Les Assassins (24 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

— J’entends bien, mais qu’est-ce que le détective amateur vient faire là-dedans ? Où est-ce qu’il intervient dans l’équation ?

— Ne voyez pas le mal là où il n’est pas, répliqua Costello. C’est un boulot pour les journaux, pas pour la police. »

Son propre sarcasme le fit sourire. « Ce domaine est mon centre d’intérêt, du moins le plus important, mais il y a quelqu’un d’autre dans le groupe, quelqu’un qui a… » Il s’interrompit pour soulever sa tasse de café, avaler une gorgée et reposer la tasse sur la table. « C’est une connaissance à moi. Il est très fort pour les dates et les lieux, voyez-vous ? Il se souvient de certaines choses.

— C’est lui qui a fait le lien entre les… »

Costello confirma d’un signe de tête.

« Et d’après lui, où va-t-on cette fois-ci ?

— Où va-t-on ? Mon Dieu… Je vous parle de gens qui s’intéressent aux crimes en série, pas d’une réunion de voyants. »

Irving sourit. Les deux hommes restèrent un moment silencieux.

« Dites-moi quelque chose, inspecteur Irving. Est-ce que vous avez des éléments sur ce type ? La moindre idée de la tournure que les choses sont en train de prendre ? »

Irving fit signe que non. « Je ne peux pas vous répondre. Je n’ai pas le droit de parler d’une enquête en cours.

— C’est pourtant ce que vous faites.

— Mais je ne vous dis rien que vous ne sachiez déjà…

— Dans ce cas, inspecteur, passons un marché. »

Irving haussa les sourcils.

« Dites-moi quelque chose que je ne sache pas déjà et je vous dirai quelque chose en retour. »

Irving repensa à sa conversation avec Karen Langley. Il s’enfonça sur son siège, regarda par la fenêtre, vit sur le trottoir d’en face un homme qui se débattait avec un parapluie, et remarqua qu’il pleuvait. Des voitures passèrent, un taxi, un bus – on aurait dit une scène de film. Le monde s’étalait devant leurs yeux et ils ne savaient rien de ce qui se passait.

« C’est une situation potentiellement compromettante, répondit Irving, presque à lui-même.

— Tout est affaire de confiance, inspecteur.

— Vous travaillez pour un journal.

— Et vous, pour la police de New York.

— Vous sous-entendez que les policiers ne sont pas dignes de confiance ?

— Pas tous.

— Mais certains.

— Bien sûr… »

Il y eut un silence.

« Qu’est-ce que vous voulez savoir, alors ? demanda Irving.

— Quelque chose qui ne soit pas dans les articles de journaux et que je n’aie pas pu apprendre en écoutant la radio de la police. Un détail. Un aspect de la personnalité. Un fait qui vous paraît important dans le cadre de cette enquête.

— Et en échange ?

— En échange,
je
vous dirai quelque chose que vous ignorez.

— Et qui a un rapport avec cette affaire ? »

Costello confirma d’un hochement de tête.

« C’est un accord ferme, pas une arnaque bidon ?

— Il y a des vies en jeu…

— Cette discussion n’a pas de témoins. »

Irving se pencha brusquement en avant et attrapa la main de Costello. Ce dernier la retira, par réflexe, mais Irving refusa de la lâcher. En une fraction de seconde, il palpa les épaules de Costello, son torse, ses aisselles, puis le relâcha.

« Quoi ? fit Costello. Vous pensiez que j’enregistrais notre discussion ?

— Je suis un inspecteur de la police de New York. Je travaille dans cette maison depuis vingt ans. Je suis devenu inspecteur en 1997, monsieur Costello, je suis passé par les Mœurs, les Stups et à la Criminelle. J’ai vu plus de cadavres que vous ne pourriez l’imaginer, et je ne vous parle pas de sites Internet ou de photos dans le journal. Je ne vous parle pas d’un passe-temps qui donne aux gens l’impression de savoir ce qu’est le travail d’un policier… Non, je vous parle d’avoir vu, de très près, en chair et en os, ce que les gens peuvent faire de pire aux autres. Vous comprenez ? »

Costello voulut répondre.

« Je n’ai pas terminé, monsieur Costello. Vous avez écrit un article. D’accord, il n’a pas été publié par le journal, mais il aurait pu l’être. Vous avez compris des choses concernant certains meurtres qui se sont déroulés au cours des dernières semaines. Vous avez reconstitué le puzzle. Vous avez fait passer les policiers de New York pour une bande de connards demeurés tout juste capables de faire leurs lacets. J’arrive à mon bureau et vous avez la gentillesse de me refiler quelques pages sur une affaire dont je ne connaissais même pas l’existence, et on se retrouve ici à faire les malins. On boit un café ensemble en faisant les malins à propos de ce que je sais peut-être et de ce que pourriez éventuellement me dire. Je vous parle de la vraie vie, monsieur Costello. On est dans le réel ; tout ça est très, très réel. Et ces derniers temps ma patience est assez limitée…

— Ça suffit, coupa Costello. Ça suffit, inspecteur. Je n’ai rien à me reprocher. Je suis un citoyen engagé, rien de plus. Je travaille comme enquêteur pour la rubrique faits divers d’un journal et je sais certaines choses – je suis
censé
connaître certaines choses. C’est mon boulot. Je garde mes yeux et mes oreilles grands ouverts, je passe des coups de fil, je consulte Internet. Je vérifie les faits et je les retranscris de telle sorte que mon journal ne soit pas attaqué pour diffamation et injures. Quoi que vous pensiez, vous vous trompez. Je
ne suis pas
votre suspect, compris ? J’essaie de vous aider, pas de vous compliquer la vie. Je ne suis pas idiot, inspecteur. Si j’avais un lien quelconque avec ces crimes, je ne vous enverrais certainement pas des documents susceptibles de vous aider à m’attraper…

— Oh, détrompez-vous, monsieur Costello. Croyez-moi, vous seriez très surpris de voir ce que font certains de ces fous furieux pour attirer l’attention.

— Et qu’est-ce que ce fou furieux-là a fait, inspecteur ? Qu’a-t-il fait que personne, à part la police, ne sache ? »

Irving hésita et regarda de nouveau vers la rue. La pluie semblait s’être arrêtée, mais le trottoir et la chaussée étaient encore luisants. Les reflets des lampadaires et des enseignes au néon, les gens se promenant seuls ou en couple, le bruit d’une musique en provenance d’un bar, quelque part… Tout cela faisait croire à une ville normale, un endroit sûr, un endroit où les gens pouvaient mener leur petite vie tranquille, sans craindre pour leur sécurité. Or pas du tout. Ça n’avait jamais été le cas, du moins pas depuis qu’Irving avait vu le jour, et étant donné la marche du monde, il pensait que ce ne serait jamais le cas.

« Inspecteur ? »

Irving revint vers Costello. Il n’osait pas lui faire confiance. On ne pouvait faire confiance à personne, pas entièrement.

« Vous savez quelque chose qui pourrait nous aider ? demanda-t-il.

— Je connais une piste que vous pourriez suivre et qui pourrait donner des résultats.

— Ça n’a pas l’air très sûr.

— Rien n’est sûr, inspecteur. Vous le savez aussi bien que moi.

— Qu’est-ce que vous voulez en échange ?

— N’importe quoi, répondit Costello. Un simple élément… Une chose que j’ignore.

— Si je vous en révèle une, rien ne vous empêchera de me répondre que vous le saviez déjà. »

Costello éclata de rire. « Qu’est-ce que ça fait de vivre sans jamais faire confiance aux autres, inspecteur ? »

Irving le regarda droit dans les yeux. Costello ne détourna pas les siens. À cet instant précis, sans trop savoir pourquoi, Irving fut tenté de croire que Costello disait la vérité.

« Il a envoyé une lettre, dit Irving. Ce matin même… Une lettre au
New York Times
.

— Qu’est-ce qu’il racontait ?

— Ce n’est pas tant ce qu’il racontait… Pas les mots eux-mêmes. C’était une lettre écrite par Arthur Shawcross. Mais notre ami l’a rédigée en se servant du code du Zodiaque. »

Costello inspira brutalement. Il écarquilla les yeux, recula sur son siège et secoua la tête. « Comme James Wolfe, lâcha-t-il à demi-voix.

— Comment ça ?

— Il veut vraiment qu’on fasse le rapport. Il nous propose un spectacle et il ne veut surtout pas qu’on en rate une miette. Il tue quelqu’un de la même manière qu’une ancienne victime, mais il a peur qu’on ne comprenne pas.

— Voilà, je vous ai dit quelque chose. »

Costello hochait la tête, toujours perdu dans ses réflexions. « Vous vous êtes demandé si c’était un message ? fit-il.

— Pardon ?

— Le fait qu’il ait envoyé sa lettre en utilisant le code du Zodiaque ?

— Un message au sujet de sa prochaine victime ?

— Oui. Une manière d’annoncer que sa prochaine victime serait tuée dans le style du Zodiaque.

— Qu’est-ce que j’en sais ? Pour le moment, je suis obligé de passer en revue tous les tueurs en série recensés depuis cinquante ans et d’entrer dans une base de données chaque date de décès des victimes située entre aujourd’hui et Noël.

— Vous savez que le Zodiaque n’a à son actif que six victimes confirmées ?

— C’est ce qu’on m’a dit.

— Et vous ne vous intéressez aujourd’hui qu’à celles qui ont été tuées à des dates bien précises, c’est bien ça ?

— C’est bien ça. »

De sa poche intérieure de veste, Costello tira un carnet et un stylo. « Bien, se demanda-t-il à voix haute, qui avons-nous ? Le 27 septembre 1969, Bryan Hartnell et Cecelia Shepard, tous deux poignardés près du lac Berryessa. Lui a survécu, pas elle. Le 11 octobre 1969, Paul Stine, abattu à San Francisco. Le 26 septembre 1970, Donna Lass, dans le Nevada, sauf qu’on ne l’a jamais retrouvée… Le 29 septembre 1974, Donna Braun, étranglée à Monterey. Et pour terminer, Susan Dye, étranglée à Santa Rosa le 16 octobre 1975. Parmi ces gens-là, seuls Hartnell et Shepard sont des victimes avérées du Zodiaque. Hartnell a survécu…

— Vous devriez lui écrire, dit Irving. Pour lui demander de rejoindre votre petit groupe. »

Costello ne releva pas la remarque sardonique d’Irving.

« Du coup, si notre tueur commet un meurtre à la manière du Zodiaque, il se produira le 26, le 27 ou le 29 de ce mois-ci, ou alors pas avant le 11 ou le 16 octobre.

— Si tant est qu’il imite le Zodiaque, ajouta Irving.

— Exact, répondit Costello. Si tant est qu’il imite le Zodiaque et qu’il décide de rééditer les meurtres qui ne lui sont pas officiellement attribués. En revanche, s’il opte pour les seules victimes avérées du Zodiaque, Hartnell et Shepard, alors ce sera le 27.

— Et sinon ?

— Vous allez devoir rester particulièrement éveillés, parce que si vous commencez à recenser les près de deux cents meurtres de tueurs en série commis chaque année, et qui plus est sur cinquante ans, eh bien… Chaque jour de l’année sera l’anniversaire de la mort de quelqu’un.

— Voilà une nouvelle très réconfortante. »

Costello referma son carnet et le remit dans sa poche.

« Et maintenant, à vous, dit Irving. Apprenez-moi quelque chose que j’ignore.

— Il existe toute une sous-culture, un groupe de gens qui collectionnent certains objets, des objets liés à des meurtres en série.

— Je connais cette saloperie, oui.

— Non. Pas ces collectionneurs-là. Ceux dont je vous parle, ce ne sont pas les dingues qui vendent des photos de scènes de crime ou des tee-shirts tachés de sang. Non, je vous parle de gens très sérieux, de gens qui ont beaucoup d’argent. De ceux qui vont réussir à vous dégotter un vrai
snuff movie
.

— Et quel rapport entre ces gens et ce qui se passe en ce moment ?

— Vous devriez vous adresser à eux, dit Costello. Il est possible – du moins je le pense – que votre homme fasse partie de ces gens-là, ou qu’il soit entré en contact avec eux pour mieux comprendre tel ou tel crime en particulier.

— C’est une supposition. Mais il me semble que d’après notre marché, vous deviez me dire quelque chose que je ne…

— J’ai un nom à vous donner, coupa Costello. Leonard Beck.

— Qui est-ce ?

— Quelqu’un qui à mon avis pourrait vous aider plus que vous ne l’imaginez.

— Et où est-ce que je trouverais ce Leonard Beck ?

— Dans l’annuaire, inspecteur… Tout simplement dans l’annuaire. Autant que je sache, il vit à Manhattan, et il est le seul à porter ce nom.

— C’est tout ?

— C’est tout, inspecteur.

— Bien. Maintenant, j’ai deux petites questions à vous poser, monsieur Costello. »

Ce dernier haussa les sourcils.

« Est-ce que Mia Grant était la première victime ?

— Je le crois, oui.

— Pourquoi ? Comment pouvez-vous être sûr que ça ne dure pas depuis des années ?

— Je ne peux pas en être sûr. Ma foi, qui pourrait être sûr de quoi que ce soit ? J’ai… »

Il s’interrompit quelques secondes. « Cela fait un moment que je m’intéresse à cette question.

— Les meurtres en série ?

— Les
tueurs
en série. Non pas ce qu’ils font, mais qui ils sont. La dynamique de la situation. La manière dont les choses se combinent pour pousser quelqu’un à croire que tuer un autre être humain qu’il ne connaît même pas constitue un acte rationnel, une solution.

— Mais une solution à un problème que vous et moi ne considérons pas comme un problème.

— Non, bien sûr… Vous ne pouvez pas rationaliser l’irrationnel. Nous ne sommes pas en train de parler de gens qui suivent les chemins convenus de la réflexion et de l’action, mais d’individus qui ont abandonné depuis longtemps tout ce qui passe pour la normalité.

— Et quel problème est-ce que cela vous permet de régler, monsieur Costello ?

— Quel problème ? Non… Je me considère comme un chercheur, inspecteur. Rien de plus. Si vous croyez que j’exorcise ainsi quelque vieux démon du passé, vous vous trompez. J’ai été agressé par quelqu’un qui n’avait aucune raison de m’agresser. Il a essayé de nous tuer tous les deux, mais il n’a tué que la jeune femme avec qui j’étais à l’époque. Elle avait 17 ans. Après avoir soigné mes blessures physiques, j’ai dû affronter les conséquences mentales et affectives de son crime.

— Comment avez-vous fait ?

— J’ai lu beaucoup de livres. Sur la psychologie, la psychiatrie, la psychanalyse – toutes sortes de choses. Mais aucun de ces livres n’explique comment fonctionne un être humain. Pas avec certitude, pas avec le degré d’appréciation avec lequel un individu peut se connaître lui-même. J’ai le sentiment d’avoir atteint un niveau de connaissance de moi-même qui me permet de continuer à vivre sans traîner le poids du passé comme un boulet. J’ai mes petits moments… »

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