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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (57 page)

« Impliqué dans ces meurtres ? Bien sûr que je suis impliqué, inspecteur. Et c’est vous qui m’avez impliqué. »

Sur ces entrefaites, il ouvrit la porte et s’en alla.

Irving regarda Gifford. Gifford le regarda à son tour.

Ni l’un ni l’autre ne dit un mot. Ils n’avaient rien à dire.

71

  À
17 heures, Ray Irving avait l’intime conviction qu’Anthony Grant et Desmond Roarke ne s’étaient jamais reparlé depuis la fin de leur relation professionnelle, quelques années en arrière. L’inspecteur Ken Hudson, chargé de remonter toutes les pistes susceptibles de mener jusqu’à Karl Roberts, le détective privé de Grant, trouva aussi le temps de rencontrer Gregory Hill. Sous couvert de lui donner davantage de renseignements sur la visite clandestine de Desmond Roarke, on conduisit Hill jusqu’à la salle d’interrogatoire et on l’interrogea, en absence de sa femme. Ce dont il remercia les policiers. Elle avait suffisamment souffert comme ça. Sa liaison avec Grant était un vieux souvenir. Ils avaient réussi à surmonter cette épreuve. Elle avait reconnu avoir commis une énorme bêtise, assuré son mari qu’elle ne recommencerait plus, et il lui avait pardonné.

« Et y a-t-il eu des confrontations physiques ? » lui demanda Hudson. Hill regarda aussitôt ailleurs, avec un air piteux, et répondit par un simple murmure.

« Je buvais. J’ai dit des choses… et fait des choses…

— L’avez-vous physiquement agressée, monsieur Hill ?

— Je n’étais pas le même homme à l’époque. Je la frappais. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’ai honte de moi. Quoi qu’on puisse reprocher à quelqu’un, la violence ne se justifie jamais. »

Hudson jugea l’homme sincère dans sa contrition. Les Hill avaient subi la pire chose qui puisse arriver à un couple, et ils y avaient survécu. Il était maintenant clair que les investigations ne devaient porter ni sur Anthony Grant, ni sur Greg Hill, ni même sur Desmond Roarke. Tous les efforts devaient se concentrer sur l’homme qui avait contacté Roarke en se faisant passer pour Grant, celui qui avait engagé ce même Roarke afin qu’il s’introduise chez les Hill, prétendument pour y trouver des preuves incriminant Hill dans l’assassinat de Mia Grant. À l’intérieur de la maison, les TSC n’avaient rien trouvé. Roarke n’avait téléphoné à aucun numéro appartenant à Grant. La liste des appels reçus par Roarke montrait les numéros de trois cabines, toutes situées dans un périmètre de dix rues autour du commissariat n
o
 4 ; ces appels avaient été passés à des heures correspondant à celles auxquelles Roarke situait les coups de fil de Grant. Rien de concluant ne reliait ces hommes. Leurs versions tenaient la route.

Desmond Roarke serait jugé pour sa tentative d’effraction. Il n’avait pas respecté sa libération conditionnelle et retournerait en prison pour y purger sa peine. Laura Hill se verrait épargner un interrogatoire sur son infidélité. Evelyn Grant n’apprendrait pas la liaison que son mari avait eue avec Laura Hill cinq ans plus tôt. Grant était avocat. Il savait jusqu’où pouvait aller la police et où elle devait s’arrêter. Il y avait des limites, et certaines ne devaient pas être franchies.

Où que se posât leur regard, Irving et ses hommes se heurtaient à des murs, et ces murs étaient larges et hauts, sans qu’il fût apparemment possible de les contourner.

À 18 h 45, une réunion eut lieu dans la salle des opérations. Y assistaient Farraday, Irving, Gifford, Hudson, Jeff Turner et l’assistant du TSC, revenu de la maison des Allen.

« Avant de passer en revue tous les rapports d’autopsie et de scène de crime, il nous faut rassembler tout ce dont nous disposons, commença Farraday.

— Ce dont nous ne disposons pas », rectifia Irving.

Farraday ne répondit pas, parcourut quelques notes jetées sur une feuille de papier et dit : « Roarke va être inculpé pour sa tentative d’effraction, c’est bien ça ?

— Ce sera fait ce soir, répondit Hudson. On le remettra à l’administration du comté demain matin.

— Où est-ce qu’il va aller ?

— On ne sait pas encore. Toutes les prisons sont surpeuplées. On aura la décision demain.

— Assurez-vous d’avoir l’info avant qu’il disparaisse. On aura peut-être besoin de lui reparler bientôt. »

Farraday retrouva une autre feuille de papier, lut en silence quelques phrases et la mit de côté. « Bon, où en est-on ? Greg Hill n’est pas celui qu’on cherche. C’est sûr et certain ?

— Il n’y a rien dans la maison. Hill a des alibis pour la quasi-totalité des meurtres. Il a été loin de la ville, trois jours de week-end prolongé, le dimanche 6 août, quand les trois jeunes ont été assassinés. Ce n’est pas lui.

— Et sa femme ?

— Laura Hill ? Non. Elle s’est tapée Grant pendant un temps. La femme de Grant ne l’a jamais su. Hill a avoué qu’il frappait Laura et expliqué qu’il buvait trop. Un problème conjugal qui n’a pas quitté le domicile. Pas de dénonciation, pas de plainte déposée par la femme. On n’a soumis aucune demande d’enquête ou d’inculpation. Ils ont l’air de s’être débrouillés tout seuls avec leur histoire.

— Ce qui nous permet de supposer deux choses, dit Farraday.
Primo
, notre tueur savait qu’on était en rapport avec des familles de six personnes.
Secundo
, c’est lui qui a piégé Roarke pour qu’il entre en douce chez Greg Hill.

— Et si Roarke avait réussi son coup ? demanda Hudson. Que se serait-il passé ?

— Aucune idée. Je crois qu’envoyer Roarke chez les Hill était un moyen, non pas de détourner notre attention, mais de nous dire
allez vous faire foutre
une fois de plus. Ce type a un coup d’avance sur nous. Il veut qu’on le sache. Il
fait tout ce qu’il faut pour nous rappeler qu’on est très loin derrière lui.

— Roarke, Grant, Hill, intervint Irving. Pour moi, ils sont tous les trois hors de cause. Si on continue dans cette direction, on va droit dans le mur.

— Ce qui nous amène aux rapports d’autopsie et de la scène de crime des Allen », dit Farraday. Il se tourna vers Turner.

Celui-ci secoua la tête avant même de parler. « Je n’ai aucune révélation à vous faire, dit-il en tapant du doigt sur une pile de dossiers kraft. Six autopsies, un rapport de scène de crime complet. Analyse toxicologique, armes à feu, empreintes digitales, le câble de l’alarme sectionné, les traces de crochetage sur la porte de derrière… On a tout passé au crible. On a trouvé une trace de pas sur la terre humide, juste devant une des fenêtres. Une basket de marque standard, pointure 44 et demi, mêmes dimensions que celle retrouvée à Central Park. Mais ça ne confirme rien. Aucune empreinte à l’intérieur, sinon celles de la famille, deux ou trois taches, deux empreintes partielles non identifiées sur la boîte aux lettres, dehors. Il y en avait plein autour de la boîte à fusibles extérieure, mais on a contacté la société d’électricité et un de leurs employés est passé la réparer il y a moins de deux semaines, à la demande des Allen. L’assassin n’a rien laissé qui puisse nous faciliter la tâche.

— Et le fusil de .35 ? demanda Irving.

— La balistique nous a parlé d’un Remington Marlin, modèle 336. Il peut être chambré en calibre .35.

— Nom de Dieu… Il s’est servi de la même marque de fusil.

— Il faut dire que ce n’est pas une arme rare. Pour l’instant, on en a trois cent quarante déclarées à New York, et plusieurs milliers si on élargit à tout le comté.

— Sans compter celles qui sont détenues illégalement, les prêteurs sur gages et les vols non signalés.

— Connaissant le bonhomme, fit remarquer Farraday, il ne va pas utiliser une arme déclarée à son nom. Non, je crois que ça ne mène nulle part… Je pense qu’on perd notre temps avec le fusil.

— Le problème, répondit Hudson, c’est que toutes les pistes qu’on a suivies n’ont rien donné. Du moins jusqu’à présent.

— Eh bien… On va devoir les faire parler. »

Farraday jeta un coup d’œil à sa montre. « Bon. Il est 19 h 10. Les gars, je veux que vous planchiez sur une proposition que je pourrai soumettre à Ellmann à 21 heures. Trois chaînes d’information en continu ont titré sur l’assassinat de la famille Allen. Ça va finir par se calmer, mais plus cette affaire attire l’attention, plus le cabinet du maire nous bombarde de coups de fil… »

Irving voulut dire quelque chose mais Farraday, d’un simple geste de la main, l’en empêcha. « J’ai déjà suffisamment de problèmes sans que vous me donniez votre point de vue sur le cabinet du maire », dit-il avant de se lever. Il tassa la pile de papiers sur le bureau et s’avança vers la porte. « 21 heures, insista-t-il. Je veux une proposition digne de ce nom, pas un truc à la mords-moi-le-nœud dont tout le monde sait que ça ne marchera jamais. Entendu ? »

Turner regarda Irving, Irving regarda Hudson et Gifford. Tous suivirent des yeux Farraday pendant qu’il quittait la pièce et se dirigeait vers l’escalier.

« Bien, fit Turner. Mesdemoiselles, je vais vous laisser.

— Hop hop hop, dit Irving. Restez assis. Vous êtes plongé dedans jusqu’au cou autant que nous. On va tout reprendre à zéro jusqu’à ce qu’on ait quelque chose à proposer à la télé. »

72

  I
rving rentra chez lui à 23 heures. Dans sa poche, il avait le petit bout de papier sur lequel il avait noté le numéro de téléphone fixe de Karen Langley.

Il se prépara un café, s’assit dans le salon, sonda la nuit à travers la fenêtre et se posa mille questions.

Vingt minutes plus tard, il décrochait son téléphone et composait le numéro.

« Espèce de connard, dit-elle d’emblée.

— Karen…

— Arrêtez avec vos Karen, Ray. Allez vous faire foutre. Dégagez de ma vie, OK ? Laissez-moi faire ce que je faisais jusque-là. Tout allait bien jusqu’à ce que vous débarquiez comme un gros…

— Écoutez-moi.

— Franchement, Ray, je n’ai pas le temps. Il est tard et je suis fatiguée. Je me suis occupée de John toute la soirée et maintenant je vais me coucher, parce que grâce à vous, je dois encore faire exactement la même chose demain…

— Tout ce qui arrive est un problème, Karen. Voilà mon boulot. Je me coltine tous les problèmes dont personne ne veut.

— Mais Ray, bon Dieu… Ray… Il rentre chez lui et, avant même d’avoir franchi le seuil, un connard est déjà sur lui, en train d’essayer de le menotter…

— Vous vous rendez compte que…

— Ça suffit. Je ne veux pas parler de ça en ce moment.

— Quand, alors ? Quand
voulez-vous
en parler ?

— Jamais. Voilà. C’est vraiment comme ça que je vois les choses, Ray. Jamais je ne veux en reparler avec vous.

— Vous esquivez.

— Allez au diable.

— Allez au diable vous-même.

— Je vais vous dire une bonne chose, Ray… Je n’ai peut-être aucune idée de ce que ça fait d’être devant la porte de chez quelqu’un en se demandant s’il y a un cadavre à l’intérieur. Mais je ne parle même pas de ça. Il n’y a pas de place dans ma vie pour quelqu’un qui ne me parle pas…

— Qui ne vous parle pas ? Mais de quoi, bordel ?

— De ce qui arrive. De ce qui se passe.

— Comme quoi ? Ce que je fais, par exemple ? Vous voulez que je vous appelle en pleine nuit pour vous raconter ce que je fais ? Du genre : “Salut, Karen, vous devriez venir voir ça. Quelqu’un est entré chez un type et lui a fracassé la tête. Ses yeux sont défoncés, tout noirs, et pissent le sang et la dope.” Ou alors vous raconter qu’on est allés chez un pauvre camé, qu’on a retrouvé maman et ses trois petits gamins charcutés par papa et que le gars est tellement défoncé au crack et à je ne sais pas quoi d’autre qu’il ne se rend même pas compte de ce qu’il a fait…

— La ferme ! Fermez votre gueule, OK ? Je raccroche.

— Ne me raccrochez pas au nez, Karen. Je vous jure, ne me raccrochez pas au…

— Au revoir, Ray. »

Et la ligne coupa.

Irving resta avec le téléphone dans la main pendant quelque temps, puis il le reposa et s’enfonça dans son fauteuil.

Les choses ne s’étaient pas passées aussi bien qu’il l’avait voulu.

Comme souvent.

73

  M
ardi 14 novembre, tôt le matin. Irving avait dormi d’un sommeil agité, irrégulier. Il s’était réveillé plusieurs fois en sursaut, des images confuses et hachées plein la tête. Le corps de Mia Grant enveloppé dans du plastique noir. James Wolfe, face de clown aux yeux morts, le regardant du fond d’un trou dans le sol…

Tout l’humiliait, le défiait, lui donnait le sentiment d’être impuissant et faible. Le Commémorateur avait choisi son propre terrain de jeu et démontré sa supériorité, sans contestation possible.

Je suis plus fort, plus intelligent, plus rapide…

Je suis tellement en avance sur vous…

Vous autres… Vous autres, vous me faites doucement rire…

En outre, le stress et la pression de l’enquête commençaient à se faire ressentir. La relation – professionnelle ou autre – qu’Irving avait pu nouer avec Karen Langley était désormais en lambeaux. Quant à John Costello… Irving essaya par tous les moyens de ne pas penser à lui.

Il se fit du café et s’assit à la table de la cuisine. Il avait envie d’une bouteille de Jack Daniel’s et d’une cartouche de Lucky. Il avait envie de souffler. Il avait envie d’avoir la paix.

Son biper sonna à 8 h 10. Il rappela. Il apprit que Farraday voulait le voir dans son bureau à 8 h 45.

 

« Vous êtes en retard » : ainsi le salua Farraday. L’expression sur son visage était indéchiffrable. Pas de sympathie, pas d’empathie, pas de compassion, pas de compréhension, pas d’humour.

« J’ai d’autres coups de fil à gérer, dit-il. J’ai les journaux, les attachés de presse du cabinet du maire, Ellmann, le procureur. J’ai les chaînes de télévision, les stations de radio, et même des chats Internet à la con qui postent des copiés-collés d’articles sur ces assassinats… » Il se pencha en arrière jusqu’à voir le plafond et ferma les yeux. « J’ai aussi des journalistes qui ont enquêté, comme prévu. Et cette fois-ci, ils reviennent vers moi avec leurs conclusions. Maintenant, cette histoire est dans le domaine public, Ray, et je veux en finir…

— Je fais tout ce que…

— Je sais, je sais. Mais de toute évidence, ça ne suffit pas. Je veux plus. Je veux que vous collaboriez avec les profileurs du FBI, avec les TSC, avec le bureau du coroner. Je veux que Hudson, Gifford et vous travailliez jusqu’à pas d’heure. Je veux qu’on reconstitue les dossiers et qu’on mette tout ça en forme sur ordinateur. Je veux des comptes-rendus sur tous les rapports de scène de crime. »

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