas sa femme, non plus. Si elle décidait de ne plus jamais lui parler, serait-ce vraiment la fin du monde ?

Le téléphone sonna. Il décrocha brusquement et faillit faire tomber le combiné.

« Oui ?

— Ray, c’est Karen. John a bien lu le papier. Il ne veut pas sortir de chez lui. Il dit qu’il n’est pas paranoïaque, mais réaliste. »

Irving sourit. C’était une simple réaction, rien de plus. C’était la fatigue, le stress, l’incrédulité absolue qui accompagnait inévitablement ce genre de scénarios.

« Du coup, il dit qu’il va faire profil bas pendant un petit moment.

— Profil bas ? Qu’est-ce que c’est que cette connerie encore ?

— Oh, ne me parlez pas comme ça, Ray. Ce n’est pas moi qui nous ai mis dans ce foutu cauchemar, mais vous. Alors montrez-moi un peu de respect ou allez vous faire mettre.

— Je suis désolé, Karen.

— Ça suffit. Je me fous de vos excuses. Je veux que vous fermiez votre grande gueule et que vous me laissiez terminer mon explication. Donc, il va faire profil bas pendant quelque temps. Il dit qu’il a besoin de se recentrer. Il veut essayer d’en savoir un peu plus sur ce type. Il a l’impression de s’être trop approché et il a besoin de prendre un peu de recul.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire, Karen ? À quel genre de personnage est-ce que j’ai affaire, au juste ?

— Quel genre de personnage ? Bon sang, Ray, parfois vous vous comportez vraiment comme un connard invétéré. »

Irving ne put pas s’en empêcher. Il éclata de rire.

« Vous avez perdu la boule ou quoi ? reprit Karen. Je commence à m’inquiéter sérieusement pour vous, mon vieux.

— Vous savez quoi, Karen ? Vous voulez que je vous dise ?

— Allez-y, Ray. Donnez le meilleur de vous-même. »

Pourtant prêt à lui décocher une réplique cinglante, Irving se ravisa. Il se regarda un peu. Pendant un moment, il eut vraiment l’impression de se voir de loin – ce qu’il pensait, ce qu’il ressentait, ce qu’il avait prévu de dire à cette femme au bout du fil… Une femme qu’il connaissait à peine, une femme qui lui plaisait d’une manière un peu tordue. Et il se retint. Il ne lâcha pas sa phrase. Il se contenta de répondre : « Je suis désolé, Karen. Je suis profondément désolé pour ce qui s’est passé. Je comprends… En fait, non, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il peut endurer en ce moment, mais dites-lui de ma part que je comprends sa situation. Dites-lui que je suis désolé que les choses se soient passées comme ça, que si j’ai l’occasion de me racheter, je le ferai. Dites-lui de prendre tout le temps qu’il voudra, qu’il sait où me trouver, et que s’il a des idées sur la question il m’appelle… »

Karen Langley ne dit rien.

« Et pour ce qui vous concerne, ajouta Irving, je suis désolé que notre amitié soit née à cause d’un tueur en série. Si on s’était rencontrés autrement, peut-être que tout se passerait bien entre nous…

— Mais tout se passe bien entre nous, Ray. Ce sont des choses qui arrivent. Je transmets le message à John. Il appréciera. On reste en contact, hein ? »

Elle raccrocha.

Irving éprouva un sentiment de solitude profonde, comme s’il était désormais l’unique personne au monde capable d’arrêter cette machine infernale.

44

  A
ssis dans une petite cabine insonorisée du laboratoire criminel de la police de New York, une paire d’écouteurs vissée sur les oreilles, le dos en sueur, Ray Irving travailla avec Jeff Turner de 9 heures à 16 heures. À partir des images filmées à Central Park, ils déterminèrent d’abord l’angle sous lequel la photo avait pu être prise. Le choix se réduisait ainsi à NBC ou à CBS. Ensuite, ils étudièrent de près les visages de tous les badauds, des membres des équipes de télévision, des photographes et des journalistes, pour tenter de repérer
la
tête qui ne collait pas, l’individu équipé d’un appareil qui avait photographié Irving et Costello sur la scène du crime de Lynette Berry.

À 16 h 10, alors qu’Irving pensait osciller éternellement entre le désespoir et un profond sentiment d’inutilité, un TSC entra dans la cabine pour lui transmettre un message. Il devait rappeler Karen Langley. De toute urgence.

« John doit vous parler, lui dit-elle. Où êtes-vous ? »

Irving lui expliqua la situation et lui donna le numéro de téléphone. Quelques minutes plus tard, Costello était à l’autre bout du fil.

« John… Comment va ?

— C’est un flic.

— Quoi ? »

Irving eut soudain l’impression de trébucher du haut d’un abîme et de s’écraser vers le sol.

« Non, pardon, reprit Costello. Ce n’est pas ce que je voulais dire… J’imagine que vous avez visionné les images de Central Park, non ?

— Oui… Mais cette histoire de flic, John. Qu’est-ce que…

— Quelqu’un déguisé en flic. Il y avait beaucoup de policiers sur place. Eh bien, il était parmi eux. C’est l’affaire Bianchi, pas vrai ? Apparemment, les Étrangleurs de Hillside se faisaient passer pour des flics. Vous vous rappelez ce que je vous ai dit ? Sur le fait que les gens avaient tellement peur qu’ils ne s’arrêtaient même plus devant les flics ? Ils se déguisaient en policiers. C’est comme ça qu’ils procédaient. Et je crois qu’il était là, au parc. Déguisé en flic. C’est comme ça qu’il a pu s’approcher et prendre la photo. »

Turner était à côté d’Irving, le front plissé.

« Putain… Putain, dit Irving.

— Je pense qu’il était là, Ray. J’en suis presque sûr.

— OK, OK… Bon. J’y retourne. Je vous rappelle. Ah, mais non… Je ne peux pas…

— Vous avez de quoi noter ?

— De quoi noter ? Oui, bien sûr.

— Voici mon numéro, Ray. Il n’est pas dans l’annuaire. Je vous fais confiance ?

— Oui… Bien sûr. »

Costello lui donna son numéro. Irving le nota, le remercia, raccrocha et regarda Turner.

« Il faut qu’on identifie un flic avec un appareil photo », dit-il simplement avant de regagner la cabine.

 

Les caméras de NBC l’avaient filmé. Un policier à moto. Le seul présent sur les lieux. Il n’ôtait jamais son casque et, malgré le temps maussade, gardait tout le temps ses lunettes de soleil. On le voyait dans le cadre quelques petites secondes, en train de marcher sur l’herbe à dix ou quinze mètres du corps nu et froid de Lynette Berry. Il tenait dans sa main quelque chose. Irving crut d’abord que c’était son talkie-walkie. Mais grâce à la qualité du matériel numérique utilisé par NBC, ils purent élargir le plan image par image. Un téléphone portable. Sans doute équipé d’un appareil photo. C’était avec ça qu’il avait photographié Irving et Costello. La netteté de l’image leur permit de lire le numéro de son insigne sur son blouson ; ils firent des recherches et découvrirent que c’était un numéro bidon.

La frustration d’Irving atteignait des sommets.

« Attendez, Ray, comment est-ce que vous auriez pu savoir ? lui demanda Turner.

— Il était là, Jeff. Il était juste là. À vingt mètres de nous. Ce mec était sous nos yeux et…

— Et vous ne le saviez pas, et vous n’auriez jamais pu le savoir, et vous ne pouvez plus rien y faire. Vous avez là un type avec des lunettes noires et un casque de motard. Tout ce qu’on peut déterminer, c’est sa taille et son poids approximatifs… »

Irving se leva. Il fit les cent pas dans la pièce, cogna deux fois le mur près de la porte, puis resta immobile, les yeux fermés. Il essayait de se concentrer, de voir comment se sentir autrement que désespéré et inutile.

« Il a peut-être volé la moto, Ray. Vérifiez s’il y a eu des vols de motos de police…

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