Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (31 page)

Après la réunion du matin, Lizzy avait été emmenée dans une salle où le détective Holt l’avait interrogée. On avait volontairement posé à Lizzy des questions qui lui permettaient de répondre de manière à exaspérer Spiderman. À présent qu’ils avaient perdu Sophie, Jimmy avait décidé que l’idée de Lizzy valait la peine d’être tentée. Ils allaient provoquer Spiderman. Ils essaieraient de le distraire et de donner à Hayley une chance de rester en vie un jour de
plus.

Lizzy regardait l’émission, en priant pour avoir fait le bon
choix.

— Que savez-vous à propos de
Spiderman ?

Holt était un homme costaud, de forte carrure, intimidant avec sa voix
tonitruante.

Lizzy avait gardé son calme tout au long de leur
entretien.

— C’est un lâche, avait-elle répondu, conformément à ce qu’ils avaient répété. Un pleurnicheur lâche et dénué de
courage.

Lizzy avait envie de piquer au vif la fierté de Spiderman, de frapper là où elle était certaine de lui faire
mal.

— Et où pensez-vous que se trouve Spiderman en ce moment ? demanda le détective
Holt.

— Il se cache, dit-elle. Les lâches se terrent
toujours.

— Pensez-vous qu’il se mettra à votre
recherche ?


 Non.

— Et
pourquoi ?

— Il a peur de
moi.

— Comment
cela ?

— Parce que c’est moi qui me suis enfuie. Je suis plus intelligente que lui, et il le
sait.

— Vous a-t-il déjà parlé de lui ou de la raison pour laquelle il commettait toutes ces
atrocités ?

— Il a un problème avec son
père.

— Que voulez-vous
dire ?

— Il avait besoin d’attention de la part de son père, et de toute évidence il n’en a jamais reçu. Spiderman portait une Rolex, une Perpetual Sea-Dweller, le même modèle que portait son père. Il aimait la caresser avec amour, comme si c’était un animal de compagnie. C’est pourquoi je lui ai volé sa montre avant de m’échapper.

— Qu’avez-vous fait de cette
montre ?

Elle haussa les épaules d’un air
nonchalant.

— Je m’en suis
débarrassée.


 Pourquoi ?

— Elle ne signifiait rien pour moi. Je ne voulais plus rien avoir à faire avec cette montre. Je l’ai prise parce que je ne voulais pas qu’il la garde. Je voulais lui dérober quelque chose qui comptait pour
lui.

— Connaissez-vous le nom de
Spiderman ?

— Non. Mais « SJ aime SW » était gravé sur la montre, donc son nom peut être Shawn, Sebastian, Simon, Scott… qui
sait ?

Lizzy tendit la télécommande vers la télévision et appuya sur le bouton
off
. Elle en avait assez
vu.

Jared cessa d’écrire et repoussa ses
papiers.

— Tu devrais te reposer un peu, dit-il. La journée de demain sera
longue.

Elle se pencha contre lui et posa la tête sur son épaule. L’appartement était silencieux. Trop silencieux. Maggie lui manquait. Au bout d’un moment, elle
dit :

— Si je n’avais pas été enlevée cette nuit-là, tu penses que nous serions toujours
ensemble ?

— Je n’ai pas le moindre doute là-dessus.


 Vraiment ?


 Vraiment.

— Nous serions-nous
mariés ?


 Certainement.

— Des
enfants ?

— Deux filles et un garçon. Tu serais toujours en train de te plaindre du surpoids de ta dernière
grossesse.

Elle sourit pour elle-même, espérant se laisser entraîner dans leur rêve
éveillé.

— Comment s’appellent-ils ?

— Notre aînée se serait appelée Katherine Elizabeth, mais son diminutif serait
Kate.

— Ça me
plaît.

Elle chercha sa main et leurs doigts s’entrelacèrent. Elle aimait sentir ses doigts pressés contre les
siens.

— Et les autres
enfants ?

— Notre seconde fille se serait appelée Savannah Ruth, et notre garçon aurait été Adonis, parce que selon moi, c’est un nom plutôt
original.

Elle
ricana.

— Kate, Savannah et Adonis. Qu’aurions-nous fait avec tous ces
enfants ?

— Nous serions allés faire de la randonnée dans le Yosemite, du V.T.T. autour du lac Natoma, et de temps en temps, Adonis et moi serions allés pêcher pendant que toi et les filles seriez restées à bouquiner sur l’herbe, au bord du
lac.

Elle haussa un
sourcil.

— Pourquoi ? Les filles ne pêchent
pas ?

— Les filles font trop de bruit. Les poissons n’aiment pas
ça.

Elle lui donna un coup de coude amusé. C’était bon de se taquiner, de rire et de
sourire.

— Et qu’aurais-tu proposé aux filles, demanda-t-elle, pendant mes sorties en tête à tête avec Adonis, entre mère et
fils ?

— Bonne
question.

Il lui passa la main dans le
dos.

— J’aurais emmené les filles déjeuner et… hmm… nous aurions fait du shopping pour leur acheter des robes, sans doute. Mais pas dans cet ordre, parce que les femmes n’aiment pas essayer des vêtements quand elles ont le ventre plein. Rien ne semble aller juste après un
repas.

— Tu es un expert en
shopping ?

— On peut dire que j’ai un don, en
effet.

Son pouce caressait ses phalanges et elle souriait d’un air béat, tandis que son esprit prenait une autre
direction.

— Je ne pensais pas te revoir un jour. Puis, quand c’est enfin arrivé, la culpabilité que je ressentais envers les autres filles était telle que je ne pensais pas mériter d’être heureuse. C’était la chose la plus
difficile.

Il ne répondit pas et se contenta de lui caresser le
dos.

— J’ai parlé de Mary à Jessica, aujourd’hui.

— Comment a-t-elle pris la
nouvelle ?

— Mieux que je ne le pensais. J’aurais dû le lui dire plus tôt, même si elle ne pourra pas faire son deuil tant qu’on n’aura pas retrouvé le corps de Mary. Au moins, c’est un
début.

Il
acquiesça.

— C’est l’incertitude qui ronge le plus les familles des
victimes.


 Lizzy…

Elle lui posa un doigt sur les lèvres. Elle savait qu’il était inquiet pour le lendemain. Il ne voulait pas qu’elle serve d’appât pour attraper le
meurtrier.

— Ne dis rien, Jared. Je dois le faire. Je sais que je vous ai fait vivre un enfer, à toi et à ma famille, mais pour la première fois depuis longtemps, je n’ai pas peur. Je fais exactement ce qu’il faut que je
fasse.

 

 

Lundi 22 février 2010, 2 h
 45

 

Lizzy essayait de dormir, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser à Hayley. Les minutes s’écoulaient comme au ralenti. Rien de
nouveau.

Jared était endormi à côté d’elle, la respiration profonde et régulière. Surréaliste. C’était le mot qu’elle cherchait un peu plus tôt, lors de la conversation légère qu’elle avait eue avec Jared. Surréaliste. Elle avait du mal à réaliser que Jared était de retour dans sa vie, dormait dans son lit et la protégeait comme si sa vie en dépendait. Elle tendit les mains et effleura son bras du bout des doigts. Elle prit soudain conscience que, pour la première fois depuis sa plus tendre enfance, elle se sentait en
sécurité.

Lizzy regardait le plafond. Elle avait besoin de sommeil, mais elle savait aussi que si elle se laissait aller à fermer les yeux, elle serait transportée dans une autre époque. Une époque où les minutes étaient des heures, où la mort et la vie ne formaient plus qu’un. Elle n’avait jamais cru à l’existence du mal jusqu’à cette nuit où elle avait été enlevée, telle une souris prise au piège entre les serres d’un rapace. Quelle tristesse de perdre son innocence en un clin d’œil. Personne au monde ne mourait indemne.
Personne.

Lizzy avait envisagé d’appeler sa sœur pour prendre des nouvelles de Brittany, mais Cathy ne lui parlait toujours
pas.

Lizzy ferma les yeux. Sans surprise, ce fut ce moment précis que choisit son téléphone pour se mettre à
sonner.

Jared était à côté d’elle avant même qu’elle ait atteint la porte de la chambre. Il la suivit dans la cuisine. Lizzy décrocha le téléphone. Elle fit un signe de tête à Jared. C’était lui. Elle savait qu’il appellerait. Elle ignorait seulement quel moment il
choisirait.

— J’ai vu l’interview.

— Ils ont coupé tous les bons passages, dit-elle.

Son rire résonna, retransmis par le dispositif étrange qu’il aimait tant
utiliser.

Elle avait attendu son appel avec impatience, parce que cela signifiait alors qu’il était tombé la tête la première dans leur piège. Mais elle était trop épuisée pour se laisser gagner par l’enthousiasme.

— J’ai trouvé ton interview
explosive.

— Pourquoi
cela ?

— Je n’arrive pas exactement à mettre le doigt dessus. Te voir à la télévision, Lizzy, en gros plan et de manière si personnelle, m’a fait regretter ce que nous partagions
autrefois.

— Nous n’avons jamais rien partagé. Et ça n’arrivera
jamais.

— Tu te trompes. En ce moment même, nous avons tous les deux envie d’un monde
parfait.

— Dans mon monde parfait, tu es mort, lui dit-elle.

— Tu vois ? Nous pensons la même
chose.

— Je suis fatiguée, fit-elle en essayant d’employer la psychologie inversée pour le garder en ligne. Je dois y
aller.

— Tu ne vas pas me demander des nouvelles de
Hayley ?

Était-ce du désespoir qu’elle percevait dans sa voix ?
Lizzy grinça des dents. Hayley était le seul sujet de conversation qui l’intéressait vraiment et il en était conscient. Elle en avait assez de ce fou, de devoir jouer d’après ses
règles.

— Tu vas plonger, espèce de connard. On est si près du but maintenant qu’on peut sentir tous tes sales petits secrets. On sait exactement ce que tu as fait pendant ces quatorze dernières années et on est sur tes
traces.

Jared était sidéré par son changement de tactique. Dans le cas où Spiderman appellerait, Lizzy était censée demeurer imperturbable. Elle avait foiré son coup. S’il y avait bien une chose que Spiderman détestait, c’était une langue trop bien pendue et des paroles
insultantes.

— Toutes les thérapies du monde ne réussiront pas à te sauver, Lizzy, menaça Spiderman d’un ton égal, comme si son irritation soudaine ne l’atteignait
pas.

— Ça ne peut pas me faire de mal, dit-elle avec
amertume.

— Je ne suis pas de cet
avis.

— Pourquoi
cela ?

— Aucune raison, répondit-il. J’ai hâte de te voir
demain.

— Et moi
donc.

— Avant d’y aller, ajouta-t-il, je voulais dire à ton petit ami à quel point j’ai aimé discuter avec sa mère. Elle a un sourire
magnifique.

Jared arracha le téléphone des mains de Lizzy, mais il était trop tard. La ligne était
coupée.

CHAPITRE 33

Lundi 22 février 2010,
13 h

 

En face du cabinet où Lizzy et sa psychologue, Linda Gates, se rencontraient, Jared avait les yeux scellés à sa paire de jumelles. Il les distinguait
parfaitement.

Pendant l’heure qui s’était écoulée, les deux femmes avaient discuté et pris des notes en buvant du thé. Jared regardait la bouche de Lizzy. Les commissures de ses lèvres commençaient à se relever. Jusqu’à présent, elle avait affiché une mine grave, à la limite de la
sévérité.

Pour l’instant, toujours aucun signe de
Spiderman.

Un lundi sur deux, Lizzy rendait visite à Linda Gates pour une heure de thérapie. Spiderman avait le dossier de Lizzy. Il savait exactement où elle passait ses lundis après-midi. Et si c’était bien lui que Linda Gates avait vu debout à l’arrêt de bus la semaine précédente et celle d’avant, alors Spiderman connaissait bien le
quartier.

Lizzy était obstinée. Rien de nouveau. Une fois qu’elle avait rallié Jimmy à sa cause, il était devenu impossible pour Jared de la convaincre de manquer sa séance de thérapie. Pourquoi ne pas attendre de voir si quelqu’un reconnaissait le portrait et identifiait leur homme ? Lizzy avait refusé de patienter une minute de plus, et encore moins une journée. Elle était certaine qu’ils pouvaient détourner Spiderman de Hayley. Et c’était tout ce qui comptait pour elle. Hayley, disait-elle, devait échapper au regard scrutateur de son
ravisseur.

De la musique se faisait entendre dans une chambre d’hôtel non loin de là. Sinatra, le chanteur préféré de sa mère. Depuis que Spiderman lui avait appris la nuit dernière qu’il avait discuté avec sa mère, Jared s’était efforcé de ne pas y penser. Il avait essayé d’appeler sa mère ce matin, mais elle n’avait pas répondu. Il avait alors contacté sa sœur qui, à son tour, avait appelé leur mère à l’hôtel où elle séjournait. Apparemment, Mme Jacqueline Shayne avait quitté l’hôtel le soir même où elle s’y était enregistrée. Ni lui ni sa sœur ne savaient comment réagir à cette
information.

La vie de Jared était en train de partir en lambeaux. Règles, ordre et organisation : les trois piliers avec lesquels il avait grandi. Quand un problème survenait, son père lui avait appris qu’il existait toujours une solution. Puis Lizzy avait disparu, jetant les enseignements de son père aux oubliettes. Depuis, Jared avait l’impression d’essayer de ramasser les morceaux et de les recoller de la manière la plus ordonnée possible. C’est étrange, songeait-il, comment un seul homme, un fou désaxé, était capable de semer le chaos dans de si nombreuses existences. Non seulement ruinait-il la vie de ses victimes, mais aussi celle de leurs amis et de leurs familles. Et aujourd’hui, quatorze années plus tard, le fou était de retour, tel un fantôme invisible, insaisissable, pour tout recommencer… répandre le trouble et la souffrance. Et personne ne pouvait l’arrêter.

Depuis que le portrait-robot de Spiderman avait été diffusé, l’agence avait reçu des centaines d’appels. Il leur fallait juste le personnel nécessaire pour étudier toutes les pistes. La frustration coulait dans ses veines, tandis qu’il laissait aller son regard de la rue déserte jusqu’au parking, de l’arrêt de bus jusqu’au café qui faisait l’angle. Rien de particulier. Il y avait un agent sur le toit de l’autre côté de la rue, un autre garé sur le même parking que la voiture de Lizzy et deux civils à l’intérieur du bâtiment. Tous les points stratégiques étaient couverts. Alors pourquoi avait-il la sensation que quelque chose leur
échappait ?

Si Spiderman se trouvait quelque part à proximité, ils l’auraient déjà repéré. Spiderman jouait avec eux. C’était aussi simple que cela. Ils étaient tombés dans son piège ; tout le monde était exactement là où il l’avait
prévu.

Un camion de livraison se gara devant l’immeuble où, quelques instants plus tôt, Jared avait aperçu Lizzy à travers la baie vitrée du deuxième
étage.

Jared se crispa en posant les yeux sur le conducteur, tandis que l’homme descendait du camion et le contournait vers l’arrière.

— Matt, dit Jared dans l’émetteur. Sors et jette un œil au gars qui vient de se garer devant le
bâtiment.

— O.K., répondit
Matt.

Jimmy était posté à l’intérieur de l’immeuble où Lizzy et Linda étaient en grande conversation. Il se trouvait au dernier étage, d’où il avait une vue d’ensemble sur l’arrière du bâtiment. La voix forte de Jimmy résonna dans l’oreillette de
Jared.

— Que se passe-t-il ?

— Nous avons un camion de livraison express devant l’entrée. Matt est en train de
vérifier.

 

 

Lundi 22 février 2010, 13 h
 06

 

Karen avait les yeux rivés sur la route. Elle ouvrit la vitre pour laisser entrer un peu d’air. Encore cinq minutes et elle arriverait devant l’agence de location de voitures, à côté de l’aéroport. Douze heures plus tard, elle serrerait son mari et ses enfants dans ses
bras.

Il était temps de rentrer à la
maison.

Elle était venue aux États-Unis pour retrouver son frère, mais il semblait avoir disparu de la surface de la Terre. Et apparemment, personne ne s’en
souciait.

Pauvre
Sam.

Elle inspira une longue bouffée d’air pour se calmer les nerfs. Comme sa mère ne l’avait jamais rappelée pour lui donner le nom de l’associé de son frère, elle avait décidé de faire ses valises et de rentrer chez elle. Son mari s’inquiétait et ses enfants avaient besoin d’elle.

Pourtant, quelque chose n’allait pas et la contrariété insistante qui la taraudait refusait de la quitter. Elle le sentait dans ses tripes. Décidément, quelque chose ne collait
pas.

Comme la musique ne parvenait pas à lui sortir son frère de l’esprit, elle fit défiler les stations de radio jusqu’à entendre une voix apaisante. C’était Tammy Spencer, une auteure de livres pratiques, qui avait écrit de nombreux ouvrages sur tous les sujets, de l’éducation des enfants à la culture des herbes aromatiques. Aujourd’hui, Mme Spencer expliquait à ses auditeurs comment récurer le sol de la cuisine à quatre pattes. Chez elle, lorsque Karen était tendue, elle faisait le ménage. L’odeur des produits nettoyants avait quelque chose de rassurant. Peut-être croyait-elle pouvoir laver ses problèmes en même temps… si seulement c’était aussi
facile.

— Les serpillières et les balais n’atteignent pas les moindres recoins comme un bon vieux brossage, expliquait Mme Spencer à ses
auditeurs.

Karen approuva d’un hochement de tête. Ensuite, la femme donna quelques conseils pour nettoyer le garde-manger et se débarrasser de toutes les mauvaises odeurs qui s’accumulent rapidement à cause, par exemple, des pommes de terre en train de
pourrir.

— Vous ne voulez pas que vos invités croient que vous avez un cadavre dans votre cave, n’est-ce
pas ?

Non, se dit Karen en garant sa voiture de location, personne ne voulait d’une telle odeur chez soi. Pourtant, c’était exactement ce qui se dégageait de la cuisine de son
frère.

Puisque personne n’était venu l’aider, Karen sortit ses affaires du coffre et se dirigea à l’intérieur du bâtiment. Alors qu’elle attendait son tour derrière un homme qui lisait le journal, elle aperçut le titre sur la
une.

 

« Spiderman est-il de
retour ?

Mort d’une jeune fille et d’une présentatrice de journal télévisé. Une autre fille portée disparue. Avez-vous vu cet homme ? »

 

Sous les gros titres figuraient deux croquis du supposé Spiderman. Karen regarda le premier, puis le
second.

— Oh, mon Dieu, fit-elle en portant la main à sa bouche.
Non.

 

 

Lundi 22 février 2010, 13 h
 21

 

Le conducteur reçut l’autorisation de passer et entra pour remettre son
colis.

— Je viens d’avoir un appel du bureau, dit Jared à Jimmy pour le tenir informé. Ils ont reçu le témoignage d’une femme prénommée Karen il y a quelques instants. Elle pense que son frère est peut-être le type que nous cherchons. Elle n’est pas prête à nous donner son nom tant que nous ne lui aurons pas assuré qu’il ne lui serait fait aucun
mal.

— Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez ces tarés ? Un tueur en série est dans la nature, mais il ne faudrait pas qu’il lui arrive quelque
chose ?

— Qui sait ? dit
Jared.

Il y eut un silence pendant que Jared observait le bâtiment. Chacune de ses terminaisons nerveuses frémissait d’appréhension.

— Nous nous sommes fait avoir,
Jimmy.

— Pourquoi dis-tu
ça ?

— Lizzy n’est pas le seul appât que nous utilisons aujourd’hui. Chacun de nous en est un. Il cherche à détourner notre attention à
tous.


 Pourquoi ?

— Ce n’est qu’un jeu pour
lui.

Jared perçut du mouvement dans le cabinet où Lizzy était installée depuis près d’une heure
maintenant.

— Il se passe quelque chose. Je te
rappelle.

Il souleva ses jumelles pour avoir une meilleure vue sur l’intérieur du cabinet de Linda
Gates.

— Matt, dit-il dans son récepteur, à qui le colis était-il
adressé ?

— Une Linda quelque
chose.

— Linda Gates ? demanda
Jared.

— Oui, Linda
Gates.

Chaque mot de ton interview était explosif, Lizzy… toutes les thérapies du monde ne réussiront pas à te
sauver.

— Matt ! Rentre dans l’immeuble et fais en sorte que personne n’ouvre le foutu
paquet !

— Le paquet provenait d’une grande enseigne. Le conducteur avait une pièce d’identité. Il était
réglo.

— Si tu es prêt à parier ta vie là-dessus, alors bouge-toi le cul et monte ouvrir ce foutu colis toi-même.

— Je m’en
charge.

— Que se passe-t-il ? s’écria Jimmy dans son
oreillette.

Jared grommela sa réponse tout en observant à travers son
viseur.

— Le chauffeur du camion va remettre un paquet à Linda Gates. Je ne crois pas à une telle
coïncidence.

Jared ne quittait pas ses jumelles. Les deux femmes se tournèrent en même temps vers la porte. Linda se leva et désigna un autre coin de son cabinet. Lizzy sembla hésiter avant de jeter un œil par la fenêtre, puis elle se déroba à sa
vue.

Le cœur de Jared battait la chamade. N’ouvre pas la porte. Merde. Bon sang, mais que faisait
Matt ?

Linda ouvrit la porte, signa le reçu du colis et le ramena dans son
bureau.

À travers ses jumelles, Jared balaya la pièce du regard, d’un côté à l’autre. L’adrénaline le submergeait.
Où es-tu, Lizzy ?
Le conducteur avait disparu. Lizzy avait disparu. La porte du cabinet de Linda avait été laissée grande
ouverte.

Jared reporta son viseur sur Linda et zooma pour la voir de plus près. Préoccupée par le paquet, elle examinait attentivement la boîte. Son expression était calme et
impassible.

— Matt, fit Jared dans son
récepteur.

Pas de
réponse.

Jared lâcha son équipement, sauta par-dessus le rebord en ciment et dévala les escaliers. En moins d’une minute, il avait traversé la rue et se précipitait à travers le hall d’entrée de l’immeuble. L’ascenseur était
occupé.

Il bondit vers la cage d’escalier et gravit les marches quatre à quatre. Au deuxième étage, il bouscula la porte du couloir et se mit à courir en direction des
cris.

Jared remonta le couloir en quatrième vitesse, furieux contre lui-même d’avoir laissé les choses dégénérer ainsi. Des gens sortaient de leurs bureaux pour voir ce qui causait tout ce vacarme. Jared fit irruption dans le cabinet de Linda Gates et aperçut Lizzy. Vivante. Elle était
vivante.

Son regard se posa sur la boîte ouverte et la mare de sang aux pieds de Linda Gates. En se rapprochant, il distingua clairement le contenu, qui avait glissé hors du paquet − un doigt ensanglanté qui appartenait sans le moindre doute à Hayley
Hansen.

 

 

Lundi 22 février 2010, 14 h
 48

 

Cathy jeta un œil à sa montre. Elle attendait dans le hall de l’hôtel depuis près de trois heures. Le sexe avec son mari n’avait jamais duré plus de cinq minutes, dix minutes grand maximum. Mais Richard était retranché dans la chambre d’hôtel avec cette femme depuis déjà plusieurs heures. Elle plongea la main dans son sac à la recherche de son téléphone portable, mais elle réalisa qu’elle l’avait oublié dans sa
voiture.

C’était presque l’heure d’aller chercher Brittany à l’école. Elle leva les yeux de sa montre et les fixa sur l’ascenseur. Elle ne voulait pas rater Richard quand il en sortirait en compagnie de sa maîtresse. Elle voulait se confronter à son mari dans l’hôtel, où il lui serait impossible de nier sa liaison avec cette
femme.

Elle regarda à nouveau sa montre.
Que
faire ?

Brittany avait un autre rendez-vous prévu avec le Dr McMullen après les cours. Un autre de ses fils s’était
cassé.

Cathy ne tarda pas à décider ce qu’il lui restait à faire − elle devait joindre Lizzy. Elle répugnait à appeler sa sœur, surtout après avoir juré de ne plus jamais lui adresser la parole et l’avoir traitée avec dédain, à la maison puis à la piscine, mais elle savait que Lizzy l’aiderait. Certes, Lizzy pouvait être naïve par moments, mais ses intentions étaient toujours louables. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle Cathy s’inquiétait tant pour Lizzy et la considérait davantage comme une enfant que comme une sœur. Cathy savait d’expérience qu’elle était incapable de rester fâchée contre Lizzy bien longtemps. Lizzy était sa famille. Elle avait beau être furieuse contre sa sœur et essayer de toutes ses forces de lui reprocher tout ce qui allait de travers dans sa vie, elle savait que ce n’était pas vrai. Lizzy avait bon cœur. Elle ne méritait pas son mépris, ni celui de leur père. Et pourtant, c’était là tout ce que Lizzy avait récolté au fil des
ans.

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