Les Assassins (54 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

— Ensuite se pose l’autre problème. »

Farraday se retourna, rejoignit son bureau et s’assit.

« La partie de sa lettre où il explique que ça va devenir personnel ?

— Oui, acquiesça Farraday, l’air sombre. Il a parlé d’au moins six nouvelles victimes, peut-être plus, et expliqué qu’ensuite ça deviendrait personnel.

— À ma connaissance, il n’y a pas eu d’autres assassinats recensés la nuit dernière.

— Certes, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu. Je vous rappelle qu’on a découvert la fille de Montgomery Street au bout de douze jours.

— Et l’aspect personnel ? Ça pourrait être moi, mais aussi bien quelqu’un d’autre. »

Farraday se pencha en avant. « On a maintenant un total de dix-sept victimes, dont on peut, presque avec certitude, attribuer la mort à un seul et même homme. Ça ne peut plus rester hors des radars. On ne peut plus garder le secret autour de cette affaire. Les flics qui ont débarqué chez les Hill, puis de nouveau sur la scène de crime de la famille Allen… Les deux fois, les journalistes se sont pointés. Ils n’ont qu’à discuter avec Desmond Roarke, voire avec Greg Hill et quelques-uns des voisins que vous avez interrogés, pour commencer à reconstituer le puzzle.

— Combien de temps, alors ? »

Farraday fit la moue. « Une journée ? Deux, dans le meilleur des cas.

— Bon. Je vais voir ce que donnent les rapports sur la scène de crime et les autopsies. J’ai demandé à Ken Hudson de mettre la main sur Karl Roberts et de voir s’il a quoi que ce soit à voir avec Desmond Roarke…

— Quand je dis un jour ou deux, coupa Farraday, j’entends par là que je vais devoir faire une déclaration demain ou après-demain. Une fois que ce sera fait, on fera les gros titres. Ce qui signifie qu’on doit avoir une piste sérieuse… »

Irving se leva. Il rajusta sa veste. « Les seuls témoins oculaires dont je disposais sont morts. Les éléments que j’ai, qui proviennent des scènes de crime, sont non seulement circonstanciels, mais peu concluants. J’ai la photo d’un homme déguisé en flic, qui est peut-être notre tueur, mais qui pourrait tout aussi bien être un type payé pour se rendre sur la scène du crime afin de me photographier avec Costello…

— Ce qui m’amène au point suivant. Vous voulez bien vous asseoir, oui ? »

Irving obéit.

« Est-ce que ce Costello vous sert à quelque chose ?

— Bien sûr.

— Donc ça vaut le coup de le garder avec nous ?

— Si vous avez besoin de quelqu’un pour justifier pourquoi on a fait cette…

— Ne vous préoccupez pas de justifier quoi que ce soit. Les gens n’en ont rien à battre de ce qu’on fait, pourvu qu’on ait des résultats. On pourrait recruter toute l’équipe des New England Patriots que tout le monde s’en foutrait royalement, du moment qu’on attrape ce type.

— Je sais, répondit Irving. Mais vous me demandez quelque chose de solide, de probant, et d’ici vingt-quatre heures. La vérité, c’est que ça fait plus de cinq mois que Mia Grant a été assassinée et qu’on n’a rien…

— Que les choses soient claires : ce genre de propos ne quitte pas cette pièce.

— Je sais bien ! Merde, Bill, qu’est-ce que vous croyez ?

— De quoi avez-vous besoin ? Dites-moi franchement. Vos copains du
City Herald
, les charognards du
New York Times
… Ils vont se ruer sur l’assassinat de la famille Allen. Quatre gamins ont été tués dans leur sommeil, nom de Dieu ! Ça va être… Bordel, je n’ose même pas imaginer leur réaction, mais vu le climat politique actuel et toutes les questions soulevées dans les interventions du maire à propos du financement de la police et Dieu sait quoi d’autre…

— Merci, je suis au courant. J’ai juste besoin d’hommes et de temps. Rien de plus.

— Du temps, je peux vous en donner. Et vous avez Hudson et Gifford. Quoi d’autre ?

— Il me faut au moins six agents. J’ai des tas de voisins à aller voir, des tas de questions à poser. J’ai des gens qui étaient absents aujourd’hui mais qui étaient peut-être présents la nuit dernière. Je dois suivre l’affaire des violences commises par Greg Hill sur sa femme. Je ne manque pas de boulot, même si, je vous l’accorde, certaines pistes sont sans doute bidon. Ce fameux détective privé ne donnera peut-être rien du tout, et si ça se trouve, l’histoire de Hill avec sa femme n’a tellement aucun rapport avec notre affaire que ce n’en est même plus drôle. Mais toutes ces pistes doivent être suivies. Et si je les suis, je lâche l’enquête avec Jeff Turner. Notre seul espoir, c’est qu’on découvre quelque chose sur les victimes ou dans la maison, quelque chose qui nous renseigne un peu plus sur l’assassin. C’est un puzzle, Bill… Et puis merde, pas besoin de vous faire un dessin, si ? On n’est pas à la télé. Ce n’est pas une affaire qui se règle en cinquante-deux minutes, avec tous les indices qui étaient là, sous les yeux de Briscoe et de Green…

— Six hommes, ça vous suffira ?

— Pour l’instant, oui. Il faut juste que je suive toutes ces pistes et je n’ai vraiment pas le temps. S’il me faut d’autres renforts, je vous ferai signe.

— Qui était dans la maison des Allen avec vous ?

— Anderson et Maurizio.

— Gardez-les. Je vais vous refiler Goldman, Vogel… »

Farraday se pencha en avant pour exhumer un emploi du temps caché sous une pile de papiers. Il passa les noms en revue. « Anderson, Maurizio, Goldman, Vogel… Saxon et O’Reilly. Ça nous fait six. Je veux voir les rapports détaillés. Tout ce que vous trouverez. Ensuite, on fait un bilan et on redéploie si besoin est. S’il vous faut plus d’inspecteurs, gueulez. Je ne sais pas du tout où je les trouverai, mais je vous les trouverai. »

Irving ne répondit pas.

« Maintenant vous pouvez vous lever, lui dit Farraday avant de regarder sa montre. Il est 10 h 50. Faites-moi un point à midi. Demandez à l’agent de faction de convoquer tous ces hommes. Avec Gifford, vous leur ferez un topo dans la salle des opérations. »

66

  A
vant l’arrivée des hommes en question, Irving lu ses mails. Turner ne lui avait encore rien envoyé.

À 11 h 08, il avait face à lui les inspecteurs et les agents réunis dans la salle des opérations. Il commença par rappeler où en était l’enquête.

« Laissez tomber le détective privé de Grant, dit-il à Ken Hudson. Je veux que vous alliez voir Greg Hill. Anderson, vous accompagnerez Ken. Parlez avec Hill, voyez ce qu’il sait, au juste, sur Anthony Grant et sur cette histoire de liaison. Apparemment, Hill a cogné sa femme quand il a appris qu’elle le trompait, mais elle n’a pas porté plainte contre lui, si bien qu’on n’a aucun dossier là-dessus. Voyez ce qui s’est vraiment passé. S’il le faut, parlez aussi avec Laura Hill. Mais pour le moment, je veux surtout savoir ce que Hill pense de Grant. Voulait-il se venger ? Avait-il assez de haine à l’encontre de Grant pour aller jusqu’à faire du mal à sa fille ? Une fois que vous en aurez terminé avec lui, demandez à Laura Hill de tout vous raconter au sujet de Grant. Comment elle l’a rencontré, combien de temps leur liaison a duré. Tout ce que vous pourrez découvrir, d’accord ? »

Hudson et Anderson se levèrent et quittèrent la pièce.

Irving se tourna alors vers l’inspecteur Gifford. « Vernon, vous allez prendre Maurizio avec vous… Et vous allez aller voir Anthony Grant. Consignez
sa
version de sa liaison avec Laura Hill. Je veux tout savoir de son point de vue. Je vous rappelle au passage qu’Evelyn Grant n’est au courant de rien, sauf s’il lui en a parlé au cours des dernières heures. Soyez prudents. Ce type est un avocat. Je ne veux pas être poursuivi pour harcèlement moral. »

Gifford se leva. « À quelle heure est-ce que vous voulez que je vous transmette le rapport ?

— L’essentiel, c’est d’obtenir l’information. Si vous arrivez à faire parler tout ce beau monde, ne vous souciez pas de l’heure. Envoyez-moi juste un SMS ou un message pour que je puisse avoir une vague idée de ce que vous obtenez. Compris ? »

Maurizio suivit Gifford hors de la pièce. Irving attendit jusqu’à ce qu’il ne les entende plus parler et se tourna vers les quatre agents qui restaient.

« Saxon et O’Reilly, vous allez me traquer ce Karl Roberts. Vous avez l’adresse de son bureau. Allez me le débusquer. Parlez-lui, interrogez-le sur Desmond Roarke. Est-ce qu’il le connaît ? Est-ce qu’il a déjà entendu parler de lui ? Jetez un coup d’œil autour de lui, mais discrètement. Essayez de vous faire une opinion sur lui, de voir si vous le sentez impliqué ou non dans cette histoire. Découvrez ce que Grant lui a dit à propos de la mort de sa fille le jour où il l’a engagé. Posez des tas de questions. L’un de vous parle pendant que l’autre prend des notes. C’est un détective privé. Les questions, il connaît ça par cœur. Et d’après mon expérience, ces types-là adorent s’écouter parler. »

Saxon et O’Reilly se levèrent.

Irving se retrouvait donc seul avec Vogel et Goldman. « Vous deux. Je veux que vous suiviez Desmond Roarke à la trace. Il est encore au trou, mais on va le faire comparaître d’ici une heure ou deux. Si on le retient, c’est uniquement pour obtenir un mandat. On va mettre sa ligne sur écoute, voir qui il appelle et qui l’appelle. Alors enfilez un jean, un sweat-shirt, et suivez-le. On le considère comme un suspect indirect dans cette affaire. C’est un peu léger, mais tout le monde est suffisamment sur les dents pour nous foutre la paix avec ça. Ce qu’on veut savoir, c’est s’il reçoit, oui ou non, de nouveaux coups de fil de la part d’Anthony Grant ou de quelqu’un se faisant passer pour Anthony Grant. D’où la mise sur écoute de son téléphone. La surveillance se fera depuis le commissariat n
o
 2 – c’est là qu’est arrivé le coup de fil anonyme concernant l’assassinat de la famille Allen –, et si Roarke reçoit ou passe un coup de fil qui le fait sortir de chez lui pour aller voir quelqu’un, l’information nous parviendra directement, si bien qu’on pourra le filer. »

Irving regarda derrière lui, vers le panneau de liège, vers les visages des victimes, vers l’espace vide tout à droite, où bientôt une mère, un père et quatre enfants le regarderaient à leur tour. « À mon avis, Desmond Roarke n’est pas directement impliqué. Mais il a reçu des appels de quelqu’un, et ce quelqu’un peut très bien être notre assassin se faisant passer pour Anthony Grant. Ou alors, le détective privé engagé par Grant est allé un peu au-delà de ses prérogatives. En tout cas, toutes les pistes doivent être explorées. »

Vogel et Goldman se levèrent. Ce dernier remercia Irving pour la mission qu’il lui confiait. Son regard en disait long. Il voulait à tout prix être inspecteur – Mœurs, Criminelle, Stups, peu importe. La grande majorité de ces types pensait qu’en dehors de ça, point de salut. Irving les regarda s’en aller et se dit que coller des PV pour excès de vitesse ou tapage nocturne représentait à ce moment précis une perspective beaucoup plus alléchante.

Il téléphona au bureau de Turner, laissa un message pour dire qu’il quittait le commissariat et serait joignable sur son portable. Il appela ensuite l’assistante de Farraday, lui expliqua qu’il serait de retour avant 13 heures, que le capitaine attendait un rapport à midi mais qu’il allait devoir patienter encore une heure.

Il rassembla le peu de notes qu’il avait sur l’assassinat de la famille Allen et se rendit en voiture jusqu’au siège du
City Herald
. La circulation sur la 34
e
 Rue n’était pas trop mauvaise. Il arriva à 11 h 50 au croisement de la 31
e
 Rue et de la 9
e
 Avenue. Il voulait voir Karen Langley. Il voulait la voir simplement parce que avec elle il se sentait humain. John Costello, en revanche, c’était autre chose. Pour être très honnête, il ne voulait pas voir Costello. Il
devait
le voir.

67

  « J
e n’en sais pas plus que vous, dit Karen Langley. Je l’ai appelé dix mille fois, mais pas de réponse.

— Je l’ai eu ce matin, répondit Irving. Il devait être autour de 8 heures. Je lui ai annoncé l’assassinat de la famille Allen…

— Jusque-là, il n’avait jamais manqué le travail. Depuis que vous le connaissez, c’est la deuxième fois. »

Irving afficha un air légèrement caustique et s’assit. « Je ne pense pas que vous puissiez m’en tenir responsable, Karen.

— Vous croyez que cette affaire ne l’affecte pas ? Il a vécu ça lui-même. Personnellement, vous comprenez ? Contrairement à nous. Il ne peut pas ressentir les mêmes choses que nous.

— J’ai l’impression qu’il a fait ses propres choix depuis longtemps. Rappelez-vous que c’est lui qui a effectué les recherches autour du premier article qui nous a réunis, vous et moi.

— Mais justement, Ray. Il reste à distance. C’est comme ça qu’il affronte ce qui lui est arrivé. Il est spectateur, pas acteur, et vous l’avez mis dans une situation où il est obligé de s’impliquer…

— Vous parlez de Central Park ? Il a
voulu
y aller, Karen. À vous entendre, je l’aurais forcé.

— Vous l’y avez obligé, Ray. Vous lui avez fait comprendre qu’il pouvait vous aider ; c’est suffisant. C’est un enfant – voilà la vérité. Il lui est arrivé ce drame, et depuis, il a méticuleusement fait en sorte que ça ne se reproduise plus jamais… »

Karen Langley regarda par la fenêtre, songeuse, presque triste. Lorsqu’elle se tourna de nouveau vers Irving, ses défenses semblaient s’être un peu fragilisées.

« Je ne sais même pas de quoi je parle, reprit-elle. Je travaille avec lui depuis des années et je ne le connais pas. Si je vous raconte tout ça, c’est que je n’arrive pas à m’expliquer autrement son comportement. Il ne sort pas, sauf pour retrouver les autres victimes dans ce fameux hôtel. Il n’a pas de petite amie, n’en a, à ma connaissance, jamais eu… Pas depuis elle. Depuis qu’il était avec…

— Nadia McGowan.

— Oui. Nadia. Un jour il m’a expliqué que ça voulait dire “espoir” en russe.

— Ironie de l’histoire…

— Non, Ray. Tristesse de l’histoire. Point final. Toute sa vie est d’une tristesse extraordinaire, et je me demande souvent comment il fait pour ne pas devenir complètement fou. Parfois, je me demande aussi ce que ça ferait de subir cette épreuve, de me retrouver dans sa situation, ce qui me passerait par la tête après coup. Les explications que je chercherais pour essayer de vivre avec ça. »

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